Portrait. Le maître des corbeaux de la Tour de LondresThe Independent 14/02/2021 – 06:02

Portrait. Le maître des corbeaux de la Tour de LondresThe Independent 14/02/2021 - 06:02

Il occupe l’un des emplois les plus étranges du Royaume-Uni. Chris Skaife est responsable des corvidés censés protéger la Tour de Londres. À la mi-janvier, sa préférée, Merlina, a disparu sans laisser de traces. L’événement a ravivé de sinistres prophéties sur l’avenir du royaume.

Rien dans le somptueux poème d’Edgar Allan Poe Le Corbeau ne vous prépare à l’odeur. Christopher James Skaife, Yeoman Warder [garde d’apparat] et Ravenmaster [maître des corbeaux] de la Tour de Londres, est bien placé pour le savoir.

Les corbeaux sentent très fort, surtout les petits. Ça vous prend à la gorge, et j’habite une petite maison nichée dans les remparts de la Tour de Londres… Les corbeaux aiment bien venir se promener autour de chez nous et ils crottent partout. C’est la première chose dont ma femme s’est plainte.”

À 55 ans, Chris Skaife exerce le métier qui passe souvent pour le plus étrange du Royaume-Uni : il est responsable de la petite colonie de grands corbeaux – et de leurs coups de bec – qui ont élu domicile dans l’ancienne forteresse. Une légende veut que si tous les corbeaux venaient à quitter la Tour, le royaume de Grande-Bretagne s’effondrerait. Ces augustes gardiens, que Skaife surnomme plus volontiers ses “garnements”, vivent sur la pelouse sud et flânent librement dans toute l’enceinte du monument. Et Chris Skaife, sixième maître des corbeaux de l’histoire de la Tour, est chargé de veiller sur eux.

Selon la légende, il doit y avoir à tout moment au moins six corbeaux sur le site. Début janvier, il y en avait huit. Il n’en reste maintenant plus que sept. Le 13 janvier, la nouvelle est tombée, créant l’émoi dans la sphère Internet : Merlina, le plus proche compagnon de Skaife et star des réseaux sociaux, avait disparu. “Notre cher corbeau Merlina n’a plus été vu sur la Tour depuis plusieurs semaines, et son absence prolongée semble indiquer que, malheureusement, il n’est peut-être plus de ce monde”, a déclaré un porte-parole du Historic Royal Palaces [ou HRP, la fondation caritative chargée des résidences royales inoccupées du pays].

Le monde mystérieux des corbeaux fait la une des journaux

Les corbeaux de la Tour ne vivent pas en captivité : les plumes de leurs ailes ne sont pas coupées mais légèrement taillées, et on ne les enferme que la nuit. Il est déjà arrivé que des corbeaux résidents s’enfuient pour ne plus jamais revenir, mais Merlina, une femelle, était un cas à part. Elle était très complice avec son gardien, et ils entretenaient un lien particulier. Depuis quelque temps, des vidéos de leurs jeux faisaient sensation sur TikTok. Mais voyant que l’oiseau n’était pas reparu depuis une semaine, la Tour a décidé d’annoncer la triste nouvelle. “J’espérais qu’elle resterait dans l’enceinte de la Tour et les environs parce qu’elle avait envie d’y rester, parce que nous étions amis, souffle Skaife. Et je pense que j’ai fait du bon boulot pour qu’elle soit restée aussi longtemps.”

Aujourd’hui, le monde mystérieux des maîtres des corbeaux et des légendes fait la une de la presse – mais au cœur de cette histoire, il y a un homme entièrement dévoué à ses oiseaux. “Au fil des ans, confie-t-il, nous avons [avec Merlina] noué un lien affectif remarquablement étroit. Je devinais ses humeurs, et je pense qu’elle devinait aussi les miennes, parfois.” “Bien sûr, ajoute-t-il, j’aime tous les corbeaux, mais elle, elle n’était pas tout à fait comme les autres.”

Lorsqu’elle est arrivée à la Tour de Londres en 2007, peu de temps avant Chris Skaife, Merlina s’appelait Merlin. Toute petite, elle avait été trouvée sur un bord de route au pays de Galles et recueillie par une famille qui l’avait installée dans une volière. “Lorsque j’ai pris mes fonctions de maître des corbeaux, je l’ai affectueusement rebaptisée Merlina, car, entre-temps, nous avions découvert que c’était une femelle”, explique le hallebardier.

Élevée au biberon, elle s’était attachée aux humains, qu’elle considérait comme sa famille. Comme beaucoup d’espèces d’oiseaux intelligents, elle était cependant trop difficile à garder en captivité. Dans son autobiographie, The Ravenmaster [non traduit en français], Chris Skaife raconte que ses maîtres l’avaient alors donnée au refuge des cygnes de Barry, dans le sud du pays de Galles, où elle s’était rapidement fait remarquer par ses caprices. Ne sachant plus par quel bout la prendre, le refuge a contacté la Tour de Londres, et c’est ainsi que celle que l’on appelait encore Merlin est entrée au service du royaume.

Vingt-deux ans dans l’armée et un penchant pour le macabre

On pourrait penser que pour devenir maître des corbeaux, il faut avoir quelque expérience d’élevage aviaire ou s’y connaître en ornithologie. Chris Skaife n’a rien de tout cela. Avant d’endosser l’uniforme des Yeomen Warders à la Tour de Londres, il n’avait jamais vu d’oiseaux aussi impressionnants que ces grands corbeaux (Corvus corax), qui, ailes déployées, peuvent atteindre 1,5 mètre d’envergure. Il avait passé le plus clair de son adolescence rebelle à Douvres, où il séchait les cours pour aller traîner dans les bois avec ses copains. Le hasard a voulu qu’il se trouve à l’école le jour où un conseiller d’orientation de l’armée était venu faire une présentation. Séduit par les récits de gentils et de méchants, Skaife a arrêté sa scolarité à 16 ans pour devenir soldat.

Tout militaire peut intégrer le corps de garde de la Tour, à condition d’avoir effectué au moins vingt-deux ans de service actif dans l’armée britannique, de posséder un dossier impeccable – et peut-être un certain penchant pour le macabre. Théoriquement, les gardes de la Tour sont là pour surveiller les joyaux de la Couronne et les éventuels prisonniers qui y seraient détenus. Dans les faits, ce sont aujourd’hui davantage les gardiens des légendes, qui reçoivent le public, font visiter les lieux et ravissent les enfants de leurs histoires.

Lorsqu’il est arrivé à la Tour à l’âge de 40 ans, Chris Skaife a été littéralement “subjugué” par les énormes oiseaux comiques qui y vivent. Charles Dickens, grand amateur de corbeaux, qui lui-même en possédait un, comparaissait leur démarche au “pas d’un élégant prétentieux qui, avec des bottes excessivement étroites, essaie de passer bien vite sur de petites pierres qui roulent sous ses pieds”. “Il faut vraiment s’en approcher pour se rendre compte à quel point ils sont gros et puissants”, confie le garde.

Puis, j’ai vu ces corbeaux sautiller joyeusement sur le site de la Tour, et c’est leur façon de se déplacer et de regarder le public qui m’a fasciné.”

Aucune entorse à la routine quotidienne n’est tolérée

Pour veiller sur les corbeaux, il faut apprendre leurs règles, leur organisation hiérarchique – un peu comme dans l’armée. Les corbeaux ne tolèrent aucune entorse à leur routine quotidienne et défendent âprement leur territoire. Une journée type débute à 5 h 30 du matin : Skaife s’habille dans le noir, alors qu’en bruit de fond commence à enfler la rumeur du trafic urbain, puis il file vers la Tour et lâche les oiseaux pour leur petit-déjeuner.

À l’époque où il a pris ses fonctions, les corbeaux étaient encore enfermés dans des cages un peu trop exiguës, construites dans les années 1980. Cela ne lui plaisait pas du tout, confie-t-il dans son autobiographie. “Les corbeaux sont des oiseaux sauvages, écrit-il. Comme les humains, ils ont besoin de liberté. Mais ils doivent aussi être protégés.” Il a donc contacté l’équipe du HRP pour étudier la construction d’une volière qui permettrait aux oiseaux de s’ébattre en liberté pendant la journée et de passer la nuit à l’abri. Au bout de deux années de recherches et de consultations avec le zoo de Londres et plusieurs spécialistes, ils ont proposé le plan de la structure – mais il restait à décrocher le permis de construire, ce qui ne fut pas une mince affaire. Et la volière devait bien entendu être à l’épreuve des renards, ces nuisibles roux contre lesquels Skaife mène “une guerre incessante”.

Chris Skaife passe ensuite le reste de sa journée à discipliner ses protégés, assisté de quelques autres gardes – l’équipe des corbeaux. Ils séparent les oiseaux lorsqu’ils se battent, les nourrissent, assurent les traitements vétérinaires et aident les chercheurs venus étudier leur comportement. Les corbeaux consomment une tonne et demie de nourriture par an – essentiellement du poulet, de l’agneau, des rats et, en guise de gourmandises, des biscuits pour chiens trempés dans le sang.

Les corbeaux gravés dans la peau

Comme ses collègues de la garde, Chris Skaife anime également les visites de la Tour, accueillant journalistes, historiens et enfants. Tout à la fois pédagogue et conteur, c’est également un personnage emblématique du lieu : à l’en croire, il doit bien poser entre 300 et 400 fois par jour pour des photos.

En fait, lui aussi s’est si bien attaché aux oiseaux qu’il arbore plusieurs tatouages de corbeaux – dont l’un coiffé d’un chapeau melon, pipe au bec. Il donne plus de liberté à ses protégés que tous ses prédécesseurs. Chaque jour, il doit trouver le bon équilibre pour les laisser se promener librement tout en les incitant à rester. Il leur raccourcit aussi peu les ailes que possible. Merlina, la plus indépendante du groupe, allait et venait à sa guise. C’était la seule qui refusait d’entrer dans la volière, préférant passer ses nuits sur la toiture. Chaque matin, Chris Skaife commençait par repérer sa silhouette sur la ligne des toits pour s’assurer qu’elle était toujours là.

À la nuit tombée, les autres corbeaux répondent quant à eux à l’appel, l’un après l’autre, et sont conduits dans leur enclos – dans le bon ordre. La moindre erreur peut coûter cher (en 2010, le corbeau Munin a profité d’une légère rupture de la routine pour se faire la belle). Car comme les enfants, il arrive souvent qu’ils n’aient aucune envie d’aller se coucher. “En observant mes jeunes collègues, je me demande s’ils auraient la patience de rester cinq heures sous une pluie battante pour essayer de faire descendre un corbeau d’une tourelle”, s’amuse Skaife.

Imaginez donc le maître des corbeaux, sanglé dans sa vareuse bleue d’apparat brodée aux insignes royaux, pourchasser un oiseau de trois kilos sur la pelouse avec un filet de pêche ! En seize ans, il dit n’avoir eu à y recourir qu’une seule fois, quand un corbeau s’était coincé une patte.

Comment son épouse s’entend-elle avec l’autre femme de sa vie, Merlina ? “Dans sa jeunesse, elle a vu le film d’Alfred Hitchcock Les Oiseaux, et ça l’a marquée. Autant dire que ma femme et les oiseaux ne font pas très bon ménage”, plaisante-t-il.

Elle adore ce que je fais et elle me soutient à 100 %… Mais elle n’aime pas trop les oiseaux.”

Des oiseaux victimes de leur mauvaise réputation

Les corbeaux sont un emblème de la Tour – la grande attraction touristique, les joyaux emplumés de la Couronne. Mais la fascination des hommes pour ces volatiles est bien antérieure à la célèbre forteresse de Londres. Les corbeaux, espèce la plus largement distribuée de la famille des corvidés (qui inclut les corneilles, les pies et les choucas), sont présents sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Ce sont aussi des symboles spirituels dans les récits populaires du monde entier, de la Sibérie au Bhoutan, jusqu’au folklore amérindien. Dans la mythologie scandinave, un couple de corbeaux, Huginn (“l’intelligence”) et Muninn (“la mémoire, l’esprit”) parcourent le monde à tire d’aile et apportent les nouvelles aux dieux. Les Islandais continuent de les révérer. Selon la Bible, le corbeau fut le premier animal relâché de l’Arche de Noé. Ils sont également omniprésents dans les récits celtiques. Selon une légende galloise, la tête du géant Bran le Béni serait enterrée près de la colline de la Tour (bran signifie “corbeau”). L’oiseau figure en belle place sur les armoiries de l’île de Man.

Il y avait énormément de corbeaux au Royaume-Uni jusqu’aux XVIIIe et XIXe siècles. Puis la persécution a commencé. Les hommes se sont mis à en avoir peur et à les détester, les considérant comme des nuisibles vecteurs de maladies, des oiseaux de malheur, annonciateurs de mort. Une exécration des corvidés, un massacre de corbeaux. “Ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours”, écrivait Edgar Poe. À la fin du XIXe siècle, ils avaient entièrement disparu à l’état sauvage.

Leurs quartiers de vie n’ont guère contribué à redorer leur blason. La Tour de Londres évoquait déjà la mort, la torture et le châtiment dans l’imaginaire collectif. Pas moins de trois reines y ont été exécutées : Anne Boleyn, Catherine Howard et Jane Grey. Les pierres gris sombre ajoutent à l’atmosphère lugubre dans le jour tombant. “Par nature, l’homme est très morbide, et nous sommes toujours attirés par la noirceur, commente Skaife. Nous avons une fascination pour le macabre.” Il pense d’ailleurs que certains anciens Yeomen Warders ont joué sur cette corde en brodant à loisir sur les détails les plus effroyables des supplices. Or, en réalité, seulement une poignée de gens ont été exécutés à la Tour et très peu ont été soumis à la torture sur ordre royal.

La légende des corbeaux de la Tour, dont la disparition annoncerait la fin de l’Empire britannique, n’est réellement apparue qu’à la fin du XIXe siècle. Selon Chris Skaife, ce serait même une histoire très récente qu’auraient inventée les Yeomen “pour se faire un peu plus d’argent de poche”.

Une fascination pour Merlina sur les réseaux sociaux

Pendant le Blitz, les oiseaux ont servi leur pays en repérant les avions. Hélas, seuls deux corbeaux ont survécu aux bombardements. Le premier maître des corbeaux officiel a été nommé en 1969, mais il a fallu attendre 1981 pour que la Grande-Bretagne protège l’espèce dans le cadre de la loi sur la faune sauvage et la campagne. Pourtant, malgré leur grande intelligence, les corvidés – et tout particulièrement les corbeaux – sont encore abattus par centaines. Pour Nicola Clayton, professeure de cognition animale à Cambridge et experte mondiale des corvidés, l’espèce ne mérite pas sa mauvaise réputation. “On prétend que les corvidés tuent les nids de certains oiseaux et font d’innombrables dégâts – ce qui est faux. Ou encore qu’ils sont responsables du déclin des oiseaux chanteurs – ce qui est tout aussi faux. Les vrais coupables sont les chats, qu’on laisse se promener à leur guise, et l’Homo sapiens.”

Le corbeau connaît tout de même un regain de faveur. À l’époque où George R. R. Martin s’est lancé dans l’écriture de son cycle fantastique Game of Thrones [aussi connu en français sous le titre Le Trône de fer], il se rendait souvent à la Tour – et allait voir Chris Skaife. Il a intégré les corbeaux à son univers, comme messagers, et à travers le personnage de La Corneille à trois yeux, un sage omnipotent et omniscient que le jeune Bran Stark est appelé à incarner. Dans l’adaptation télévisée du roman, la corneille est devenue un corbeau à trois yeux. “Martin a beaucoup fait pour réhabiliter les corbeaux, assure Skaife. Tous les autres auteurs leur associent des connotations sombres, de mort et de destruction, alors que George a adopté un angle différent. Il m’a expliqué qu’il voulait envisager les corbeaux sous un jour plus positif. Depuis, je suis un inconditionnel de Game of Thrones.”

C’est cette juxtaposition de gothique et de comique qui rend les corbeaux si fascinants : ils sont bourrés de contradictions. “Ils peuvent être grognons mais aussi extrêmement affectueux.” C’est ce qui pourrait expliquer leur succès sur les réseaux sociaux – qui occupent tout le temps libre du maître des corbeaux. Il n’a mis ses premières vidéos en ligne sur TikTok que le mois dernier [sur le compte @ravenology1], et elles attirent déjà un immense public. “J’essaie de les filmer autant que je le peux dans des situations cocasses : ils tombent de leurs perchoirs, se cognent à des objets, font tout ce que font les humains, et ils sont très drôles à voir.” Merlina, la grande vedette, a également ses inconditionnels sur Instagram [@ravenology1] et Twitter [@ravenmaster1]. Elle reçoit des cartes postales du monde entier, est passée à la télévision, joue avec des brindilles, fait des cabrioles. Elle a un faible pour les chips à la crevette. Elle était particulièrement photogénique, affirme Skaife, “et je pense qu’elle a tout simplement fait craquer le public”.

“Nous sommes un pays superstitieux”

Par leur nature même, les corbeaux attirent les gens associés au côté le plus sombre de l’existence. Et il y a aussi un côté sombre à leur retour en grâce. Selon Lloyd Buck, ornithologue et animateur d’émissions sur la faune, le succès de Game of Thrones a incité beaucoup de gens à adopter un corbeau comme animal de compagnie. “Or c’est certainement l’oiseau le plus inadapté à la vie domestique”, souligne-t-il. Ils sont, certes, très intelligents mais aussi imprévisibles, destructifs et étonnamment caractériels. Il est souvent contacté par des gens qui avaient trouvé un corbillat. Il leur déconseille systématiquement de garder l’oiseau. Quant à Merlina, il reste convaincu qu’elle se cache quelque part. “Il arrive parfois que les corbeaux aient juste envie de changer d’air. Je pense qu’il y a une bonne chance pour qu’elle soit encore vivante”, confie-t-il.

La disparition de Merlina, survenue en plein milieu d’un triste hiver de pandémie et d’après-Brexit, alors que l’Union était plus chancelante que jamais, a alarmé l’opinion. “Nous sommes un pays superstitieux”, concède Skaife. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, “il nous reste sept corbeaux, et il faudrait qu’ils partent tous. Auquel cas, je me retrouverais au chômage.”

Il voit ses protégés comme “une bande de gamins joueurs”, chacun avec son propre caractère et ses bagues de couleur qui les distinguent les uns des autres. Chris Skaife n’a nul besoin des bagues pour les reconnaître.

Erin est l’aînée de la petite troupe, c’est la Mère l’Oie qui persécute tout le monde. Rocky, contrairement à ce que pourrait laisser penser son nom, n’a rien d’un macho. Harris et Gripp sont mes ados. La petite Poppy est magnifique, se porte comme un charme, mais elle est très dissipée. Georgie grandit doucement et prend beaucoup exemple sur Poppy. Jubilee sait un peu mieux se tenir.”

“Je me dis qu’elle est partie en vacances”

Pour l’heure, l’avenir du royaume est donc assuré. Mais qu’adviendra-t-il de la Tour – et des corbeaux qui y logent ? En tant que fondation caritative, le HRP dépend des visiteurs. Les bénéfices servent à entretenir les bâtiments et à nourrir les oiseaux. Les corbeaux reviennent à moins de 10 000 livres [13 500 euros] par an, et, entre leur intérêt touristique et les royalties du livre de Chris Skaife, “ils rapportent largement plus qu’ils ne coûtent”. Malheureusement, la pandémie a été un coup dur pour la fondation, qui, selon son porte-parole, a vu ses recettes chuter de plus de 85 % et accuse cette année un déficit de 100 millions de livres [135 millions d’euros].

Les corbeaux ne sont pour autant pas restés tous seuls. Près de cent cinquante personnes habitent dans l’enceinte de la Tour, ce qui ne manque pas de surprendre. “Nous avons notre propre pub, un aumônier, un commissaire de police et un médecin sur place”, précise le maître des corbeaux. Depuis les courtines, les touristes s’étonnent souvent de voir en contrebas des voitures, du linge séchant sur des cordes et des enfants qui jouent. “C’est une petite communauté au cœur de Londres.” Et les corbeaux en font partie.

Comme le reste du pays en ce moment, Skaife et son équipe de la Tour de Londres sont confinés, mais ils espèrent rouvrir le site au public avant Pâques. Pour l’instant, l’administration de la forteresse n’a pas prévu de remplacer Merlina (qui, pour Skaife, est irremplaçable). Ils attendront pour inscrire son nom sur la stèle des corbeaux, au cas où elle reviendrait.

Bien qu’il soit en fonction à la Tour de Londres depuis quinze ans, Chris Skaife n’a que 55 ans. En tant que membre de la garde d’apparat, il peut rester vivre à la Tour aussi longtemps qu’il le souhaite, sans limite d’âge pour prendre sa retraite. Il a encore bien des choses à accomplir avec ses corbeaux – à commencer par le projet d’élevage de la Tour, lancé en 2018, et les programmes pédagogiques sur TikTok.

Sa fille, qui a 31 ans, et son épouse, ne partagent plus la bulle de la Tour avec lui. Elles ont déménagé il y a environ deux ans pour s’installer à Whitstable, dans le Kent, où Chris les rejoint lors de ses jours de congé. “Je vis donc un peu en célibataire, ici. Tout seul avec mes sept corbeaux.” Il pense souvent à Merlina, son amie et complice disparue :

J’espère vraiment qu’elle est quelque part. Je me dis qu’elle est partie en vacances ou allée faire une œuvre de charité ou quelque chose du genre. C’est ce que j’espère. Je suis un éternel optimiste.”

Harriet Marsden

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