Les détenteurs d’un précieux violon confisqué par les nazis refusent d’indemniser les descendants du commerçant juif qui en était le propriétaire. L’affaire souligne les lacunes juridiques de la politique de restitution menée par Berlin depuis 2013.
C’est l’histoire d’un violon confectionné en 1706 par Giuseppe Guarneri (1698-1744), l’un des plus célèbres luthiers de la ville italienne de Crémone, contemporain d’Antonio Stradivari. Mais l’affaire dont il est question ici commence véritablement en 1938, à Stuttgart, quand le précieux instrument est acheté par Felix Hildesheimer, un commerçant juif spécialisé dans les articles de musique. À l’époque, l’homme fait déjà l’objet de persécutions. À cause des boycotts orchestrés par les nazis, il a perdu ses clients non juifs. Il doit “vendre sa maison et son commerce, avant de se suicider, le 1er août 1939”, raconte le quotidien allemand Handelsblatt.
En 2016, l’espoir d’une solution
Entre-temps, ses deux filles ont réussi à se réfugier aux États-Unis, bientôt suivies par son épouse. La trace du violon, elle, se perd jusqu’en 1974. Cette année-là, l’instrument réapparaît à Cologne, en ex-Allemagne de l’Ouest, où il est acheté par la violoniste Sophie Hagemann. À sa mort, en 2010, celle-ci le lègue à la Fondation Franz Hofmann et Sophie Hagemann, qui porte son nom et celui de son mari, et qui vient en aide aux jeunes musiciens.
Nouveau saut dans le temps : en 2003, Berlin met en place une commission consultative (à l’époque appelée “commission Limbach”) pour tirer au clair la trajectoire des biens spoliés par les nazis et préconiser d’éventuels dédommagements ou restitutions. En 2016, cette commission établit que, ce qu’il restait des biens de Felix Hildesheimer ayant été “confisqué et mis aux enchères par la Gestapo”, il est “évident” que le commerçant “n’a pu perdre le violon que dans des conditions qui justifient aujourd’hui restitution”, rapporte Handelsblatt. Elle laisse à la fondation la possibilité de garder l’instrument, mis à disposition de jeunes musiciens de l’université de musique de Nuremberg, en échange d’un dédommagement de 100 000 euros. Cette solution est alors approuvée par les deux parties, les héritiers comme la fondation.
Une commission sans pouvoir
Nous voici maintenant en 2021. Aucune somme d’argent n’a encore été déboursée. Dans un communiqué publié le 20 janvier, la fondation fait valoir que Felix Hildesheimer aurait vendu son commerce non en 1939, comme on le pensait jusque-là, mais en 1937. Elle défend l’hypothèse contestée que le marchand ait vendu le violon de son plein gré et refuse le versement de la somme prévue.
Pour Handelsblatt, l’affaire, “embarrassante”, démontre les limites de la politique de restitution menée par l’Allemagne : “La commission consultative est uniquement habilitée à faire des recommandations, et celles-ci ne sont pas juridiquement contraignantes pour une fondation privée. En conséquence, la commission est un organisme sans aucun pouvoir.”
Le quotidien financier de Düsseldorf conclut en ces termes :
L’exemple du violon Guarneri de Felix Hildesheimer montre la gravité de la malformation congénitale dont pâtit la commission, incapable de donner à ses décisions un cadre juridiquement contraignant. C’est une lacune à laquelle seul le législateur peut remédier.”