En 2012, 82 personnes se sont donné la mort à Paris. Les suicides y sont en moyenne moins fréquents qu’ailleurs sur le territoire national. Mais les chiffres sont sous-estimés et il reste encore beaucoup à faire pour lutter plus efficacement contre les passages à l’acte.
Lutter contre le suicide à Paris relève du défi. La capitale concentre 13 % des décès par suicide en Ile-de-France. En 2012, 82 personnes y ont mis fin à leurs jours, d’après le rapport 2016 de l’Observatoire national du suicide (ONS). Un bilan, certes, en deçà de la moyenne nationale. Il est néanmoins sous-évalué d’environ 10% (estimation sur l’année 2006), selon le numéro thématique Suicide et tentatives de suicide : état des lieux en France, publié par le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire en 2011.
Pour expliquer cette sous-estimation, il faut s’intéresser au circuit national des déclarations de décès par suicide. Celles-ci sont effectuées par l’Institut médico-légal, puis acheminées vers l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui collecte l’ensemble des certificats médicaux de décès en France. À Paris, la procédure est plus spécifique. Pour Françoise Facy, docteur en statistiques et présidente de l’Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS), les raisons de cette sous-estimation parisienne s’expliquent, en partie, par l’histoire de ses institutions : « L’institut médico-légal de Paris dépend historiquement de la Préfecture de Police. La transmission des certificats médicaux de décès par suicide à l’INSERM y est plus longue. A noter qu’il n’existe pas encore de circuit électronique qui rendrait la transmission de ces informations plus rapide entre les deux institutions. »
Les associations, maillon essentiel de la prévention
Pour ne rien arranger, il existe aussi des cas pour lesquels il reste difficile de reconnaître un suicide : « Par exemple, certaines morts liées à des accidents domestiques, comme une chute dans un escalier ou depuis une fenêtre, pourraient très bien être des suicides, mais l’on n’en a pas toujours la preuve », illustre Françoise Facy.
Ainsi, les « bons » chiffres de Paris en matière de suicide sont à relativiser. D’autant que les démarches de prévention y sont plus complexes. Les Franciliens confrontés à un épisode suicidaire sont généralement isolés. Ils le sont davantage dans l’anonymat de la capitale. Deux associations, d’envergure nationale, sont malgré tout très actives sur Paris : Suicide Ecoute (créée en 1994) et SOS Amitié (créée en 1960). Elles disposent chacune d’une à plusieurs cellules bénévoles d’écoute téléphoniques. Chez Suicide Ecoute, des bénévoles se relaient 24 heures sur 24 pour assurer la permanence téléphonique de l’unique ligne de l’association. Après plus de cinquante ans d’existence, SOS Amitié dispose désormais de trois centres d’appels sur Paris.
Un manque de visibilité, de moyens… et de bénévoles
La responsable communication de SOS Amitié, Marie-José Cronel, précise que seul 1 appel sur 7 peut être pris en charge par un bénévole en région parisienne. Pour les deux associations, le constat reste unanime : recruter des bénévoles demeure complexe, malgré des campagnes de communication fréquentes. Il faut également parvenir à financer leur formation. Les subventions publiques ne suffisent pas à assurer leur fonctionnement, qui repose en majorité sur les dons des particuliers. Or, Maxime Bonin, président de SOS Amitié, tient à rappeler le rôle joué par son association dans la lutte contre le suicide : « La parole libère et peut permettre à certains de ne pas passer à l’acte. S’il y a une chose que l’on sait, c’est que plus il y a de bénévoles, plus il y a d’appels… »
En 2014, presque la moitié des 18 744 appels reçus par la cinquantaine de bénévoles de Suicide Ecoute provenaient d’Ile-de-France : une proportion qui reste importante, même si l’on se suicide moins dans la région qu’ailleurs en France. Pascale Dupas, présidente de l’association, regrette qu’aucun numéro de téléphone d’urgence ne soit mis en place par l’Etat, comme c’est le cas au Canada, afin de permettre des interventions directes aux domiciles de personnes victimes d’un épisode suicidaire : « A Ecoute Suicide, du fait de l’anonymat garanti des appelants, nous n’intervenons bien sûr pas. »
La piste du suivi psychiatrique à domicile
Pascale Dupas invite également les structures hospitalières de la ville de Paris à s’inspirer de la structure d’Hospitalisation à domicile en psychiatrie mise en place par le centre hospitalier de Montauban (Tarn-et-Garonne). « Lorsqu’une personne fait une tentative de suicide, elle se retrouve prise en charge seulement un jour aux urgences puis est renvoyée chez elle avec un numéro de praticien, sans aucune garantie d’un suivi postérieur », regrette-t-elle.
L’action des associations reste en partie tributaire des politiques de santé publique. Le ministère de la Santé ne peut lutter efficacement contre le suicide à lui tout seul, que ce soit sur Paris ou ailleurs en France. A ce sujet, les médecins spécialistes de la question se rejoignent sur la nécessité d’une coopération inter-ministérielle. C’est le cas du psychiatre Jean-Louis Terra, également membre de l’ONS, qui affirme :
« La question est de savoir comment on coordonne, sur un territoire donné, les différentes actions qui permettent aux victimes d’un épisode suicidaire de bénéficier d’une aide. Dans le cas du suicide, les problèmes de logements ou d’alcool, par exemple, devraient être pris en compte au même titre que les problèmes de santé à proprement parler. »
À l’origine de la création de l’ONS en 2013, la ministre de la santé, Marisol Touraine, devrait présenter ce semestre un nouveau programme de lutte contre le suicide. Début février, les associations membres du réseau UNPS – Union Nationale pour la Prévention du Suicide – lui ont confié leurs recommandations, à l’occasion de la Journée nationale pour la prévention du suicide.