Au cœur des infrastructures, des matériaux polluants

Au cœur des infrastructures, des matériaux polluants

Les effets négatifs sur la nature des infrastructures liées aux énergies renouvelables sont sous-estimés, alerte The Daily Telegraph. La course à l’extraction des terres rares, nécessaires à leur fabrication, s’annonce particulièrement néfaste.

Voici une belle perspective : d’ici à 2050, notre nation insulaire ne contribuera plus aux émissions de gaz à effet de serre. Elle favorisera même l’embellissement du globe en ne laissant aucune empreinte, aucune trace de carbone qui menacerait les générations futures, se contentant de caresser la surface d’une mer argentée.

Pour autant, nous, les habitants de l’île, nous ne serons pas privés d’énergie, nous n’aurons pas à gérer nos watts avec parcimonie, nous n’aurons pas à grelotter physiquement tandis que nous nous recroquevillerons économiquement et politiquement.

Certainement pas ! En effet, il y a deux mois, Boris Johnson a expliqué comment nous pourrions avoir le beurre et l’argent du beurre, en consommant à plein régime au cours des trois prochaines décennies grâce à la révolution industrielle verte, génératrice de progrès fondés sur des énergies propres et permettant aussi d’avoir la conscience propre. “Nous allons canaliser la puissance de Mère Nature, a-t-il déclaré. L’écologie et la croissance peuvent très bien aller de pair.”

Plan de 1 645 milliards d’euros

Novembre a également été un grand mois en matière de politique environnementale de l’autre côté de l’Atlantique, avec la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle, annonçant le retour des États-Unis dans l’accord de Paris (cet accord historique de 2016 – bafoué par Donald Trump – visant à empêcher les températures moyennes mondiales de s’élever de plus de deux degrés au-dessus des niveaux préindustriels).

Comme Johnson, Biden a promis une révolution des énergies vertes, mais à une bien plus grande échelle. Alors que la Grande-Bretagne s’engage à investir l’équivalent de plus de 13,9 milliards d’euros, le plan de Biden prévoit de dépenser près de 1 645 milliards d’euros.

Au Royaume-Uni, les chaudières à gaz pourraient être interdites dans les maisons neuves dès 2023, au profit des chaudières à hydrogène ou des pompes à chaleur. Les voitures à essence et diesel devraient amorcer leur déclin jusqu’à ce que leur vente soit également interdite en 2030.

Le Royaume-Uni obtient déjà de bons résultats en matière d’énergies renouvelables. Selon des chiffres récents, environ 45 % de notre électricité était produite ainsi en 2020, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2019. Cependant, afin de réaliser vraiment son rêve de neutralité carbone, la Grande-Bretagne devra combler le fossé restant, mais le chemin est tout tracé pour y arriver.

En effet, habitant sur une île, nous sommes particulièrement bien placés pour profiter de l’essor de l’éolien en pleine mer, là où le vent souffle fort et de façon régulière. Le Royaume-Uni est déjà un leader mondial dans ce domaine, avec environ un tiers de la capacité offshore de 29 gigawatts (GW) du globe. Nous avons accéléré notre rythme de construction de nouvelles installations, le plan consistant à quadrupler notre production d’ici à 2030.

S’il est mené à bien, ce sera une véritable prouesse, car, pour ce faire, nous avons besoin non seulement de turbines ancrées sur des hauts-fonds, mais aussi de plateformes flottantes géantes en eau profonde, avec des éoliennes également très grandes.

Actuellement, la turbine offshore la plus puissante du monde est l’Haliade-X de General Electric, qui peut alimenter une maison pendant deux jours avec une seule rotation de ses pales. Elle mesure 260 mètres de haut, soit deux fois et demie la taille de Big Ben. L’installation du premier parc d’Haliade-X au monde, comprenant 190 éoliennes, devrait commencer en 2023 au large du Yorkshire.

Au sommet de ces immenses machines se trouve une nacelle géante qui abrite tous les composants nécessaires à la production d’électricité. Sur l’Haliade-X, cette nacelle fait 11 mètres de large et contient le générateur PMG, M pour “magnet” (“aimant”), un énorme aimant…

Terres rares pas si rares

C’est là, alors qu’on se trouve au zénith d’une technologie qui promet de nous libérer de la pollution et du risque d’empoisonner la planète, que le rêve vert commence à se ternir. En effet, les éoliennes offshore n’utilisent pas, en règle générale, des aimants ordinaires.

Les leurs se distinguent avant tout par leur taille énorme : la turbine Haliade-X nécessite sept tonnes d’aimants permanents, explique Paul Atherley, le président de Pensana, une société minière britannique.

La plupart des aimants utilisés dans les turbines offshore pèsent près de 650 kilos par mégawatt (MW) produit. Le plus souvent, environ un tiers de cet aimant est composé de matériaux aux noms étranges comme le néodyme ou le dysprosium, appartenant à un groupe de métaux connus sous le nom de “terres rares”. Bien que ces terres rares ne soient pas rares, elles peuvent en revanche être très, très sales. Elles n’en restent pas moins extraordinaires.

“Elles ont des propriétés vraiment étonnantes”, explique Guillaume Pitron, un journaliste français, réalisateur de documentaires, qui a consacré des reportages au commerce mondial des matières premières et qui a écrit un livre intitulé La Guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique.

Dans les éoliennes, les terres rares sont prisées pour leur force magnétique élevée. “Elles sont sept à dix fois plus puissantes que des aimants classiques”, explique Guillaume Pitron, ce qui permet d’augmenter considérablement la production d’électricité. Cependant, il n’y a pas que pour les éoliennes que les terres rares sont essentielles.

Leurs propriétés exceptionnelles sont également vitales pour les panneaux solaires, les batteries rechargeables, les ampoules à faible consommation d’énergie et les moteurs des voitures électriques. Ces moteurs à aimants, “dégagent une puissance incroyable comparativement à leur poids, souligne Paul Atherley. C’est ce qui permet à la Porsche Taycan [électrique] de passer de 0 à 60 km/h plus rapidement que la McLaren Mercedes F1 de Lewis Hamilton.”

“Cas de catastrophe environnementale”

Bien que dites “rares”, ces terres ne posent pas en réalité de problème de rareté, car elles sont aussi abondantes que l’argent, et présentes partout sur la planète, y compris en Grande-Bretagne, explique Andrew Bloodworth, du British Geological Survey (l’Institut d’études géologiques britannique). En fait, c’est leur extraction du sol qui pose problème.

Comme ces éléments rares sont répartis en quantités infimes dans le sol, il faut creuser la terre jusqu’à former des tas immenses de minerai, les traiter et les raffiner pour parvenir à en produire de minuscules quantités. Ainsi, pour un seul kilo de gallium (utilisé dans les ampoules à basse consommation d’énergie), il faut excaver 50 tonnes de roche, indique Guillaume Pitron.

Une grande partie de cette excavation de terres rares se fait à Baotou, une grande ville de la province autonome chinoise de Mongolie-Intérieure, dont la population a explosé, passant de moins de 100 000 à plus de 2,5 millions d’habitants depuis que la ville est devenue l’épicentre de la dépendance du globe aux métaux rares. Mais Baotou en a payé le prix fort. Aux yeux de Paul Atherley, qui a toujours travaillé dans l’industrie minière, Baotou est “un cas affreux de catastrophe environnementale”.

Pour Andrew Bloodworth, “il est impossible d’ignorer la nécessité de réduire l’empreinte écologique de l’extraction des terres rares”.

Menace sur la faune et la flore

Pour cela, il existe des solutions évidentes. Nous pourrions consommer moins. Mais la révolution verte ne fait que commencer. “Nous allons dépendre de plus en plus des technologies renouvelables”, observe Andrew Bloodworth, qui prévoit une multiplication par cinq, neuf ou vingt de la consommation de différents métaux dans les prochaines années.

“Tout le monde s’accorde à reconnaître que le plus important serait de recycler davantage ces terres rares.” Mais c’est extrêmement difficile, en raison justement de leurs propriétés magnétiques élevées. De plus, elles sont souvent utilisées en très petites quantités, en combinaison avec d’autres matériaux.

En fait, de nombreuses énergies renouvelables se révèlent finalement très difficiles à renouveler. “On a tendance à considérer les panneaux solaires comme une énergie propre, mais en réalité, il n’existe pas de plan approprié pour leur recyclage au terme de leurs vingt ou vingt-cinq ans de durée de vie”, souligne Michael Shellenberger, auteur et militant écologiste, qui se demande :

Ne serions-nous pas en train de détruire notre environnement à cause de nos efforts pour tenter de sauver le climat ?”

L’extraction et le recyclage ne sont que deux des nombreux problèmes soulevés par les énergies renouvelables, explique Michael Shellenberger. La menace qu’elles font peser sur la faune et la flore pose également question, cette menace n’étant pas que le résultat de l’exploitation minière. Ainsi, les parcs solaires ayant besoin de vastes espaces, leur construction peut entraîner le déplacement d’animaux ; quant aux parcs éoliens, ils constituent une menace pour les oiseaux, en particulier pour “les grands oiseaux qui se reproduisent lentement tels que les milans, les rapaces, les aigles, les éperviers et les hiboux”, selon Michael Shellenberger.

Autre inconvénient des énergies renouvelables : leur manque de fiabilité, ou leur “intermittence” pour utiliser le jargon technique. En effet, l’énergie éolienne ne peut être produite que lorsqu’il y a du vent, et l’énergie solaire lorsqu’il y a du soleil. Un récent rapport du cabinet McKinsey explique en détail comment la dépendance croissante de l’Allemagne à l’égard de l’énergie solaire et éolienne a failli entraîner des coupures de courant généralisées en juin 2019. Quant à la France, qui tire l’essentiel de son énergie du nucléaire, elle a dû augmenter parallèlement l’approvisionnement en combustibles fossiles comme solution de secours quand elle a voulu faire la part belle à l’éolien dans son réseau d’approvisionnement en électricité. “Il en a résulté une augmentation des émissions de carbone”, explique Michael Shellenberger.

Fouilles en Europe

Si le commerce annuel de terres rares ne représente actuellement que 6,5 milliards de dollars [5,34 milliards d’euros], soit 276 fois moins que le pétrole, ces terres commencent à prendre une importance géopolitique équivalente à celle de l’or noir, selon Guillaume Pitron, qui interroge : “Nous en avons besoin, mais comment allons-nous sécuriser leur approvisionnement ? Quels sont les pays qui deviendront la nouvelle Arabie Saoudite des métaux rares ? L’Argentine, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, la Russie, la Chine, le Kazakhstan vont tous essayer d’étendre leur influence grâce à ces ressources qu’ils possèdent et dont nous avons besoin. Il existe donc un risque de voir se reproduire avec ce ‘nouveau pétrole’ tous les conflits liés à l’accès au pétrole que nous avons connus au XXe siècle.”

En septembre dernier, l’UE a annoncé un plan d’action sur les matières premières critiques. Le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a évoqué la nécessité d’acquérir une “autonomie stratégique” en “forgeant des alliances” avec le Canada et l’Australie (deux pays connus pour leurs réserves de terres rares) et aussi en effectuant des fouilles en Europe à la recherche de ces métaux. Bien qu’il n’y ait pas de traces récentes d’exploitation minière de terres rares en Europe, des gisements ont été identifiés au Groenland et en Suède.

Cependant, il faut bien reconnaître que toute extraction de minerais a un coût environnemental. Pour Michael Shellenberger, toute la révolution de l’énergie verte, menée à coups de milliards par Boris Johnson et de milliers de milliards par Biden, constitue de ce fait une énorme erreur, surtout si l’on prend en compte également le caractère aléatoire et diffus des énergies renouvelables.

Les énergies renouvelables courent à l’échec, et elles vont échouer de façon spectaculaire partout au cours des prochaines années, jusqu’à ce que nous découvrions qu’il n’y a pas vraiment d’autre solution – sur le plan du changement climatique – que de faire appel largement au nucléaire.”

Guillaume Pitron n’est pas aussi catégorique : “Je ne suis pas contre les énergies vertes”, précise-t-il. Néanmoins, il craint que nous n’échappions à un piège que pour tomber dans un autre : “Obtenir ces métaux va avoir de nombreux impacts sur l’environnement, avec des mines toujours plus grandes et plus profondes, creusées jusque dans les océans. Nous nous dirigeons vers une situation où, dans vingt ans, le coût des technologies vertes sera en fait supérieur aux bénéfices. C’est de la folie !”

Harry de Quetteville

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