Depuis 10 ans, le Jesuit Refugee Service (JRS) de Paris héberge des réfugiés dans des familles d’accueil de la ville. Pour être choisi, le réfugié doit être célibataire et être en train de faire une demande d’hébergement en France. Une fois accepté, il peut passer jusqu’à six mois dans plusieurs familles d’accueil, avec le suivi d’un tuteur. L’objectif : offrir de la stabilité, un lien affectif et une intégration en société au réfugié. Françoise G., retraitée, a accepté de recevoir une jeune malienne chez-elle. Voici son histoire.
Une habituée de l’accueil
Une tasse de café attend le visiteur dans l’appartement de Françoise G., dans le XIVème arrondissement de Paris. Son salon est décoré d’images pieuses, avec Radio Notre Dame en fond sonore. « H. ne va pas tarder, elle vient de m’appeler. La pauvre est débordée. »
H. n’est pas la première réfugiée que reçoit la maîtresse des lieux, bien connue du JRS. La présence d’une jeune venue d’ailleurs aide cette divorcée, mère d’enfants établis loin, à animer un appartement devenu trop grand.
Pourtant, les règles sont précises: une famille d’accueil reçoit un demandeur d’Asile pendant une durée d’un mois tout au plus, en attendant qu’il ait une place dans un Centre d’Accueil (CADA). Ainsi, pendant un temps, l’exilé va de famille en famille, tissant des liens avec de nombreux autochtones.
Mme G. l’avoue : à son grand regret, elle peine à maintenir une amitié avec ces personnes qui s’échinent à reconstruire leur vie. « Je retrouve de temps en temps une jeune Iranienne que j’ai accueillie, mais ce n’est pas facile. Ce sont des personnes qui, parfois, semblent emportées par une fuite constante. »
H., qui vient d’apparaître dans le salon, est une Malienne d’une trentaine d’années, logée ici depuis à peine une semaine : élégamment vêtue, le portable à la main, tout juste sortie d’une matinée mouvementée. Entre les deux femmes s’est installée une étonnante complicité.
Hébergée pour mieux avancer
« Je veux d’abord être stable. »
Voilà déjà deux ans que H. court après la régularisation. Elle recherche avant tout une base sûre pour aller de l’avant.
La vocation spirituelle de l’organisation ? H. lui accorde peu d’importance. « Je ne peux penser religion, famille, travail, tant que je n’ai pas mes papiers et un moyen de faire venir ma mère ici. » En attendant, la jeune Malienne passe le plus clair de ses journées hors de l’appartement, tentant de faire avancer les procédures.
Son hôtesse l’écoute en silence, s’efforçant de la réconforter. H. la remercie du regard, répétant qu’elle se sent en sûreté dans cette famille d’accueil. Pourtant, l’une et l’autre savent que ce moment n’est qu’un court répit.
La crise des réfugiés qui traverse l’Europe est un défi majeur pour le JRS. Paul de Montgolfier, directeur du JRS, est conscient des limitations du projet, notamment le temps d’hébergement et la limitation du critère d’acceptation aux célibataires. Cependant, il est sceptique sur l’ambition que devrait avoir l’association. « Nous ne pouvons pas accomplir le travail d’un État qui n’agit pas assez. Il est impossible de tout faire, mais ce que nous faisons, nous essayons de le faire bien. »
Les difficultés de partager sa vie
Les efforts du JRS ont parfois des conséquences douloureuses. Ainsi, certaines familles refusent d’abandonner « leurs » réfugiés, touchées par les difficultés par lesquelles ils passent. « Dans ces cas là, elles doivent quitter le JRS. » continue Monsieur de Montgolfier, « Les relations affectives de cette nature sont dangereuses et volatiles. Nous ne pouvons rien faire pour eux. »
H. reste très discrète sur sa vie avant la France, et Françoise respecte ses silences. Depuis qu’elle reçoit des réfugiés, elle préfère laisser suffisamment de temps libre pour leur vie privée, en leur demandant tout au moins de petit-déjeuner et de dîner ensemble. La jeune malienne semble bien s’adapter à ce rythme de vie, et son hôtesse apprécie la compagnie qu’elle lui offre.
Mais le temps en commun est bien maigre. Déjà, H. regarde nerveusement sa montre. Les réunions n’attendent pas : l’entretien touche à sa fin. Elle embrasse son hôtesse, prend son sac, descend l’escalier – et ne reviendra pas ce jour là: elle a une fête chez ses cousines. La porte ainsi refermée, Françoise G. replonge dans le silence.
Elle n’a plus que quelques semaines de plus à profiter de la présence de H. Puis, elle devra retourner à sa solitude. Ou recevoir quelqu’un d’autre.