Dans Nous Traversons Ensemble (éditions Plon), un roman né d’un fait réel – un meurtre -, Denis Lemasson fait découvrir au lecteur la situation des réfugiés Afghans sans abri à Paris. Un ouvrage comme un cri du cœur.
Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce roman, sur un sujet si dur ?
Il y a eu un événement déclencheur en 2009, à Paris. Ce jour-là, je sors du Square Villemin, dans le 10e arrondissement et je vois un jeune réfugié les bras en croix sur la pelouse, après une bagarre. J’essaye de le réanimer et il meurt dans mes bras. J’ai été rattrapé par cette violence que j’ai connue en travaillant pour Médecins sans frontières en Afghanistan.
Mais quel était votre objectif, outre le désir d’écrire un roman ?
Je voulais comprendre comment les réfugiés vivent à Paris, comment ils y sont arrivés, quels sont leurs liens avec Calais… Pour cela, il a fallu s’intéresser à cette guerre abominable et aux parcours de ces hommes et ces femmes pour y échapper, au péril de leur vie, fait de racket et trafics en tout genre. A l’Europe aussi, forteresse contre laquelle ils viennent se briser et qui les ballottent de pays en pays.
L’un des narrateurs est lui même un exilé Afghan. Et de nombreux personnages racontent leur histoires en utilisant la première personne du singulier. Vous pensez que ce procédé aide le lecteur à s’identifier ?
Oui. J’ai eu plein de retours très positifs du type « je ne savais pas que c’était comme ça », « on en entend parler tous les jours mais je n’avais pas réalisé » qui me font penser que l’effet est réussi.
Mais, mon objectif était aussi de ne pas parler à la place des gens qui vivent ça et d’essayer de restituer leurs paroles. Dans les discours des médias et des humanitaires les réfugiés sont souvent transformés en choses, en victimes passives. Ce n’est pas le cas dans mon livre.
Tout au long du récit, on ne cesse de se demander ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas…
Je me suis basé sur un an d’enquête, auquel il faut ajouter le travail que j’ai effectué dans des camps de réfugiés à l’étranger. J’ai écrit une histoire qui aurait pu exister mais qui reste une fiction. De plusieurs histoires, j’en ai fait une. De plusieurs personnages, j’en ai fait un.
L’imagination m’aide aussi à faire comprendre ce que les réfugiés vivent. Par exemple, les motifs Spiderman sur le bateau gonflable, dans la scène de la plage en Turquie. C’est une invention. J’ai rajouté ce détail pour illustrer le fait que ces hommes et ces femmes traversent vraiment la mer sur des bateaux de gamins, qui sont normalement destinés pour jouer dans une piscine.
Tous les faits, toutes les dates, sont vrais quand ils relèvent du collectif. Les personnages, eux, sont fictifs. Au grand dam de certains lecteurs d’ailleurs, qui sont notamment très déçus que Sarah [une volontaire, NDLR] n’existe pas. Mais j’en connais pleins des Sarah. Elles existent.
Pensez-vous, comme votre personnage de Sarah, que « nous préparons notre malheur » en traitant la question de ces réfugiés comme cela est fait actuellement ?
La réalité, c’est qu’on vit ensemble sur un même territoire. D’accord ou pas, c’est comme ça ! Ils sont dans les espaces communs : sur les places, dans les squares, sous les ponts. Et ils vont rester. Qu’est-ce qu’on fait de ces enfants qui sont dans les rues ? Si on ne les éduque pas, si on ne les aime pas, si on essaye pas de faire des choses avec eux, que va t’il se passer ? Que vont-ils reproduire de notre société ? De la manière dont on leur fait une place ? C’est un vrai enjeu de civilisation…
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