« Pour que le procès de Salah Abdelslam soit efficace, il faut qu’il soit équitable »

L’arrestation de Salah Abdelslam, vendredi à Molenbeek, a marqué une étape dans l’enquête après les attentats du 13 novembre. Nous avons interrogé Loïc Dusseau, ancien membre du Conseil national des barreaux et ex-conseiller spécial de l’ancien bâtonnier de Paris. Il plaide pour que les passions laissent la place à un jugement équitable.

En quoi un procès équitable est une nécessité ?

On peut pas répondre à la barbarie par la barbarie. C’est l’honneur des pays démocratiques d’accepter de faire prévaloir la règle de droit sur des règles barbares. La torture, c’est l’excuse des bourreaux.

Le droit au procès équitable, c’est l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui impose un certain nombre de règles basiques de respect des droits de l’accusé. Respecter ces droits, ce n’est pas l’innocenter, même s’il bénéficie de la présomption d’innocence, c’est faire en sorte qu’il y ait une instruction diligentée dans des conditions non contestables. Pour que le procès de Salah Abdelslam soit efficace, il faut qu’il soit équitable.

Si l’instruction est menée dans des conditions contestables, par exemple avec l’usage de la torture, au moment du jugement, il sera aisé d’expliquer qu’il rétracte ses aveux. Pour sortir de la torture, on serait prêt à avouer n’importe quoi. En revanche, un aveu donné dans le cadre d’un procès équitable n’est pas contestable.

Et puis, il y a déjà des exceptions : il sera jugé une cour d’assise spéciale composée de magistrats professionnels [et non pas un jury populaire, nldr], la durée de la garde à vue est prolongée…

A quoi sert un procès ?

Les victimes ont besoin de comprendre. Elles se sont toutes réjouies qu’il ait été arrêté vivant. Ce procès équitable permet cette compréhension qui va permettre la condamnation. Ça ne l’empêchera pas d’être sévère. Ici, ce qu’il encourt, c’est la sévérité maximale : perpétuité avec une peine incompressible. A l’issue de la peine incompressible, il faut vraiment faire preuve d’une rédemption particulièrement importante pour pouvoir sortir. Il me semble que Guy Georges ou Carlos, sont encore derrière les barreaux.

Peut-on imaginer que Salah Abdelslam rembourse un jour sa dette à l’égard de la société ?

C’est difficile à dire, parce qu’on ne connaît pas sa personnalité. Dans 30 ans, il n’est pas exclu qu’il pourra réintégrer la société. Au delà de la peine incompressible qui pourrait être prononcée, on retourne dans le système du droit commun. Un juge d’application des peines pourra considérer que la dette à la société est payée. Il y a des criminels qui changent énormément en 30 ans.

En tant qu’avocat, pourriez-vous défendre Salah Abdelslam ?

Pourquoi pas, mais seulement si j’arrive à être d’accord avec lui sur une ligne de défense. Je n’ai pas de cas de conscience à le défendre, même si ce qu’il a fait est horrible. Défendre, c’est comprendre avant les juges pour expliquer aux juges. Derrière ce type d’actes criminels, il y a toujours la curiosité de savoir, de comprendre comment on peut en arriver là.

L’avocat de Salah Abdelslam a annoncé qu’il voulait porter plainte contre le procureur de Paris, François Molins, qui aurait violé le secret de l’instruction. Pourquoi ?

Il fait ça surtout pour détourner l’attention, pour montrer les crocs et montrer qu’il est prêt à utiliser tous les moyens de défense qui existent. Il ferait la même chose avec n’importe quel autre criminel, ce qui n’empêchera pas la condamnation de son client.

En faisant cela, il montre son souhait que l’enquête se passe avec toute la sérénité possible, ce qui est difficile parce que c’est une enquête très passionnelle. Pour qu’un prévenu puisse faire des aveux, il faut qu’il ait une certaine confiance avec les juges. Il y a des choses que Salah Abdelslam doit pouvoir dire en « off », sans que cela ne se retrouve dans les journaux.

Propos recueillis par Nicolas Scheffer

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