Non, ce ne sont pas les espions qui inspiraient John Le Carré

Non, ce ne sont pas les espions qui inspiraient John Le Carré

La plupart des lecteurs pensent que ses inoubliables romans d’espionnage devaient avant tout à sa propre expérience d’espion pour le compte du MI5 et du MI6. Mais pour ce critique britannique, c’est méconnaître l’histoire personnelle du romancier dont la mort a été annoncée dimanche 13 décembre.

“Il semble pour ainsi dire indéniable que John Le Carré est le plus grand auteur de romans d’espionnage de tous les temps, mais, de son point de vue, personne n’en comprenait la raison”, affirme Jake Kerridge dans The Daily Telegraph. Bon connaisseur de l’univers du maître du roman d’espionnage – dont la mort a été annoncée hier dimanche 13 décembre –, ce critique avait eu l’occasion de s’entretenir avec Le Carré.

Or, pour Kerridge, quiconque cherche à analyser son œuvre commet une erreur en se focalisant sur la carrière relativement modeste de l’intéressé dans le domaine de l’espionnage. Ce n’est qu’en 2000 que l’auteur avait admis avoir espionné pour le compte de Sa Majesté : d’abord comme étudiant à Oxford au début des années 1950 (il faisait remonter au MI5 des informations sur les mouvements gauchistes), puis comme diplomate en République fédérale d’Allemagne dans les années 1960.

Mais ses livres, à commencer par L’espion qui venait du froid (Gallimard, 1964 pour l’édition française), qui l’a rendu célèbre dans le monde entier, ne reflétaient que peu la réalité des services secrets britanniques de l’époque, selon le journaliste. Comme l’avait fait valoir Le Carré lui-même lors d’un entretien :

‘L’espion qui venait du froid’ n’aurait jamais été publié s’il avait raconté la réalité, j’étais encore dans les services [à l’époque de la parution]. Mes supérieurs l’ont laissé passer au prétexte qu’il ne reflétait pas la vérité et ne révélait aucun secret.”

Pour Kerridge, il faut chercher ailleurs, dans son enfance, la véritable source d’inspiration du romancier (dont le vrai nom était David Cornwell). “La trahison a toujours été le thème central de Le Carré, car elle avait joué un rôle clé durant son enfance”, affirme le critique. Son père, Ronnie Cornwell, était “un arnaqueur exubérant régulièrement en délicatesse avec la justice”, et sa mère avait quitté le foyer lorsque David avait 5 ans (il n’eut plus aucun contact avec elle jusqu’à ses 21 ans).

Compenser une enfance difficile

Cette réalité, celui qui n’était pas encore John Le Carré n’a eu de cesse de la dissimuler et de la compenser tout au long de son enfance passée dans de prestigieux établissements scolaires britanniques dont son père tardait systématiquement à régler les frais.

“Nous partagions ses mensonges, avait-il expliqué ailleurs à propos de son père. Gérer le foyer sans un sou requérait une bonne dose de mensonges de haut vol, tant au garagiste du coin qu’au boucher du coin – en fait, à tous les gens du coin.” Le Carré avait même confié qu’il lui était arrivé de penser, enfant, que son père était un espion pour expliquer ses nombreuses absences.

Kerridge cite une correspondance où Le Carré avait écrit à son ami le comédien Alec Guinness, qui avait lui aussi connu une enfance agitée. Cette enfance, écrivait Le Carré, avait dû rendre le théâtre d’autant plus attirant pour Alec Guinness : un “autre monde précieux où la vie a un sens, une forme, une logique”, à l’opposé de “la honte et du chaos de sa petite enfance”.

Pour Kerridge, le constat est limpide :

On peut aisément en déduire que c’est aussi ce que Le Carré a cherché et trouvé dans l’écriture.”

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