Les élites à Davos sont-elles cyniques ou naïves ?

Les élites à Davos sont-elles cyniques ou naïves ?

Le sommet des puissants de ce monde, qui s’est tenu par écrans interposés la semaine dernière, donne du grain à moudre aux complotistes, estime Die Zeit. Malgré leurs belles déclarations, la pandémie sert les intérêts des plus riches.

Qui se soucie du Forum de Davos, organisé la semaine dernière en mode virtuel, à l’exception des théoriciens du complot qui “y voient la preuve que les chefs d’État et les célébrités du monde des affaires se préparent en secret à dominer le monde” ? ironise un éditorial de Die Zeit ce lundi 1er février.

D’habitude, le WEF – comme l’appellent les habitués (pour World Economic Forum, Forum économique mondial) – se déroule à grand renfort de ballets de limousines et d’hélicoptères dans l’ambiance enneigée de la station de ski suisse où l’élite accorde des interviews “sur la transition verte”, résume le journal progressiste allemand. Cette année cependant, pour cause de Covid-19, les PDG, chefs d’État et milliardaires se sont réunis “à la lueur bleue des écrans” et les “inégalités sociales, qui, les années précédentes, étaient souvent évoquées en amuse-gueules”, ont été “au centre des discussions”.

“Le président français, Emmanuel Macron, ancien banquier d’investissement et familier du WEF, a fait savoir que le seul moyen d’éviter la pandémie consistait à s’appuyer sur une économie réfléchissant davantage à la lutte contre les inégalités”, et a déploré “les profits qui ne sont pas liés à l’innovation ou au travail”. La chancelière allemande, Angela Merkel, a, quant à elle, insisté sur “les conséquences désastreuses d’une distribution inégale des vaccins entre les nations”.

Mais à en croire Marc Benioff, le fondateur de l’entreprise de vente de logiciels Salesforce, “les PDG sont les vrais héros de 2020”. Ils ont réagi efficacement à la crise en mobilisant leurs ressources financières, leurs travailleurs et leurs usines, ‘non pas pour leur profit mais pour sauver le monde’, a déclaré l’entrepreneur de la tech, dont la richesse personnelle avoisine 9 milliards de dollars”.

La “grande réinitialisation”

Certes, “Marc Benioff se réclame du capitalisme des parties prenantes” dans lequel les “entreprises doivent être dirigées pour assurer le bien-être de leurs clients, de leurs employés et de l’ensemble de la société”. Une doctrine qui rompt avec le mantra de Milton Friedman datant des années 1970 pour qui “il n’y avait qu’une seule responsabilité sociale des entreprises, celle de l’utilisation des ressources pour augmenter les profits”. Le monde des affaires a “sans surprise suivi [la théorie de Friedman] pendant des décennies”.

Il s’agit donc de “faire demi-tour”, a expliqué le fondateur du WEF, Klaus Schwab, “en appelant à ‘une grande réinitialisation, un grand nouveau départ’. L’effort doit être commun, au sens mondial du terme, estime-t-il. De la Chine aux États-Unis, “chaque pays et chaque industrie” doit “se convertir au principe des parties prenantes”. Certes, l’économiste allemand de 82 ans “prêche depuis des décennies l’abandon de la maximisation du profit”, mais “la pandémie offre une occasion unique d’accélérer ces efforts” et d’utiliser “l’abnégation dont fait preuve la population” pour atteindre cet objectif, a-t-il expliqué au WEF.

Socialisme ou fascisme

Ce “mélange de naïveté et de cynisme est époustouflant”, selon l’éditorialiste de Die Zeit. Au point qu’on n’est guère surpris que “les complotistes considèrent la ‘grande réinitialisation’ comme une machination des soi-disant élites pour introduire soit le socialisme soit le fascisme économique”. Pour eux, tout s’emboîte enfin : le Covid-19 et les confinements n’étaient “que des astuces pour orienter les masses sans méfiance vers ce même objectif”. Le problème, c’est qu’en écoutant les “cerveaux de Davos convaincus de leur propre grandeur”, nul besoin d’être “particulièrement paranoïaque pour en arriver à de telles conclusions”.

Car au-delà des écrans bleus du Forum économique, “le monde sombre dans le chaos de la vaccination, le chômage et la pauvreté”. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), 225 millions d’emplois ont disparu en 2020. Les plus pauvres devront attendre une décennie pour “sortir du trou”, selon un rapport de l’association Oxfam, alors que les 1 000 plus riches de la planète (“y compris un nombre d’habitués de Davos”), “sont devenus encore plus riches”.

De toute façon, “le danger ou la chance que les participants de Davos changent réellement le monde n’est pas particulièrement élevé”, conclut l’éditorialiste. D’ailleurs, la jeune activiste du climat Greta Thunberg, qui a elle aussi participé à cette édition virtuelle, l’a résumé sur Twitter : “Nous sommes conscients que le monde est très complexe et que tout ne peut pas changer du jour au lendemain. Mais ça fait plus de trente ans que vous blablatez. Vous allez attendre encore combien de temps ?”

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