« Les Brigandes » renouvellent le rock identitaire français

Elles sont le nouveau visage du rock identitaire français : depuis août 2014, une nouvelle vidéo des « Brigandes » paraît tous les mois sur Youtube. Réactionnaires, catholiques extrémistes, ouvertement racistes et homophobes, les sept jeunes femmes ont entrepris de s’approprier les codes de la musique pop-rock pour leurs revendications d’extrême droite. Analyse.


Le rock identitaire français, qu’est-ce que c’est ?

Le rock identitaire français (RIF) est apparu dans les années 1990, avec pour projet de produire et de diffuser une musique à la fois politiquement orientée et suffisamment consensuelle pour toucher le plus grand nombre. Pour sortir à la fois d’un underground musical peu fédérateur (hard rock – métal) et des groupuscules nationalistes à effectifs restreints, ce nouveau courant a vocation à rassembler des groupes partageant une cohérence idéologique, mais capables de l’exprimer avec une certaine modération. Objectif : gagner les faveurs du grand public puis, fort de ce succès, profiter de cette notoriété pour diffuser leurs opinions. Les groupes de RIF les plus célèbres sont sans doute Fraction, In memoriam (né en 1994 après la mort de Sébastien Deyzieu) ou encore Île-de-France.


 

« Vous étiez sans Dieu ni maître/ Mais vous filez doux, à la baguette/ Satanistes convertis/ A l’islamophilie. ». Dans un costume très années folles, la chanteuse masquée égrène les accusations d’une voix aigrelette, sans s’embarrasser de rimes ni de scansion. « Avides », « fume[urs] de shit », « vampires », « dépravés », « possédés », « hyènes » et même « pédophiles », le réquisitoire est impitoyable. Sa cible ? Les soixante-huitards, « Dany » (Daniel Cohn-Bendit) et « Nanard » (Bernard Kouchner) en tête, censés tenir les rênes du gouvernement français.

https://www.youtube.com/watch?v=Gi7lY-3FVuI

 

Contre la submersion, la subversion

Car les Brigandes ont fait du complotisme leur cheval de bataille. Leurs chansons sont ouvertement dichotomiques : « nous » contre « eux ». Le « nous », c’est celui du rock identitaire français apparu dans les années 1990, celui des groupes emblématiques Fraction et In memoriam : une identité française, souvent catholique, toujours blanche, évidemment d’extrême droite. Et « eux »… c’est le reste. En vrac, « les gauchos » (soixante-huitards en tête), les « antifas », les « politicards », de gauche comme de droite, la culture américaine, le phénomène “Je suis Charlie“, les « rebeus » (et leur kebab, honni !), l’Islam, le cannabis, les « pédés », les francs-maçons, les jésuites et Francis Cabrel. Lesquels, du reste, sont tous plus ou moins les mêmes : les soixante-huitards de « la loge » pratiquent « le djihad démocratique », Hollande, Valls, Sarkozy et Juppé pêle-mêle sont des « chiens de politicards » et des « félons », le gouvernement français comme les musulmans sont au service de Satan et tout ce petit monde est à un moment ou à un autre taxé de pédophilie. Une cible bien vaste, donc, pour les sept vengeresses masquées.

Car les musiciennes tiennent à garder l’anonymat. Parmi les rares informations qu’elles laissent filtrer, on apprend que la plupart sont mariées, et que six d’entre elles ont un ou plusieurs enfants. Issues des quatre coins de la France, elles se rassemblent depuis l’été 2014 pour enregistrer leurs chansons, tourner leurs clips et à l’occasion de quelques rares concerts. Toutes de jeunes brunes aux cheveux longs, arborant des costumes extravagants ou de longues robes blanches, elles cultivent à chacune de leurs apparitions une image de douceur et de féminité qui sert leur version « soft » de l’extrême droite.

« On est très loin du rock identitaire classique, plutôt métal, auquel l’extrême droite est traditionnellement associée, analyse Anne Muxel, directrice de recherche au CEVIPOF. Cette musique folk, assez douce, faite par un groupe de filles, leur permet de distiller des idées nationalistes d’extrême droite de façon soft, insidieuse. Au fond, c’est moins direct, moins brutal, d’une certaine façon: elles avancent masquées, dans tous les sens du terme. »

Mais sous le masque, l’idéologie reste la même. Et pour servir leur dénonciation, les Brigandes osent tout : leurs textes regorgent d’incitations à la haine et d’appels aux armes. Ainsi, dans « Le grand remplacement », elles dénoncent l’envahissement et la submersion (supposés) de la France par les musulmans. La vidéo s’ouvre sur des propos attribués à un rabbin extrémiste soutenant que l’envahissement de l’Europe par des bataillons islamiques serait « une bonne nouvelle », en tant que prémices au retour du « Messie d’Israël ». Ce qui permet aux Brigandes de condamner du même mouvement juifs orthodoxes, envahisseurs musulmans et « politicards » complaisants. Mais c’est « Rêve de reconquête » qui leur tient lieu de programme. Au menu : « dégage[r] la vermine », « reprend[re] Algéziras » (sic), « libére[r] l’Afrique », « [mettre] à terre les minarets, abomination ! » – le tout sur fond de guitares électriques projetant des flammes et des fleurs de lys.

brigandesguitareslys

 

Anti-système et réactionnaires

Dans ses interviews – qu’elle n’accorde qu’aux blogs nationalistes – Marianne, la leader du groupe tente tout de même de préciser ses objectifs. Elle explique ainsi dans un entretien au Comité de Salut Public (le compte qui diffuse leurs vidéos), vouloir mettre « l’art et la culture » au service d’« une cause juste » : « on tape sur le système et l’ordre établi avec humour, avec classe, et quand même un peu de talent », assène-t-elle, tout en modestie. Dans une autre interview, au blog royaliste Vexilla Galliae, elle dit interpréter « des chansons à la fois contestataires et humoristiques sur la décadence de la société moderne ». Anti-système et réactionnaires, donc : on n’en apprendra guère plus à la lecture de leurs entretiens.

Ce fourre-tout idéologique leur permet de ratisser large à l’extrême droite. A Vexilla Galliae, Marianne se vantait de voir les Brigandes toucher « une sphère assez large depuis Egalité et Réconciliation (association politique fondée en 2007 par Alain Soral et deux anciens responsables du GUD, ndlr) jusqu’à la Fraternité Saint Pie X (société suisse de prêtres catholiques traditionnalistes, ndlr), en passant par les Dieudonnistes de la quenelle, le FN des partisans de Jean-Marie Le Pen, et de manière générale la mouvance dite nationaliste, qu’elle soit chrétienne, paganiste ou agnostique. ».

 

Une portée qui demeure limitée

Mais le succès n’est pas à la hauteur de ces ambitions. Sur Youtube, les vidéos des Brigandes ne dépassent pas 140 000 vues: c’est plus que Fraction ou In memoriam, qui plafonnent à 40 000 vues, mais cela demeure peu en regard des clips mainstream. Les votes et commentaires y ont été désactivés (« en raison d’une avalanche de commentaires insultants – de la sphère gauchiste et homosexuelle en particulier – », précisent-elles sur le compte du Comité de salut public). Sur Facebook, leur fan-page, créée le 4 février, ne compte que 51 likes. Et pour cause : la virulence des paroles ne parvient pas à pallier l’insuffisance musicale du groupe.

A l’instar de la scène RIF, les Brigandes ont une pratique profondément opportuniste de la musique : elles se contentent d’investir des styles déjà existants, afin d’y insérer, in fine, leur propre discours. « Cette stratégie de la récupération tous azimuts, écrit Gildas Lescop dans Musiques populaires underground et représentations du politique, pratiquée au détriment de la création pure, […] en limitera donc fortement, sur le plan strictement musical, non seulement l’intérêt mais encore et surtout la portée. » Et de conclure : « Ne se distinguant ni sur le plan de la qualité et encore moins sur celui de l’originalité, ces versions, fonds sonores mis au service d’un discours politique, ne pourront guère, en se limitant à cette fonction, prétendre sérieusement intéresser un public autre que celui des convaincus d’avance. »

Les Brigandes ont beau avoir voulu donner au RIF un nouveau souffle, leur audience reste donc globalement la même. Faute d’un talent suffisant pour dépasser leur cercle de connivence, elles continuent de prêcher des convertis.

Marine Jeannin

 

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