Pourquoi les mèmes peuvent-ils nous sauver de la déprime ?

Pourquoi les mèmes peuvent-ils nous sauver de la déprime ?

Le rire est salvateur dans les périodes les plus noires. Raison pour laquelle les mèmes rencontrent un tel succès pendant la pandémie.

Le rire est-il vraiment le meilleur remède qui soit ? C’est ce que laisse penser l’engouement insatiable pour les mèmes liés au coronavirus qui font le tour des réseaux sociaux.

Plus la pandémie se prolonge, plus ces mèmes sont originaux, irrévérencieux, drôles et parfois choquants. Rien ni personne n’est épargné, de l’accumulation de rouleaux de papier toilette à la crainte que nos voisins ne respectent pas correctement leur quarantaine.

Mais quelle place occupe vraiment ces blagues dans une épidémie mondiale qui provoque une crise économique et le décès de malades esseulés dans des unités de soins intensifs ?

L’humour noir nous soulage

Cela peut sembler cruel de rire de plaisanteries stupides dans un contexte de mauvaises nouvelles, mais ce n’est pas surprenant. L’humour noir a toujours été un mécanisme d’adaptation de l’homme aux situations catastrophiques. Que ce soit chez les chirurgiens spécialisés en traumatologie ou chez les soldats, l’humour noir contribue à alléger la pression. Le célèbre graffiti américain “Kilroy was here”, dessiné pendant la Seconde Guerre mondiale [durant la bataille de Normandie], a été en quelque sorte le premier mème du monde.

Des travaux scientifiques ont montré que le rire envoie des signaux positifs au cerveau, permettant la libération d’endorphines, hormones du bien-être, qui se lient avec les récepteurs opioïdes du cerveau pour soulager la douleur physique et le stress.

Un monde pris en otage

La pandémie tient le monde en otage. C’est surtout par le biais des smartphones et des réseaux sociaux que les humains entrent désormais en contact. Nombreux en effet sont ceux qui estiment avoir plus de chances de s’en tirer en restant le plus possible chez eux. “La plupart [d’entre eux] n’ont en général pas mieux à faire que de rester assis et de surfer sur Internet”, explique Matt Schimkowitz, rédacteur en chef du site Know Your Meme.

Pour qui vit dans la peur, l’incertitude, l’anxiété et l’isolement, les mèmes sur le coronavirus sont devenus un moyen de se connecter au monde extérieur, en ayant la joie de voir que d’autres personnes ressentent la même chose que soi.

Je suis bien placée pour le savoir, moi qui ai quitté l’Inde pour la Malaisie (où j’avais alors peu d’amis), quelques semaines seulement avant qu’un confinement ne soit imposé dans tout le pays. Enfermée dans mon nouveau logement à Kuala Lumpur, je me suis tournée vers l’humour pour combattre ma peur et mon ennui. C’est alors que j’ai découvert que certains mèmes sur le coronavirus devenus viraux (sans jeu de mots) étaient un baume qui apaisait mon âme, car ils me faisaient rire et me vidaient l’esprit.”

Une aiguille pour faire éclater la tension

“En ce moment, les gens ont l’impression que tout ce qu’ils font est inutile ; ils luttent contre un sentiment d’inanité. L’humour est une forme d’expression de la colère et de la frustration ; c’est l’aiguille qui fait éclater le ballon des tensions, apportant un grand soulagement”, m’a expliqué un de mes amis, Hari Krishnan, qui travaille dans la publicité et a créé plusieurs mèmes à succès à propos du confinement en Inde dû à l’épidémie de Covid-19.

Pour ma part, j’en suis arrivée à passer beaucoup de temps en ligne à rechercher des mèmes liés à la pandémie, trouvant réconfortant que d’autres personnes ressentent le même genre d’anxiété que moi.

Ashok Seshadri, psychiatre à la clinique Mayo aux États-Unis, partage cet avis :

Le sentiment d’impuissance face à la pandémie est réel, et il est impossible d’y échapper. Nous devons donc trouver un moyen de le supporter et de le surmonter. Le recours à l’humour est un processus de défense qui a fait ses preuves en la matière, une façon de dire ‘ce n’est pas ça qui va m’abattre !’”

Il n’est donc pas surprenant que chaque jour apporte son nouveau lot de mèmes. Sur Reddit, le fil de discussion de CoronavirusMemes, créé à la fin de janvier, compte aujourd’hui une centaine de milliers de membres. L’objectif déclaré du groupe est de “faire rire du coronavirus tant qu’on le peut encore, et répandre du bonheur dans ces moments de détresse”.

Un genre en mouvement

Sur Twitter, on trouve des tas de comptes tels que @TheCoronaMemes ou @MemesCorona, qui regroupent, de façon très utile, les meilleurs mèmes.

Après une première vague axée sur la diffusion d’informations et de conseils de sécurité, les mèmes sur le coronavirus ont très vite abordé des sujets comme l’ennui lié au confinement ou la pagaille provoquée par le travail à domicile. La claustrophobie, les patrons tyranniques, les réunions incessantes sur Zoom, les enfants qui braillent : autant de thèmes parfaits pour des mèmes !

Utilisé pour la première fois par le chercheur Richard Dawkins dans son livre The Selfish Gene (“Le Gène égoïste”, traduit en français), publié en 1976, le mot “mème” définit un phénomène qui entraîne une évolution culturelle ; il peut s’agir d’une forme de danse ou d’un accessoire de mode, d’une phrase d’accroche ou d’un personnage de bande dessinée. Aujourd’hui, les mèmes prennent vie, se répandent et mutent rapidement avant de mourir de mort naturelle, tout cela sur Internet.

Qu’est-ce qu’un mème réussi ?

Pour qu’un mème soit réussi, il doit coller à l’actualité et être dans l’air du temps socioculturel. Il doit également trouver un écho au sein d’une communauté et toucher la conscience collective du groupe. C’est pourquoi les mèmes fonctionnent mieux lorsqu’ils utilisent un personnage reconnaissable et permettent de déclencher une certaine prise de conscience.

Ainsi, on retrouve un peu en chacun de nous Kento, cette marionnette singe de la très populaire émission de télévision japonaise Ookiku Naru Ko, qui découvre avec stupéfaction que l’on donne maintenant le nom de “quarantaine” à son style de vie routinier. Matt Schimkowitz souligne :

Un même est réussi dès lors qu’il arrive à transmettre son message dans le laps de temps qu’il faut à quelqu’un pour le faire défiler sur Instagram ou Twitter.”

Lorsque les mots nous font défaut, lorsque les émojis et les GIF ne suffisent plus pour transmettre le désarroi, la frustration ou l’anxiété de notre époque, les mèmes sont là.

Ce tweet publié au début d’avril en est sans doute le meilleur résumé qui soit :

Un sujet de composition d’histoire en 2053 : ‘Expliquez l’utilisation et le rôle des mèmes comme mécanisme d’adaptation pendant la pandémie de Covid-19 de 2020’.”

Charukesi Ramadurai

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