Après avoir disparu de l’espace public pendant trois mois, le milliardaire chinois s’est exprimé dans une courte vidéo diffusée par un obscur média officiel. Dans cet exercice bien orchestré, l’homme d’affaires ne dit pas un mot de ses démêlés avec Pékin.
Jack Ma, fondateur et ex-patron du géant du commerce en ligne chinois Alibaba, a choisi une mise en scène particulièrement sobre pour son retour sous les projecteurs, ce 20 janvier : l’homme d’affaires de 56 ans a participé à “une vidéoconférence avec une centaine d’enseignants de zones rurales du pays mercredi matin”, rapporte le South China Morning Post.
Cela faisait trois mois que Ma Yun (son nom chinois) n’était pas apparu en public et n’avait rien publié sur les réseaux sociaux. La dernière fois qu’il s’était exprimé, c’était le 24 octobre : lors d’un forum économique à Shanghai, il avait vertement critiqué les autorités financières et les banques publiques de son pays. Forcément, en haut lieu, cela avait agacé. Depuis, certains observateurs le pensaient en prison, d’autres n’excluaient pas qu’il soit mort.
Le quotidien de Hong Kong – qui appartient au groupe Alibaba – s’appuie sur le compte rendu et la courte vidéo mis en ligne par un obscur média officiel, le Tianmu News, qui fait partie du groupe Zhejiang Ribao. “La Fondation Jack Ma a confirmé qu’il avait effectivement participé [comme les années précédentes] à l’édition en ligne d’un projet soutenant les enseignants des zones rurales”, ajoute le South China Morning Post.
Depuis le 24 octobre, Jack Ma “a singulièrement changé de ton”, relève de son côté Bloomberg. “Il reprend des thématiques chères au Parti communiste chinois [dont il est membre], comme la revitalisation des zones rurales et la diminution des écarts de revenus en encourageant les jeunes talents à revenir dans les campagnes. ‘Mes collègues et moi-même avons étudié et réfléchi. Et nous avons pris la ferme décision de nous consacrer à la philanthropie en faveur de l’éducation, déclare Jack Ma dans la vidéo. Il en va de la responsabilité de notre génération d’hommes d’affaires de travailler dur pour revitaliser les campagnes et d’œuvrer pour la prospérité de tous’.”
“Je n’ai pas fui”
“La réapparition inattendue de Jack Ma – aussi soudaine que le fut sa disparition – montre probablement que ses relations avec les autorités réglementaires de Pékin se sont stabilisées”, commente le directeur d’un fonds d’investissement de Hong Kong, interrogé par le site américain.
Selon le directeur d’un cabinet de conseil spécialisé dans le commerce électronique cité par le South China Morning Post, “le message essentiel que veut faire passer Jack Ma est le suivant : ‘Je n’ai pas fui. Je reste en Chine, Alibaba continue à fonctionner normalement et le gouvernement n’a pas fait disparaître l’entreprise.’ L’autre message, destiné au marché des capitaux, est que le gouvernement chinois ne vise pas les entreprises privées.”
La vidéo mise en ligne mercredi ne lève toutefois pas le voile sur le sort du milliardaire, constate Bloomberg : il a simplement “dit aux professeurs qu’il allait consacrer plus de temps à ses activités philanthropiques et il n’a pas évoqué ses prises de bec avec Pékin”.
Selon le site américain, Jack Ma et son empire ne sont pas sortis d’affaire. Après son étonnant discours du 24 octobre, le milliardaire avait été convoqué par des représentants de la Banque populaire de Chine et de plusieurs organes de supervision financière. Le 3 novembre, l’introduction à la Bourse de Shanghai d’Ant Group, le bras financier d’Alibaba, dont Jack Ma est le principal actionnaire, était suspendue in extremis par les autorités boursières.
Cette descente aux enfers s’est poursuivie, le 24 décembre, par l’ouverture d’une enquête sur les pratiques anticoncurrentielles d’Alibaba. Trois jours plus tard, les autorités demandaient à Ant de procéder à son propre démantèlement.
Jack Ma n’est toutefois pas le seul à être dans le collimateur du pouvoir. “Les mesures répressives prises contre l’empire de Jack Ma s’inscrivent dans une campagne plus large de serrage de vis des géants chinois de la tech dont Pékin estime qu’ils exercent un contrôle trop puissant sur la deuxième économie du monde”, poursuit Bloomberg.