“Cli-fi” : et le climat entre en scène

“Cli-fi” : et le climat entre en scène

Une partie des auteurs de “climate fiction” (la “fiction climatique”) en sont persuadés : la littérature peut aider à prendre conscience de l’urgence climatique et à agir face à elle. Difficile à vérifier, l’hypothèse fait son chemin. 

L’histoire se situe dans un futur proche. Confronté à une vague de chaleur qui décime en quelques jours une petite ville de l’Inde, le gouvernement décide de vaporiser de l’acide sulfurique dans l’atmosphère afin de rafraîchir le climat. Au même moment, un groupe d’écologistes radicalisés déclenche un mouvement de protestation meurtrier contre la poursuite des émissions de gaz à effet de serre et utilise des essaims de drones pour abattre des avions de ligne”.

De leur côté, des scientifiques basés aux deux pôles “tentent de pomper les eaux se trouvant sous les calottes polaires dans l’espoir de les empêcher de glisser dans les océans, ce qui provoquerait une hausse catastrophique du niveau des mers”. Le tout pendant qu’une nouvelle organisation internationale s’emploie à “prendre la parole au nom de toutes les créatures vivantes, présentes et futures qui ne peuvent pas se défendre par elles-mêmes”.

Cette intrigue, foisonnante (ainsi résumée par The Guardian) est celle de The Ministry of Future (“le ministère du futur”), dernier roman en date – encore inédit en français – de Kim Stanley Robinson. Comme le souligne The Wall Street Journal, cet auteur américain (connu pour sa “Trilogie martienne”, traduite aux Presses de la Cité) “passe ses journées à inventer des versions fictives d’un avenir où le climat a changé”. Au point qu’il est aujourd’hui considéré comme le chef de file de la “cli-fi”, contraction de “climate fiction” (“fiction climatique”).

Ce genre a été conceptualisé au début des années 2010 sous la plume de Dan Bloom, un auteur et activiste vivant à Taïwan, qui a rassemblé sous ce nom un ensemble d’œuvres littéraires dont le réchauffement constitue la toile de fond. La cli-fi ne se résume pas à la SF, mais elle s’y trouve particulièrement bien représentée.

Un message optimiste

Le magazine Wired le souligne : “Pour l’essentiel, les livres de cli-fi mettent l’accent sur le danger, mais ils contiennent un message optimiste, et leurs personnages finissent quand même par triompher – ou, au moins, ils s’en sortent.” Alerter sur l’urgence climatique, ne pas nier l’éventualité de la catastrophe, mais permettre au lecteur d’entrevoir un futur tenable à défaut d’être radieux : telle est la philosophie revendiquée par Kim Stanley Robinson. 

Intéressé par la géo-ingénierie (cette branche contestée de l’écologie qui propose de modifier artificiellement le climat), le romancier ne croit certes pas à la capacité de la cli-fi à révolutionner le monde. Mais ses lecteurs “seront peut-être mieux préparés [aux bouleversements à venir] que s’ils n’avaient pas lu [ses livres]”, avance-t-il dans un entretien publié sur le Polygon.

Tester la force des récits

La lecture comme moyen de s’adapter, voire de mobiliser contre le réchauffement ? L’hypothèse a été testée à petite échelle par un groupe de chercheurs internationaux, dont l’étude a été publiée à l’été 2020 dans la revue Environmental Communications. Sur les 750 sujets mobilisés, deux tiers ont eu à lire une nouvelle littéraire parlant de réchauffement et un tiers une nouvelle portant sur un autre sujet. Les chercheurs ont interrogé les lecteurs trois fois – une fois avant lecture, une autre juste après, et la dernière environ un mois plus tard”, rapporte le site néo-zélandais Stuff.

Constat : les histoires qui traitent du climat ont bien eu un effet sur leurs lecteurs, qui se sont sentis plus concernés après les avoir refermées. Mais cet effet semble de courte durée. “Un mois après avoir lu la nouvelle, l’effet s’était dissipé”, rapporte Stuff.

Une tendance inverse : la “doomer lit”

Les effets de la cli-fi sont donc à nuancer, d’autant que la vision relativement optimiste d’un Kim Stanley Robinson cohabite avec celle, beaucoup plus sombre, de la “doomer lit” (que l’on peut traduire par “littérature du pire”). Une tendance qui n’est pas limitée à la science-fiction, et qui elle aussi gagne du terrain, selon Wired. 

Le magazine cite parmi ses représentants les romancières Claire Vaye Watkins ou Jenny Offill, dont les ouvrages les plus récents prennent au sérieux l’idée que nous soyons condamnés à la catastrophe” et considèrent “qu’il est logique de réagir par le découragement”.

Delphine Veaudor

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