L’étrange lenteur de la campagne de vaccination en France

L’étrange lenteur de la campagne de vaccination en France

Commencée il y a une semaine en fanfare, la campagne française de vaccination se démarque de celle de ses voisins par sa cadence particulièrement faible. Que se passe-t-il en France ? s’interroge la presse étrangère.

Les chiffres ont de quoi surprendre. Comparée aux différentes campagnes de vaccination en Europe, la progression du nombre de doses du vaccin Pfizer-BioNTech administrées en France détonne, souligne le Financial Times ce dimanche 3 janvier : 1 million au Royaume-Uni, 238 000 en Allemagne, 350 dans l’Hexagone. Partout sur le continent, des critiques se lèvent, évoquant un démarrage trop hésitant de la vaccination. Mais la France est à la traîne au point que la presse étrangère se demande si Paris ne se dirige pas vers le prochain grand bug dans sa gestion de la crise sanitaire. Après les masques, puis les tests, serait-ce maintenant au tour de la campagne de vaccination de créer l’embarras à l’Élysée ?

Face à ce danger, Emmanuel Macron a exprimé – par le biais du Journal du dimanche – sa colère envers le gouvernement. Résultat : “La France revoit sa campagne de vaccination contre le Covid-19 après l’échec, au bout d’une semaine, de sa stratégie prudente et étalée en plusieurs phases qui visait à apaiser les craintes d’une population au sein de laquelle l’hostilité au vaccin bat des records”, annonce le quotidien londonien, pour qui la dimension politique du sujet ne fait pas de doute. “La pression monte sur le président Macron et pourrait déclencher une nouvelle polémique autour de la gestion de la pandémie par le gouvernement.” Et Bloomberg d’ajouter : “Les conseillers de Macron le savent : aux yeux des électeurs, il n’y aura pas de place pour l’erreur.”

Un torrent de sarcasmes

L’opposition et les professionnels du secteur de la santé ne retiennent en effet pas leurs critiques. Le très reconnu généticien Axel Kahn qualifie la campagne de vaccination de “désastre” et accuse les “lourdeurs administratives” d’en être les premières responsables, explique le FT. L’Académie nationale de médecine alerte de son côté : “Il n’est plus temps d’attendre.” Quelque 300 personnes meurent chaque jour en France du Covid-19, renchérit le quotidien.

Pour le Standard, à Vienne, c’est bien le sommet de l’État qui se trouve en ligne de mire. “Un torrent de sarcasmes se déverse aujourd’hui sur le pouvoir de Paris”, rapporte le quotidien autrichien, selon lequel, au rythme actuel, la France aura fini de vacciner sa population au plus tôt en 3855. Pourtant,

il n’est pas possible de prétexter des problèmes d’approvisionnement : tous les pays de l’Union européenne ont reçu une quantité de vaccins proportionnelle à leur population.”

C’est que, contrairement à la polémique concernant les masques ou les tests de dépistage, la lenteur de la vaccination semble partiellement voulue, explique le Standard. La prudence gouvernementale était censée susciter la confiance des59 % de Français qui, d’après les sondages, ne veulent pas se faire vacciner. Une exception européenne qui a de quoi surprendre au pays des Lumières.

Une exception de plus, qui s’explique par l’histoire, écrit en Belgique Le Soir, car, en France “plus qu’ailleurs, des scandales sanitaires ont laissé des traces”.

À l’affaire du sang contaminé a succédé le scandale du Médiator. De précédentes campagnes de vaccination ont aussi fait un flop, comme en 2009 contre l’épidémie de grippe H1N1. À l’époque, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, s’était fait vacciner devant les caméras pour convaincre la population. Le coup de com’ avait entraîné l’effet inverse à celui escompté. Des réseaux complotistes avaient même prétendu que la seringue ne contenait que du sérum physiologique ! Du coup, plus question de mettre en scène la vaccination d’une personnalité politique. D’autant que la défiance est particulièrement forte envers les gouvernants après la première vague.”

Sauf que dans le cas présent, la prudence ne paie visiblement pas, constate le FT. Après 59 % en août et 54 % en octobre, ce ne sont désormais que 40 % des Français qui envisagent une vaccination.

Un problème fondamental d’impréparation

D’où la double nécessité pour le gouvernement de revoir son calendrier : les soignants de plus de 50 ans doivent désormais être vaccinés dès maintenant au lieu de la fin du mois. De la même manière, les 300 établissements “pilotes” prioritaires sont priés d’administrer les vaccins à leur public en une seule semaine au lieu de deux. Enfin, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé l’ouverture de centres de vaccination d’ici février.

Mais ces changements annoncés risquent d’être insuffisants, remarque le FT qui s’est entretenu avec Philippe Juvin, chef des urgences à l’hôpital Georges-Pompidou de Paris, et également maire Les Républicains de La Garenne-Colombes. “Il faut ouvrir la vaccination à l’ensemble de la population dès maintenant”, a-t-il déclaré au journal ce week-end. “La lenteur ne crée pas la confiance – au contraire, cela renforce l’idée qu’il y a des raisons de s’inquiéter. Toutes ces excuses cachent un problème fondamental d’impréparation.”

Reste à voir si la logistique sera au rendez-vous pour appuyer cette nouvelle volonté affichée d’aller plus vite. Car si la campagne avait débuté en fanfare, estime Le Soir, l’Hexagone peine à assurer une suite à la belle histoire :

L’histoire retiendra qu’elle s’appelle Mauricette. Qu’elle a 78 ans. Et surtout qu’elle aura été la première personne vaccinée en France contre le Covid. L’image restera, pour le symbole. Et même exclusivement pour ça.”

Carolin Lohrenz

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