La pandémie, facteur aggravant des violences entre jeunes en France

La pandémie, facteur aggravant des violences entre jeunes en France

Une vague de violences impliquant des adolescents secoue la France et met en lumière un énième dommage collatéral de la crise du Covid-19 : le travail des associations qui préviennent les explosions de violence au quotidien est gravement entravé par les restrictions sanitaires, raconte ce quotidien allemand.

À un moment, on se demande quand même d’où ça vient, tout ça. Pourquoi toute cette colère, pourquoi toute cette violence ? Mamadou Sy a 42 ans et le “déclic”, pour reprendre ses termes, s’est produit chez lui il y a vingt bonnes années. “Avec les bastons, on ne peut que perdre”, déclare-t-il aujourd’hui. Nous sommes dans la salle de réunion du centre de jeunesse. Vêtu d’un cardigan, le regard sérieux, il parle d’un air tellement réfléchi qu’on a du mal à imaginer que quoi que ce soit puisse le faire sortir de ses gonds. Pourtant, quand il était adolescent, il ne fallait pas grand-chose pour le mettre en colère. “Avec le recul, on a l’impression qu’on se battait pour rien. Mais à l’époque, c’était tout, la réputation, l’honneur, le sentiment d’appartenance.”

À côté de Sy se trouve Koula Kanamakasy, 41 ans. Tous deux sont allés à l’école ensemble. Pour Sy, le “déclic” a eu lieu quand il a trouvé son premier emploi. Pour Kanamakasy, quand il s’est retrouvé en prison pour des actes de violence. Ces deux amis vivent à Champigny-sur-Marne, une ville située au sud-est de Paris, dont le paysage est structuré par les grands immeubles des cités. Et une ville qui ne cesse de faire les gros titres pour des violences entre jeunes.

La “guerre des bandes”

Le dernier incident date du 8 mars. Au moins quinze jeunes se sont affrontés au milieu d’une rue animée. Un adolescent de 14 ans a fait un arrêt cardiaque à la suite d’un coup de couteau. Un garçon de 16 ans a été gravement blessé. Valérie Pécresse, la présidente (LR) de la région Île-de-France, a attribué l’incident à une “guerre des bandes”.

Deux semaines auparavant seulement, une jeune fille de 14 ans et un garçon de 14 ans avaient été tués lors de rixes [distinctes] en vingt-quatre heures dans le département de l’Essonne, également en région parisienne. Et un mois auparavant, le cas de Yuriy, 15 ans, tabassé par un groupe de jeunes en plein Paris au point de se retrouver dans le coma, avait horrifié toute la France. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dénonce une “forte augmentation de la violence” entre bandes de jeunes. On a enregistré selon lui 357 rixes en 2020, contre 288 l’année précédente. Et ce ne sont que les cas officiellement répertoriés.

Sy et Kanamakasy ont l’habitude d’entendre parler de “guerre” ou de “brutalité” quand il s’agit de leur ville. Et ils ont l’habitude de répliquer. Sy propose des cours d’informatique aux jeunes pendant son temps libre et Kanamakasy organise des événements sportifs. Nous nous retrouvons au rez-de-chaussée de la plus haute tour de la cité du Bois-l’Abbé. Ici, entre les immeubles, ils ont acquis une petite célébrité pour avoir réussi en 2017 à mettre fin à une spirale de violence qui ne cessait d’augmenter depuis un an.

“On peut régler ces conflits si on veut”

Les jeunes du Bois-l’Abbé se battaient contre ceux des Hautes-Noues, une cité voisine. “On a grandi avec cette violence, explique Kanamakasy, et on voulait que les plus jeunes ne soient plus obligés de vivre ça.” Leur stratégie ? “Réunir les chefs de chaque groupe autour d’une table, déclare Sy comme si c’était la chose la plus simple du monde. On peut régler ces conflits si on veut.”

Le problème, c’est que même eux commencent lentement à perdre leur optimisme. Les tournois sportifs, les fêtes de quartier, les voyages, tout ce qui était évident avant est pratiquement impossible à cause de la pandémie. “On essaie de s’adapter mais on ne peut pas faire grand-chose”, déplore Sy. Les programmes sportifs permettaient justement de toucher les 11-15 ans mais depuis un an les jeunes n’ont pratiquement pas d’autre possibilité que de traîner sans but.

Sans but, jusqu’à ce que quelqu’un commence à faire de la provocation sur Snapchat ou TikTok et que l’ennui trouve un exutoire. On s’insulte, on s’excite puis on se donne rendez-vous pour régler les comptes. Tous les enquêteurs sont d’accord : les réseaux sociaux et les vidéos des rixes filmées par les téléphones mobiles qui se répandent directement sur le Net contribuent à l’escalade des violences.

Des conditions particulièrement propices pour les bandes

Le sociologue Thomas Sauvadet étudie depuis quinze ans les bandes de jeunes et la violence. Il constate que “la pandémie renforce tous les facteurs qui déclenchaient le phénomène auparavant”. Les bandes de jeunes, essentiellement de jeunes hommes, n’ont rien de nouveau, mais elles trouvent des conditions particulièrement propices dans la France d’aujourd’hui. S’il y avait jadis une vie commune dans les rues des quartiers populaires, la plupart des adultes préfèrent maintenant rester à la maison. Ceux qui sont dehors sont ceux qui se sentent trop à l’étroit à l’intérieur : les jeunes.

Si la violence augmente, c’est également parce que le trafic de drogue organisé provoque un afflux croissant d’armes à feu depuis les années 1980. “Et ces armes se retrouvent aussi dans les mains des plus jeunes.” Sauvadet pense que 10 % des jeunes des banlieues défavorisées et des quartiers pauvres des grandes villes entrent en contact avec des bandes de jeunes.

Les mesures de lutte contre la pandémie ont en outre renforcé diverses dynamiques. La tension au sein de la famille a augmenté, ce qui pousse les jeunes dans la rue. Dehors, les conflits avec la police s’accumulent. Le couvre-feu à 18 heures, l’obligation de porter le masque dans la rue depuis le mois de septembre, la succession de phases de plusieurs semaines où tout le monde doit se munir d’une attestation pour sortir de chez soi – les possibilités de se retrouver en conflit avec la loi sont nombreuses. De plus, il n’y a plus personne dans l’espace public pour “empêcher cette dynamique de bande”. Les rues n’ont jamais été aussi désertes après 18 heures, voire avant.

Quant à la situation actuelle dans la cité du Bois-l’Abbé, ce n’est cependant pas la violence qui occupe le plus Sy et Kanamakasy, mais la misère économique. “Les gens ont faim, ça n’existait pas avant”, déclare Kanamakasy. Au lieu d’organiser des événements, ils distribuent des denrées alimentaires – avec les jeunes.

Nadia Pantel

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