Retour de flamme pour les cryptomonnaies dans la Silicon Valley

Retour de flamme pour les cryptomonnaies dans la Silicon Valley

Les rescapés de la bulle spéculative de 2017 autour de la blockchain commencent tout juste à proposer les premiers réseaux de services cryptés. De quoi relancer l’attention sur la “DeFi”, la finance décentralisée.

En 2017, une incroyable frénésie agitait le monde des cryptomonnaies, parfaitement illustrée par Filecoin. Cette start-up spécialisée dans la chaîne de blocs [blockchain, une technologie basée sur la cryptographie qui stocke et transmet sans contrôle centralisé des informations par blocs] avait levé 257 millions de dollars [211,7 millions d’euros aujourd’hui] sur la simple promesse de construire un service décentralisé de stockage de données.

À l’époque, les investisseurs avaient dépensé près de 20 milliards de dollars dans des Initial Coin Offerings (ICO), des offres de jetons numériques (tokens) présentées par des entreprises qui promettaient de construire de nouvelles infrastructures numériques [lire encadré]. Bon nombre ont disparu depuis, et les ICO sont rapidement passées de mode.

À l’automne dernier, le service de Filecoin a néanmoins fini par voir le jour. Les personnes en lice pour gagner ses jetons [en fournissant du stockage sur leurs machines] se sont déjà engagées pour une capacité de 1,3 exabyte, rapporte Juan Benet, l’initiateur du projet. Un exabyte représente 500 fois le volume de données stockées par la totalité des bibliothèques de recherche américaines. Les besoins des utilisateurs ne représentent encore qu’un infime pourcentage de ce volume, mais Filecoin voulait d’abord réunir une grande capacité d’offre de stockage – et le résultat dépasse largement ses espérances, dit Juan Benet.

Promesse de révolution

Le réseau de Filecoin est l’un des derniers services en date à émerger parmi la poignée de projets financés par la bulle des ICO, qui ont connu divers retards après avoir promis de révolutionner l’activité en ligne. Polkadot, une plateforme permettant à ses utilisateurs de créer leurs propres chaînes de blocs, n’est pas loin d’achever la phase de lancement de son réseau. Cosmos, qui permet de connecter différentes blockchains, ou Tezos, rival [du réseau] Ethereum sur le secteur des “contrats intelligents” [un contrat informatique ne nécessitant l’intervention d’aucun tiers de confiance], sont déjà actifs.

Les créateurs de ces projets admettent avoir profité d’une vague de spéculation. Gavin Wood, fondateur de Polkadot, explique qu’une bonne partie des fonds placés dans les ICO en 2017 provenaient des bénéfices engendrés par les investissements dans Ethereum (qu’il a également cofondé) et bitcoin. “En fin de compte, je pense que beaucoup de gens ont vu tout ça comme une sorte de pari combiné, explique-t-il. Ils ont gagné beaucoup d’argent avec Ethereum et ils voulaient voir si ça pouvait continuer.”

Les innovations techniques des quelques entreprises ayant survécu se révéleront beaucoup plus durables que la fièvre spéculative qui a accompagné les ICO, soutiennent toutefois Gavin Wood et d’autres entrepreneurs du secteur. Ces projets ont donné naissance à des produits importants, explique Juan Benet. Je pense que l’ensemble des capitaux réunis [par des ICO] ces trois dernières années n’est pas si extraordinaire, comparé au reste de l’économie.”

Monétiser sa base de fans

Si certains réseaux basés sur la chaîne de blocs ont effectivement vu le jour, les applications qu’ils étaient censés faire apparaître n’existent pas encore, ce qui rend toute évaluation de leur impact final difficile.

La chaîne de blocs Tezos a par exemple été conçue “pour tous ceux qui désirent créer une économie numérique”, comme des achats à l’intérieur d’un jeu, indique Kathleen Breitman, une de ses fondatrices. Un autre usage possible concerne “l’économie créative”, ajoute la présidente de TQ Tezos [start-up fondée sur la technologie Tezos], Alison Mangiero, c’est-à-dire tous les secteurs où des artistes et influenceurs peuvent avoir intérêt à se passer d’intermédiaires et trouver des moyens de monétiser directement leur base de fans”. Son objectif est de sortir les premières applications de ce genre en 2021.

Entre-temps, l’engouement pour la “DeFi” [pour Decentralized Finance, la “finance décentralisée”, sans intermédiaires classiques] attire l’attention sur les infrastructures sur lesquelles elle pourrait s’appuyer. Polkadot intéresse particulièrement les développeurs : sa plateforme de liaison entre différentes blockchains pourrait permettre la création d’un grand nombre d’applications simples qui, reliées entre elles, pourraient créer de nouveaux produits financiers plus complexes.

Le AirbnB du cloud

Ces plateformes ne visent pas à reproduire simplement des services existants pour un coût inférieur, explique Gavin Wood, il s’agit de créer des services entièrement nouveaux ou dont la réalisation avec les méthodes classiques générerait des “frais astronomiques”. Cela vaut également pour le stockage de données, affirme Juan Benet. Les offres proposées par les géants du cloud comme Amazon Web Services sont extrêmement complexes et sont “tout sauf un produit de base”. L’ouverture du réseau de Filecoin à de petits acteurs ainsi qu’à des développeurs capables de construire des services spécialisés pour exploiter au mieux les capacités bouleversera le secteur aussi profondément qu’Airbnb a changé l’industrie hôtelière, affirme Juan Benet.

Jetons gagnants

Si les nouvelles applications restent pour l’heure en grande partie théoriques, les gains financiers, eux, sont bien réels. La valeur des tokens de Filecoin a été multipliée par 14 depuis son ICO, et celle du Dot, la cryptomonnaie de Polkadot, a été multipliée par presque 20.

Les promoteurs de ces projets devraient également être les grands gagnants de l’aventure. Filecoin par exemple s’est réservé 300 millions de jetons au moment de sa création. Cela représente actuellement près de 7 milliards de dollars [5,8 milliards d’euros], même si Juan Benet souligne que ces jetons ne seront pas totalement acquis avant six ans.

La récente ruée sur le bitcoin a également changé la donne pour certains survivants moins fringants de la bulle des ICO. La plupart ont accepté les paiements en bitcoin et en Ether en échange de leurs propres jetons, ce qui pourrait se traduire par d’importants bénéfices. La Fondation Tezos a levé 232 millions de dollars lors de son ICO en 2017, et ses actifs [en cryptomonnaies] valaient 652 millions de dollars en juillet dernier. Avec plus de 60 % de ses réserves détenues en bitcoins, l’organisme vaut probablement beaucoup plus qu’un milliard de dollars aujourd’hui.

La valeur des cryptomonnaies qu’ils possèdent signifie que bon nombre des projets de la chaîne de blocs les plus fragiles ont aujourd’hui des réserves bien supérieures à leur capitalisation boursière – la valeur totale de leurs jetons en circulation. Il faut donc s’attendre à ce que des actionnaires activistes [désireux d’influencer la gestion de l’entreprise] “obligent certains projets à rendre des comptes et à distribuer une partie de leur surplus de liquidités”, prophétise Ryan Zurrer, investisseur spécialisé dans les cryptomonnaies.

Ce n’est pas une première dans l’histoire de la tech. Après l’explosion de la bulle Internet [en 2000], plusieurs entreprises dépourvues de modèle économique viable, mais disposant d’importantes liquidités, ont survécu pendant des années, même si les actionnaires s’agitaient pour récupérer leur argent.

De cette période sont également sortis une poignée de grands gagnants, dont Amazon et Yahoo. Les rescapés de la bulle ICO ont encore beaucoup de chemin à faire pour démontrer qu’ils sont là pour rester.

Richard Waters

Qu’est-ce qu’une ICO  ?

Dans le monde des cryptomonnaies, une Initial Coin Offering (ICO) permet de lever des fonds en émettant des jetons numériques (tokens) échangeables contre des cryptomonnaies (principalement le bitcoin ou l’Ether, les plus réputées des monnaies basées sur la chaîne de blocs). Contrairement aux actions, les tokens ne donnent pas accès à des parts du capital de l’entreprise mais à un droit d’usage du service amené à être développé. Ces jetons sont échangés sur des plateformes à un cours qui fluctue en fonction de l’offre et de la demande.

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