Ce journaliste britannique partage son quotidien de critique littéraire précaire dans une chronique hebdomadaire caustique et pleine d’autodérision. Récemment, le tweet d’un lecteur l’accusant d’avoir écrit un article “banal” l’a mis en rogne : ne le sommes-nous pas tous devenus à cause du Covid-19 ?
J’ai eu une altercation sur Twitter l’autre jour. Cela arrive de temps en temps. Mon détracteur exprimait ses griefs à propos d’une de mes chroniques évoquant, entre autres choses, la façon de nommer les tempêtes.
“Encore un sujet banal de merde de la part d’un magazine qui n’est plus bon qu’à éponger les fientes de perroquets !” s’indignait ce twitto. J’ignore tout des caractéristiques d’une bonne litière pour volatiles en cage, mais je pense avoir compris le fond de sa pensée. Je lui demandai alors si il ou elle pouvait m’éclairer sur le moment qui avait marqué cette déliquescence. Je m’attendais à une réponse de l’ordre de “quand ils vous ont embauché”, mais il n’en fut rien. “Quand ils ont fusionné avec les raclures du New Society.”
Un mot qui s’applique à presque tout
Et bien, voilà quelqu’un qui s’inscrit dans le temps long. Les raclures du New Society ont rejoint les équipes du New Statesman en 1988, qui s’est même rebaptisé un temps le New Statesman (en lettres capitales) and Society (en lettres sensiblement moins capitales). Puis, je ne sais plus au bout de combien de temps, les deux derniers mots ont disparu du titre. J’étais à l’époque un lecteur occasionnel et je me souviens de ce rachat. Je ne me souviens toutefois pas d’un changement radical dans les contenus du Statesman.
Mais je digresse. Car un mot en particulier m’a interpellé au cours de cette algarade numérique : “banal”. L’épithète “de merde” m’a moins surpris, sa présence venant assez logiquement compléter le “banal”. Maintenant, et bien que je sois à peu près sûr que mon interlocuteur n’a pas été au-delà du titre de ma chronique, je dois avouer que l’adjectif “banal” fait un peu mal. J’aurais préféré qu’il utilise mundane (“ordinaire”), qui a le bon goût de trouver ses racines dans le latin mundus (qui nous a donné “monde”, mais qui signifie aussi “propre”, “élégant”). Mais finalement, qu’est-ce qui n’est pas banal ? Dans le roman d’Evelyn Waugh Scoop [1938], l’auteur John Courteney Boot fait la rencontre d’une enfant surdouée, Josephine, qui ne cesse de répéter ce mot : “On dirait que tout te semble banal.” “C’est un mot nouveau dont je n’ai appris l’usage correct que récemment, dit Josephine avec dignité. Je trouve qu’il s’applique à presque tout.”
Coincés dans nos balles de ping-pong
C’est certainement un problème auquel le chroniqueur attentif et badin du quotidien ne manquera pas de se heurter de temps à autre. L’autre jour, j’ai lu un papier du Guardian sur la sauce ranch du présentateur de télévision Andrian Chiles qui m’a d’abord fait enrager par sa banalité. Mais qui suis-je pour lancer la première pierre ? Au moins, à la fin de son article, vous connaissez le secret de sa sauce ranch végane – secret qui n’était a priori connu auparavant de personne au monde à l’exception d’Adrian Chiles et de sa partenaire. Il parle ensuite de sa façon de se brosser les dents et j’ai commencé à voir ses qualités de chroniqueur : pointu, précis, vif (“Le dentiste m’a donné trois types de brossettes de tailles différentes, m’expliquant qu’elles étaient préférables au fil dentaire”, etc.).
On m’a un jour dit que l’on pourrait me demander d’écrire un texte à propos de l’intérieur d’une balle de ping-pong. C’était autrefois une punition que donnaient certains professeurs dans certaines écoles et, bien que je n’aie jamais eu à le faire, l’idée paraissait amusante.
Aujourd’hui, nous sommes tous coincés à l’intérieur de nos balles de ping-pong. Ayez donc pitié de ceux d’entre nous qui doivent écrire dessus – ou du moins laissez-les faire. Hier, ma connexion Internet faisait des siennes, je suis donc allé voir mes voisins du dessous pour leur redemander leur mot de passe et, même si je n’y ai littéralement fait que deux pas, j’ai pu voir l’intérieur d’un autre appartement. Je pense que cette seconde partie de phrase mériterait d’être en italique.
“Votre appartement fait quelle taille ?”
De ce que j’ai vu, c’était un très bel appartement dont le principal mérite était de ne pas être le mien. Car je me rends compte que la palette de couleurs (de l’appartement dans lequel je viens d’emménager) correspond plus ou moins, du sol au plafond, à celle qu’offrirait l’intérieur d’une balle de ping-pong par une journée maussade et sans soleil. Il n’est aussi guère plus grand.
“Votre appartement fait quelle taille ?” me demanda le voisin, se rendant rapidement compte que ce n’était pas là la plus délicate des questions.
Je fis un geste en direction de la cuisine sur la droite. “Deux pièces, à peu près de cette taille, répondis-je. Avec une cuisine, d’environ cette taille”, ajoutai-je en pointant le doigt vers le couloir de moins de deux mètres à ma gauche.
“Ah, fit-il, l’air un peu confus. Je croyais que tous les appartements faisaient la même taille ici”, dit-il du fin fond de son salon qui, comparé à mon appartement, semblait à environ un jour et demi de marche de l’endroit où je me tenais. “Vous l’avez bien aménagé ?”
Hélas, point de consolation dans ce domaine, même s’il n’y était pour rien. (Je dois souligner que ce sont des voisins vraiment adorables.) “Non, répondis-je. Pas vraiment.”
Il n’empêche, il y a quand même des améliorations par rapport à mon ancien appartement : le bureau, le lit, le frigo (qui reste un petit frigo d’étudiant mais qui a un compartiment congélateur qui marche bien parfois), la vue, et… oh, tant de banalité. Mais après tout, ne sommes-nous pas tous dans le même bateau ?