Après une interruption de deux ans due au Covid-19, le Festival de Cannes retrouve son lieu traditionnel pour une édition du 75e anniversaire remplie d’auteurs célèbres et de stars hollywoodiennes, dont Tom Cruise. Ouvert le mardi 17 mai, dans l’ombre de la guerre en Ukraine, l’événement de la Côte d’Azur promet d’équilibrer les odes nostalgiques aux icônes du passé du cinéma avec des questions pressantes sur notre époque troublée.

La première vitrine cinématographique au monde espère revenir à la normale après que la pandémie l’ait obligée à ne pas y assister en 2020 et à réduire l’édition de juillet de l’année suivante. Inévitablement, la guerre qui fait rage en Ukraine pèsera lourdement sur les débats, encadrant la conversation tout comme elle a influencé le programme du film.

Cette année, il n’y aura pas de masques obligatoires, de laissez-passer sanitaires ou de restrictions sur la fête. Cependant, le plus grand conflit armé du continent depuis la Seconde Guerre mondiale verra probablement la vitrine la plus somptueuse du cinéma opter pour des célébrations d’une sobriété inhabituelle, alors même qu’elle célèbre son jubilé de diamant.

Pour le pays hôte, Cannes est un répit dans une année intensément politisée, prise en sandwich entre des élections présidentielles et législatives, elles-mêmes éclipsées par l’invasion russe. Mais la matière politique ne manquera pas sur grand écran, avec la guerre, la migration, les luttes féministes et l’urgence climatique comme priorités à l’agenda des cinéastes.

Et heureusement, car le président du jury de cette année, Vincent Lindon, acteur français connu pour ses rôles politiquement chargés, a déjà affirmé sa préférence pour « les films qui nous racontent quelque chose sur le monde dans lequel ils sont tournés ».


Le président du jury Vincent Lindon pose pour les photographes lors du photocall du jury au 75e festival international du film, à Cannes, dans le sud de la France, le mardi 17 mai 2022.
Le président du jury Vincent Lindon pose pour les photographes lors du photocall du jury au 75e festival international du film, à Cannes, dans le sud de la France, le mardi 17 mai 2022. © Daniel Cole / AP

à l’ombre de la guerre

Signe du poids que la guerre en Ukraine va peser sur le festival, le réalisateur français Michel Hazanavicius a accepté de changer le nom de son film inaugural – un festival de zombies initialement intitulé ‘Z’ en français, désormais appelé ‘Coupez !’ – d’éviter toute association avec l’armée russe.

Comme ailleurs, les organisateurs de Cannes ont interdit aux Russes liés au gouvernement de Vladimir Poutine d’entrer dans le festival. Mais ils ont résisté aux appels à un boycott général des artistes russes, accueillant l’éminent dissident du Kremlin Kirill Serebrennikov pour la troisième fois dans la compétition.

Après s’être absenté deux fois en raison d’interdictions de voyager imposées par Moscou, le réalisateur, aujourd’hui en exil, foulera enfin le tapis rouge, mercredi 18 mai, avec son dernier long métrage, « La femme de Tchaïkovski ».

L’Ukraine sera représentée par le pilier cannois Sergei Losnitza, dont le dernier documentaire explore la destruction des villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans la rubrique « Un Certain Regard », centrée sur les nouveaux talents, l’opportuniste « Butterfly Vision » de Maksim Nakonechnyi se penchera sur le calvaire d’une soldate ukrainienne aux prises avec ses expériences de prisonnière de rebelles soutenus par la Russie dans la région du Donbass.

Vétérans, recrues et Tom Cruise

Le Festival de Cannes, bastion du cinéma d’auteur et le plus glamour du monde, doit toujours trouver un équilibre entre le culte des auteurs, la puissance des stars hollywoodiennes, et entre la dévotion au passé et le tournant vers l’avenir. Cette année, il a parié sur la présence de nombreuses stars sur le tapis rouge et sur un mélange intrigant de vétérans et de recrues.

Dans la Palme d’Or, quatre des lauréats du passé reviennent sur la Riviera à la recherche de nouveaux prix : Hirokazu Kore-eda, Ruben Ostlund, Cristian Mungiu et les frères Dardenne, deux fois lauréats. Parmi les autres habitués figurent Park Chan-wook et David Cronenberg, tous deux lauréats du Grand Prix du Jury, ainsi que James Gray, Arnaud Desplechin et le vétéran de 84 ans Jerzy Skolimowski, qui a concouru pour la première fois à Cannes en 1972.

L’année dernière, la Française Julia Ducournau est devenue la deuxième femme à remporter une Palme d’Or avec son audacieux « Titane », avec Lindon. Cette année, cinq films réalisés par des femmes sont en compétition pour la Palme, un record pour Cannes, mais un pourcentage encore faible par rapport aux autres festivals internationaux.

Parmi eux, un trio de réalisateurs français mené par l’iconoclaste Claire Denis, qui vient de remporter le prix du meilleur réalisateur à Berlin (Allemagne). La réalisatrice américaine Kelly Reichardt obtiendra enfin son premier coup à la Palme, réunissant sa muse préférée, Michelle Williams, dans un regard introspectif sur un artiste d’une petite ville essayant de surmonter les distractions.

Au-delà de la Palme d’Or, Cannes accueillera plus de stars hollywoodiennes que les années précédentes, à commencer par la suite de « Top Gun » de Joseph Kosinski, retardée en raison de la pandémie et mettant en vedette Tom Cruise dans le rôle qui lui a été confié. à la célébrité mondiale il y a 36 ans. Cruise montera sur le tapis pour la première fois en trois décennies et s’assiéra pour une interview sur sa carrière.

Baz Luhrmann apporte son splendide biopic de ‘Elvis’, avec Austin Butler et Tom Hanks, tandis que George Miller, présent pour la dernière fois à Cannes avec ‘Mad Max : Fury Road’, présente en avant-première une épopée fantastique avec Idris Elba et Tilda Swinton.

Ethan Coen sortira son premier film sans son frère Joel, un documentaire sur la légende de Rock and roll Jerry Le Lewis. Et l’acteur et réalisateur Ethan Hawke ajoute à l’atmosphère nostalgique de la quinzaine avec une série sur le couple en or d’Hollywood, Paul Newman et Joanne Woodward.

Le retour tant annoncé des grandes stars de « Tinseltown » est une excellente nouvelle pour Cannes, car le plus grand festival du film au monde est autant axé sur le glamour que sur le cinéma. C’est aussi un coup de pouce économique pour cette ville balnéaire de 74 000 habitants, qui triple sa population pendant deux semaines chaque mois de mai.

En plus des spectateurs habituels, le festival attirera quelque 35 000 professionnels accrédités sur la Riviera, soit près de deux fois plus que l’an dernier, mais toujours en deçà des niveaux d’avant Covid-19, car les inquiétudes concernant la pandémie ont empêché certains délégués d’assister. « L’Asie n’a plus voyagé », a déclaré le directeur du festival Thierry Frémaux, pointant les restrictions de voyage en Chine et dans d’autres pays.

Cependant, il y aura un contingent important de l’Inde, qui est cette année l’invité d’honneur du Marché du film de Cannes, qui se déroule en parallèle du festival. Le Moyen-Orient et les pays arabes seront également à l’honneur, y compris dans la course à la Palme d’or, avec le dernier thriller tourné au Caire de Tarek Ali ainsi que les drames iraniens de Saeed Roustayi et Ali Abbasi, dont le passionnant « Border » a remporté le prix. Section Un Certain Regard il y a quatre ans.


Le réalisateur français Michel Hazanavicius (2e à partir de la droite) pose avec le casting de "Final Cut".  Il a accepté de changer le nom de sa toile de fond - un festival de zombies initialement intitulé "Z" en français, maintenant appelé "Coupez!"  - d
Le réalisateur français Michel Hazanavicius (2e à partir de la droite) pose avec le casting de « Final Cut ». Il a accepté de changer le nom de sa toile de fond – un festival de zombies initialement intitulé « Z » en français, maintenant appelé « Coupez! » – d’éviter toute association avec les bellicistes russes. © Mehdi Chebil

Avec « seulement » quatre films nominés, le contingent français dans la course à la Palme d’or a été divisé par deux par rapport à l’an dernier, où huit des 24 films en compétition venaient de France. Pourtant, le pays d’origine représente un peu moins d’un quart de la sélection mondiale, avec des films d’Olivier Assayas, Quentin Dupieux et Rachid Bouchareb montrant leurs dernières œuvres hors compétition.

Les réalisateurs français donneront le coup d’envoi mardi, avec une rare projection du triangle amoureux emblématique de Jean Eustache « La mère et la putain », un demi-siècle après qu’il a déclenché une tempête sur la Croisette. L’hommage d’Hazanavicius aux films d’horreur de la série B ouvrira le rideau, en écho au festival de zombies de Jim Jarmusch qui ouvrait la dernière édition « normale » du festival en 2019, à l’ère pré-Covid.

*Adapté de sa version originale française

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