Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, les hommages aux victimes s’expriment en brassées de fleurs au pied de la statue de la République. Nombre de ces fleurs sont achetées à des vendeurs de roses, qui passent avec discrétion dans la foule. Comment ces hommes, qui travaillent surtout le soir, aux abords des bars et des salles de concerts, vivent-ils le traumatisme des attaques? Monomania a recueilli le témoignage de Nazrul Amin*, jeune bengladais.
Nazrul Amin a le sourire doux et timide. Attablé à la terrasse d’un café place de la République, il ne peut s’empêcher de jeter un coup d’oeil appréhensif aux gendarmes qui quadrillent le lieu. Ce bengladais de trente ans n’a pas de papiers, alors avec l’état d’urgence, il a peur des contrôles de police qui s’intensifient. “J’ai peur qu’ils m’arrêtent et qu’ils me revoient au Bengladesh. Si je retourne là-bas, je serai en danger.”
Militant au Parti nationaliste du Bengladesh, principal parti d’opposition, il quitte son pays après avoir reçu menaces et pressions. Il est arrivé en France il y a deux ans. Mais la Cour nationale du droit d’asile n’accède pas à sa demande de régularisation. “Je crois qu’il y a eu un problème dans la construction de mon dossier, l’administration ne m’a pas expliqué. Je n’avais pas d’adresse, je pense que c’est pour ça.” En effet à son arrivée à Paris, Nazrul Amin dors au petit bonheur, dans des parcs ou dans la rue.
“Je ne pensais pas que ma vie deviendrait comme ça”
Si aujourd’hui Nazrul vend des roses dans les rues de Paris, au Bengladesh il était entrepreneur. “J’avais mon entreprise dans le bâtiment, je gagnais très bien ma vie.” Il se marie il y a trois ans avec Shakila, une jeune maître de conférence à l’université de Dakha. Un an plus tard, ils ont une petite fille, Rufayda. Son père ne l’a vu que pendant ses 21 premiers jours, avant d’être forcé à l’exil. “Je ne pensais pas que ma vie deviendrait comme ça” murmure-t-il.
En découvrant à la télévision la nouvelle des attentats du 13 novembre dernier, sa famille s’inquiète, l’appelle. Il les rassure: il était chez lui ce soir-là. “Depuis, j’ai très peur. Mais je dois gagner de l’argent, donc je dois aller travailler je n’ai pas le choix.” Mais les forces de l’ordre en grand nombre aux abords de la place de la République et des lieux des attaques le dissuadent de venir dans cette zone. “Vendredi dernier je suis allé à Bastille. Mais c’était très dur, les gens étaient tendus. Je n’ai pas vendu une seule rose.” Ne pas vendre une rose de son bouquet, c’est travailler à perte. “J’ai tout jeté. J’ai perdu 20 euros ».
*Le prénom a été modifié.