Avec son “orchestre impossible”, Alondra de la Parra raffine l’art du concert virtuel

Avec son “orchestre impossible”, Alondra de la Parra raffine l’art du concert virtuel

En réunissant un groupe de musiciens pour enregistrer une œuvre à distance, dans de parfaites conditions techniques, ce grand nom du milieu entend faire vivre la musique classique malgré le manque de concerts. Et porter dans le même temps un message féministe.

“Les claves entrent en scène et donnent le rythme. Entre ensuite la clarinette. Puis la flûte traversière et le hautbois.” Le magazine mexicain Gatopardo est enchanté de l’interprétation du “Danzón No. 2” – créé dans les années 1990 par le compositeur Arturo Márquez – par sa compatriote Alondra de la Parra. Cette dernière a réuni trente musiciens jouant à distance depuis quatorze pays différents au sein de ce qu’elle a baptisé La Orquesta imposible (“L’Orchestre impossible”). Elle-même s’installe au piano pour une introduction composée spécialement pour l’occasion. Comme elle l’explique au magazine :

On ne peut pas parler à Beethoven pour lui demander ce qu’il en pense, contrairement à Márquez. C’était merveilleux d’être en contact avec lui, de lui demander son avis, qu’il nous autorise à prendre certaines libertés.”

Le choix de cette pièce est venu assez naturellement pour la directrice du Queensland Symphony Orchestra, en Australie, qui est très régulièrement invitée par de prestigieuses institutions. “De la Parra est célèbre pour avoir toujours cherché à faire jouer des pièces de compositeurs latino-américains dans des orchestres de renommée internationale […] (comme le London Philharmonic, l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich ou le RSB de Berlin). Elle a beau être née à New York – une coïncidence, dit-elle – elle cherche à faire jouer la musique de ces latitudes dans le monde entier.”

Prouesse technique

Dans un premier temps, les orchestres à travers le monde ont imaginé des solutions d’appoint pour mener des concerts virtuels, et pour le plaisir de se retrouver. Mais la chef mexicaine veut aller plus loin, et retrouver une qualité exigeante pour le spectacle, qui conduit à ce que la vidéo finale soit une œuvre en elle-même. “Ça ne m’intéressait pas de me contenter de bricoler un orchestre maison pour Zoom. Je me suis donc rapprochée de spécialistes, j’ai cherché des financements, etc.” Les appuis financiers n’ont pas manqué et, si l’on ignore le détail des conditions de production de ce mini-concert de “L’Orchestre impossible”, il est difficile de deviner que tous les artistes ne se trouvent pas au même endroit.

En plus des plans sur les différents musiciens, la vidéo comprend des séquences dansées par Elisa Carrillo, étoile au ballet de Berlin, codirectrice de la Compagnie nationale de danse du Mexique, et amie proche d’Alondra de la Parra. “Comme un faisceau de lumière aux contours diffus, surgit la figure stylisée et puissante d’Elisa Carrillo Cabrera, qui danse sur une chorégraphie de l’Américain Christopher Wheeldon”, détaille Gatopardo. La danseuse, avec sa robe violette, est par ailleurs vêtue aux couleurs du mouvement mexicain contre les violences sexistes.

Un engagement féministe

Car la réunion de cet orchestre, pour Alondra de la Parra, est aussi l’occasion de transmettre un message : “J’ai toujours eu cette idée de faire quelque chose pour le Mexique. Quelque chose qui englobe tout ce qui me concerne de très près : je suis femme, je suis mère, je suis mexicaine et je suis musicienne. Et bien sûr, les violences faites aux femmes et aux enfants m’ont toujours préoccupée.”

C’est pourquoi la vidéo s’accompagne d’appels aux dons, en soutien à deux associations du pays qui viennent en aide aux enfants en difficulté (Save The Children México) et aux femmes, sur le plan de l’accès aux soins, à l’emploi ou à la justice (Fondo Semillas). Le 4 septembre dernier, la vidéo a par exemple été diffusée sur la chaîne YouTube des Latin Grammys, l’académie américaine basée à Miami qui organise chaque année une cérémonie de récompenses pour les œuvres musicales des mondes hispanophones et lusophones. Le Mexique connaît un mouvement féministe majeur, qui dénonce en particulier l’inquiétante augmentation des féminicides de ces dernières années, et qui a entre autres mené une vaste mobilisation le 9 mars dernier – #UnDiaSinNosotras (“#UneJournéeSansNous”) – au lendemain de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes.

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