On les appelle les “mules”. Ils font des allers retours depuis Cuba au Panama, au Mexique ou en République dominicaine pour rapporter des produits introuvables sur l’île. Les restrictions des vols internationaux décidés par le régime cubain font chuter leurs revenus. Reportage du site indépendant 14ymedio.
Alors qu’il commençait à peine à sortir la tête de l’eau, le commerce informel cubain avec l’étranger vient d’essuyer un nouveau revers. Les restrictions sur les vols adoptées par le gouvernement, entrées en vigueur le 1er janvier – en raison de la pandémie –, sont une très mauvaise nouvelle pour les “mules” qui alimentent ces réseaux informels ainsi que pour leurs clients.
“On ne pensait pas qu’ils supprimeraient autant de vols. Sur les vingt vols hebdomadaires que proposait Copa Airlines, il n’en reste plus que trois”, déplore Randy, un Havanais de 43 ans qui avait réussi à voyager en décembre après la reprise des vols réguliers à l’aéroport international José Martí, à La Havane.
La compagnie panaméenne Copa Airlines est l’une des plus importantes d’Amérique latine – et avec une simple carte Premium elle permet le transport, sans frais supplémentaires, de 100 kilos de bagages en soute.
“J’ai pu faire pas mal d’achats [en décembre] parce que j’étais avec mon épouse, mais on a déjà tout vendu. On aurait dit que les gens étaient devenus fous”, explique-t-il. Randy et sa conjointe avaient notamment rapporté “du café, du savon, du dentifrice, des cubes de bouillon, du cumin, de l’origan et des produits de soins capillaires”.
La zone hors taxes du Panama
Le Panama est une destination particulièrement populaire auprès de ces “mules” cubaines qui font des achats à l’étranger.
En 2018, Manuel Grimaldo, responsable de la zone franche de Colon, au Panama, avait estimé que plus de 15 000 Cubains affluaient chaque année dans cette zone de produits hors taxes et qu’ils y dépensaient environ 100 millions de dollars, un peu plus de 80 millions d’euros. Au vu de ce succès, le gouvernement panaméen a décidé de créer un visa de cinq ans à entrées multiples pour les résidents de l’île.
Randy déplore :
J’avais déjà acheté mon billet pour y aller au milieu du mois [de janvier], mais je ne sais pas trop ce qui va se passer maintenant. D’après ce que j’ai lu sur le site de la compagnie aérienne, je ne perdrai pas mon argent et je pourrai utiliser mon billet jusqu’au 31 décembre 2021. Le problème, c’est que j’ai laissé au Panama des produits que des clients m’ont commandés et qu’ils ont déjà payés.”
Depuis la reprise des vols, le 15 novembre, après une suspension de huit mois, les offres avaient été relancées sur les pages de petites annonces – des Bon Coin version cubaine.
Mais les marchandises disponibles ont été rapidement épuisées, et les annonceurs s’empressent maintenant d’avertir les intéressés que la situation ne changera pas jusqu’à nouvel ordre ou tant que les déplacements ne reprendront pas un rythme normal.
Payés pour faire la file pour d’autres
La suspension des vols commerciaux a porté un coup dur aux commerçants informels du pays en 2020. Ils ont été nombreux à devoir se reconvertir pendant les huit mois qu’elle a duré.
Certains se sont lancés dans la revente de marchandises achetées dans les commerces du pays – c’est-à-dire pas grand-chose –, d’autres ont exercé le boulot de colero, qui consiste à faire la file pour d’autres, et d’autres encore ont commencé à livrer des repas à domicile sur des motos électriques importées.
À La Havane, où se trouve le principal aéroport du pays, les vols internationaux ont donc repris le 15 novembre, mais le répit a été bref. L’augmentation du nombre de cas de Covid-19, dont une bonne partie sont des contaminations importées de l’étranger, a obligé les autorités à prendre des décisions difficiles.
Cette fois-ci, cependant, elles ont choisi de ne pas annuler l’ensemble des vols commerciaux, comme elles l’avaient fait en avril dernier, mais de simplement réduire l’afflux de voyageurs en provenance des pays qui, selon elles, présentent un risque important d’importation du virus sur l’île.
Le gouvernement cubain a ainsi annoncé qu’en raison de la situation épidémiologique nationale la fréquence des vols en provenance de certains pays, et notamment du Panama, serait réduite.
L’ambassade du Panama à La Havane a sobrement indiqué sur sa page Facebook :
À partir du 1er janvier 2021, le nombre de vols en provenance et à destination de Panama sera réduit en application d’une décision du gouvernement cubain. Les vols reprendront progressivement quand les autorités de santé cubaines le décideront.”
Sur la liste des pays les plus touchés par la diminution du nombre de vols se trouvent les destinations de shopping les plus prisées par les Cubains, à savoir les États-Unis, le Mexique, le Panama, les Bahamas, Haïti et la République dominicaine.
En revanche, il n’y a pas de restrictions sur les vols provenant d’autres pays qui figurent pourtant régulièrement dans les statistiques sur les cas importés de Covid-19, comme la Russie, le Royaume-Uni ou l’Afrique du Sud.
“Ma valise est faite”
Certaines compagnies aériennes sont plus durement éprouvées que d’autres. Air Century, la compagnie de République dominicaine, a notamment dû suspendre pour une durée indéterminée l’ensemble des vols qu’elle assurait tous les mardis entre Saint-Domingue et La Havane.
“Ma sœur m’avait acheté un billet pour que je puisse la rejoindre pour son anniversaire et rapporter des marchandises. Ça fait des jours qu’elle appelle avec insistance les numéros fournis par Air Century : elle n’arrive pas à parler à quelqu’un”, raconte Lisandra, une femme de Matanzas qui se rend jusqu’à cinq fois par an en République dominicaine pour y acheter des biens qu’elle revend ensuite à Cuba :
Ma valise est faite, mais je pense ne pas pouvoir voyager de sitôt.”
Les clients des vingt vols hebdomadaires qu’a dû suspendre la compagnie aérienne mexicaine Viva Aerobus doivent aussi revoir leurs plans. Elle a considérablement réduit le nombre de liaisons entre Cuba et le Mexique – Mexico et Cancún. “J’avais déjà réservé l’appartement où j’allais séjourner et tout”, explique un fournisseur cubain de vêtements et de chaussures.
“Une joie de manger un bon steak”
Avant la pandémie, il faisait jusqu’à trois fois par semaine le trajet entre La Havane et Cancún pour se procurer des marchandises qu’il revendait ensuite sur le marché informel
Maintenant, je vais devoir prendre mon mal en patience. Le plus dur, c’est de devoir renoncer à tous mes plans. Je me faisais une joie à l’idée de faire les boutiques et d’aller manger un poulet entier ou un bon steak.”