Comment l’exemplaire laboratoire AstraZeneca est devenu la bête noire de l’Europe

Comment l’exemplaire laboratoire AstraZeneca est devenu la bête noire de l’Europe

Qui l’emportera de l’Union européenne ou du groupe britannique qui ne veut (ou ne peut) pas livrer aux 27 États membres toutes les doses de son vaccin contre le Covid-19, développé avec l’université d’Oxford ? L’entreprise a déjà perdu la bataille de l’image, estime le quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung.

Comment en est-on arrivé là ? La guerre des négociations entre AstraZeneca et l’Union européenne a fait passer la société pharmaceutique du statut de “modèle” à celui d’“épouvantail”, résume la Neue Zürcher Zeitung.

AstraZeneca n’est pas spécialiste des vaccins. “Au troisième trimestre 2020, l’entreprise a réalisé près de la moitié de ses ventes avec des produits anticancéreux.” La société installée à Cambridge et née en 1999 de la fusion entre le Suédois Astra et le Britannique Zeneca est pourtant en première ligne contre le coronavirus. Et son vaccin, développé avec les chercheurs de l’université d’Oxford, “suscite de grands espoirs dans le monde entier, car il est bon marché et facile à transporter et à stocker”. Cependant, en Europe, c’est “la déception et la colère [qui] prédominent en ce moment”.

En décembre, AstraZeneca s’était engagé à fournir 80 millions de doses de vaccin au premier trimestre 2021 aux 27 pays membres de l’Union européenne. Aujourd’hui, c’est “moins de la moitié” que l’entreprise pourrait livrer, la faute à des retards de fabrication dans l’usine belge qui le produit. Dès ce vendredi, l’Union européenne devrait durcir le ton en décidant de contrôler et de restreindre les exportations de l’usine belge, notamment vers le Royaume-Uni (où AstraZeneca dispose également de sites de production).

Cette “escalade politique”, le PDG du groupe pharmaceutique, Pascal Soriot, ne l’avait sûrement pas prévue, quand il a décidé de coopérer avec les chercheurs d’Oxford, souligne le quotidien de Zurich. Les scientifiques cherchaient alors une entreprise “qui pourrait les aider à produire en masse un vaccin qu’ils avaient développé et qui fonctionne de manière traditionnelle grâce à des adénovirus modifiés et inoffensifs”.

Comme le concurrent britannique GlaxoSmithKline n’a pas donné suite, AstraZeneca s’est lancé dans la production et la distribution à l’échelle mondiale. La coopération avec Oxford comportait également un volet éthique, “qui a renforcé la réputation de l’entreprise” : près des deux-tiers de la production sont destinés aux pays émergents, et AstraZeneca s’est engagé à vendre le vaccin à prix coûtant. Une dose coûte de 3 à 4 dollars (en fonction du prix des ingrédients d’un pays à l’autre), selon Pascal Soriot, donc bien moins cher que les vaccins à ARN messager de BioNTech et Moderna.

“La reconnaissance publique a pourtant été de courte durée”, alors que l’entreprise espérait tout autre chose, résume Alistair Campbell, analyste à Liberum, un courtier britannique :

Politiquement, c’est une bonne chose d’être celui qui investit énormément dans le développement d’un vaccin, surtout sans espérer de profit en retour.”

À l’été 2020, le monde des affaires applaudissait la stratégie de l’entreprise. En juillet, UBS la considérait comme “une bonne ‘entreprise citoyenne’ qui fait avancer l’indispensable et urgente recherche pour le développement et la distribution d’un vaccin”.

Certes, les avantages financiers pour l’entreprise étaient “si faibles”, juge Barclays, que la banque ne les a même pas comptabilisés dans son analyse de l’entreprise. Mais AstraZeneca pourrait éventuellement tirer quelque profit du vaccin ultérieurement, si un passeport de vaccination devenait obligatoire et que le vaccin était vendu à des tarifs commerciaux.

“Problèmes de démarrage”

Les problèmes de production que rencontre AstraZeneca semblent “crédibles” aux yeux des analystes d’UBS. Comme pour d’autres vaccins traditionnels, les cultures cellulaires sont plongées dans d’énormes cuves de fermentation de 1 000 à 2 000 litres, dont le “rendement peut varier”. En Asie aussi, “AstraZeneca a d’abord rencontré des difficultés, avant de réussir à les surmonter”, rappelle le quotidien. Les sites de production britanniques ont également connu des “problèmes de démarrage”, selon Pascal Soriot.

La différence, c’est qu’en Grande-Bretagne ces soucis “ont été résolus à temps”, parce que Londres a “signé le contrat de livraison du vaccin au cours de l’été”… alors que la Commission européenne a traîné jusqu’à l’automne. Et que l’Agence européenne du médicament n’a pas encore donné son feu vert. Le vaccin britannique devrait être autorisé ce vendredi.

En résumé, AstraZeneca a perdu son aura. Le cours de l’action avait déjà chuté depuis le sommet de l’été, les gains après la course au vaccin du printemps s’étant “effondrés”. Désormais, les investisseurs hésitent aussi, précisément parce que le vaccin ne “devrait pas faire pleuvoir l’argent” sur l’entreprise.

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