Alors que la France entame une campagne pour une troisième dose du vaccin Covid-19 dans les centres d’hébergement pour personnes âgées (Ehpad), certains pays ont déjà généralisé le rappel à l’ensemble de la population afin de lutter contre les nouvelles variantes. Une politique qui provoque des divisions dans le contexte sanitaire actuel, car dans le monde il existe encore de grandes inégalités d’accès au vaccin.
Une nouvelle campagne de vaccination a débuté en France le 13 septembre dans les maisons d’hébergement pour personnes âgées, alors que le pays traverse une quatrième vague d’épidémie de Covid-19. Compte tenu de la progression du variant Delta, plus contagieux et résistant au vaccin, la Haute Autorité de Santé (HAS) a recommandé dans son rapport du 24 août, de réaliser un rappel de vaccination pour les personnes fragiles, en même temps comme pour les plus de 60 ans à partir de la mi-septembre.
Si jusqu’à présent le Gouvernement n’a pas donné d’indications sur une éventuelle généralisation de cette troisième dose pour l’ensemble de la population, d’autres pays comme Israël ou la Hongrie ont déjà franchi le pas, suscitant d’intenses débats à un moment où l’accès au vaccin est encore très inégale dans le monde.
Une troisième dose pour qui ?
Depuis la découverte de la souche initiale de Sars-CoV-2 en décembre 2019 dans la ville de Wuhan, les scientifiques ont détecté plusieurs milliers de mutations du Covid-19 à travers le monde. Bien que l’écrasante majorité de ces variants ne présentent pas de difficultés particulières, certaines mutations offrent une forme de résistance aux vaccins contre la maladie. C’est le cas de la variante Delta, initialement appelée « indienne », qui est désormais prédominante en France.
« Lorsque vous contractez le Covid-19 ou si vous vous faites vacciner, vous développez des anticorps contre la maladie. Cette protection dure quelques mois puis diminue progressivement. La troisième dose augmente la dose d’anticorps puis élève à nouveau le niveau de protection », explique le Pr Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie et d’infectiologie à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil.
«Ce coup de pouce est encore plus important par rapport aux formes variantes comme Delta qui sont particulièrement contagieuses. La difficulté est de savoir à quel public l’administrer et quand, pour qu’elle soit la plus efficace possible », ajoute l’expert.
Quels sont les publics cibles ?
Fin août, Israël a lancé une vaste campagne de vaccination pour la troisième dose, ouverte à tous les citoyens de plus de 12 ans. Depuis juillet, le pays avait autorisé les plus de 60 ans à recevoir le rappel, et depuis lors, il a administré une troisième dose du vaccin à plusieurs milliers de ses citoyens.
Pour les plus jeunes sans comorbidités, l’urgence n’est pas la même et il y a débat à ce sujet
Alors que les Etats-Unis s’apprêtent à lancer une campagne similaire, ouverte à tous les adultes dès le 20 septembre, la question suscite davantage de réserves sur le vieux continent. L’Agence européenne des médicaments (EMA), qui étudie actuellement cette possibilité, ne s’est pas encore prononcée, mais a fait savoir qu’un renforcement pour la population générale n’était actuellement pas une urgence.
« Aujourd’hui, chez les personnes vaccinées, la durée minimale d’immunité est évaluée à plus ou moins six mois environ », explique Gérard Dubois, professeur de santé publique et membre de l’Académie de médecine. « Nous savons aussi qu’une fois ce délai passé, les personnes âgées perdent ces anticorps plus rapidement, il faut donc les revacciner en priorité. Pour les plus jeunes sans comorbidités, l’urgence n’est pas la même et il y a débat à ce sujet ».
Fin août, la Commission européenne a précisé qu’en l’absence de décision, l’administration de la troisième dose relèverait de « la responsabilité des États ». Bien que plusieurs pays comme la France, l’Allemagne, la Suède ou encore l’Autriche souhaitent actuellement vacciner leur population à risque avec une troisième dose, la Hongrie est le seul pays du bloc à avoir ouvert la campagne de rappel de vaccination pour la population générale.
Un enjeu uniquement national ?
Au-delà du débat sur la pertinence de la campagne de rappel, l’administration de la troisième dose soulève des questions éthiques, car il existe encore de grandes inégalités d’accès au vaccin dans le monde.
Notamment sur le continent africain, où le niveau de vaccination des populations est encore très faible : seulement 3% des personnes ont terminé leur calendrier vaccinal. Un retard principalement dû à la lenteur du programme COVAX, mis en place pour faciliter l’accès aux vaccins pour les pays en développement. Selon l’OMS, un total de 165 millions de doses ont été acheminées sur le continent à ce jour, pour une population d’environ 1,38 milliard d’habitants.
« Au niveau des pays, il est envisageable que les autorités sanitaires proposent une troisième dose pour les populations les plus à risque, pour éviter un effondrement hospitalier. Or, vacciner globalement une population avec une troisième dose alors qu’il y a des pays entiers qui n’ont pas accès à la première n’est clairement pas une stratégie de santé judicieuse », estime Jean-Daniel Lelièvre.
« Quiconque pense pandémie, pense stratégie globale, et politique de santé strictement nationale ne peut vaincre le virus », souligne Gérard Dubois. « Cependant, il est vrai que les implications hospitalières, médicales et économiques sont tellement nombreuses que les dirigeants sont obligés de tout mettre en œuvre pour protéger leurs populations. A tel point que beaucoup d’entre eux ont été critiqués pour leur manque d’anticipation dans cette crise. Aujourd’hui, la question de la troisième dose est un calcul politique très difficile ».
Début août, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a appelé à reporter l’utilisation des troisièmes doses jusqu’à fin septembre, afin de réduire l’écart abyssal dans l’accès au vaccin entre pays riches et pays pauvres.
Un mois plus tard, son PDG, Tedros Adhanom Ghebreyesus, était franc : « Je ne resterai pas silencieux pendant que les entreprises et les pays qui contrôlent l’approvisionnement mondial en vaccins pensent que les pays pauvres du monde devraient se contenter des restes.
De son côté, le président américain Joe Biden préfère souligner les 114 millions de doses envoyées aux pays en développement, faisant des États-Unis le premier donateur mondial de vaccins Covid-19.
Cet article a été adapté de son original en français