« Le Bataclan, c’est un peu comme Oradour-sur-Glane ! »

Une minute de silence, puis le grondement sourd des chaines d’infos en continu reprend. Dans une maison de retraite de l’est parisien, l’angoisse a rapidement pris le pas sur le recueillement. Depuis deux semaines, le personnel de l’établissement a mis en place des groupes de paroles inédits pour aider ses pensionnaires à gérer le choc émotionnel provoqué par les évènements du 13 novembre. Agités et maussades, bon nombre de retraités ont du mal à mettre des mots sur ce climat de défiance étrangement familier. Pour beaucoup d’entre eux, les attaques menées dans la capitale sont venues raviver de douloureux souvenirs.

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Flickr/ Jonas Boni


« Tuer le maximum de gens, c’est aussi ce que les nazis voulaient. » 

« Je ne pensais pas que ça allait leur rappeler autant de choses, s’étonne Gwenaël, animateur dans la maison de retraite de l’est parisien. Ils se remémorent évidemment la Seconde guerre mondiale et le stress qu’ils ont vécu pendant cette période. »

Pour la majorité des pensionnaires ayant encore leurs facultés mentales, l’anxiété est palpable. Dans le réfectoire, les images qui tournent en boucle détournent souvent les yeux des assiettes. Quelques jours après les attentats, Gwenaël a remplacé la traditionnelle revue de presse du matin par un temps de discussion libre sur les événements survenus à Paris. « La violence, la barbarie, c’est ça qui les a marqué. Ça faisait des années qu’ils n’avaient pas vu ça, tuer quelqu’un de sang froid, sans arrière pensée. », se rappelle t-il. Il se souvient du parallèle surprenant d’un des retraités: « Un vieux monsieur a lancé : «  Le Bataclan, c’est un peu comme Oradour-sur-Glane ! », ça m’a surpris. »

Oradour-sur-Glane, c’est ce petit village situé dans le Limousin qui avait été le théâtre d’un odieux massacre orchestré par des soldats nazis enragés d’avoir perdu la guerre. Des hommes, des femmes et des enfants étaient abattus en pleine rue ou enfermés et asphyxiés dans l’église étriquée du bourg. 71 ans plus tard, c’est dans les rues de Paris et dans la salle de concert du Bataclan que la messe macabre semble s’être répétée. Cette étrange impression de déjà vu est pour beaucoup un aveu d’échec : « Les choses se reproduisent, c’est sans fin. On a vécu le nazisme, la guerre, tout ça pour y revenir ! », s’étonne un des pensionnaires. Pour la plupart des retraités, la « guerre » d’aujourd’hui a les mêmes racines que celle d’antan. « On a l’impression que c’est très contemporain comme conflit mais pour eux, c’est la même chose, confie Gwënael. Ils fonctionnent de manière assez binaire : il y a les méchants et les gentils. »

Simone, 82 ans, avait sept ans quand ses parents, juifs, ont été déportés dans des camps de concentration. Elle, a été cachée et recueillie dans la campagne avant d’échapper de justesse à son arrestation par des gendarmes français. Les évènements du 13 novembre l’ont renvoyée à un sentiment de peur et d’inconnue dont elle pensait s’être débarrassée depuis longtemps.

Pour l’ancienne enfant cachée, l’arbitraire et le caractère « massif » des attaques de Paris sont de même nature que l’insupportable solution finale orchestrée par le régime nazi. « Même si la situation n’est pas similaire, le but est le même : c’est d’exterminer d’une manière ou d’une autre, ce qui rejoint ce que les nazis voulaient. Avant, les attentats avaient une raison d’être, maintenant il s’agit de tuer le maximum de gens. », déplore t-elle.

Des époques différentes, une même crainte pour l’avenir 

Simone a passé une bonne partie de sa vie à témoigner, « pour que ça ne recommence pas » et pourtant, elle a la désagréable impression que ses efforts ont été vains. « On a pas fait ce qu’il fallait pour que ça ne se reproduise pas, on a pas su créer la mixité. », regrette t-elle.  Pour les victimes du terrorisme, le temps n’est pas encore au témoignage. Avant d’imaginer des rescapés du Bataclan raconter leur histoire dans les classes d’école, l’heure est à la prévention d’autres attaques : « Il faut tout faire pour éviter la radicalisation. », lance la retraité.

Pour l’octogénaire, les outils d’aujourd’hui permettent toutefois de mieux gérer ces situations de détresse. Les victimes du terrorisme sont encadrées par des professionnels, écoutées, une véritable chance selon Simone qui avait été rapidement priée de passer à autre chose au sortir de la guerre. « Les enfants cachés, personne ne s’est jamais occupé de nous. Maintenant il y a des cellules psychologiques, plein de choses. », s’enthousiasme t-elle. La retraité reconnait avoir passé beaucoup de temps devant son poste de télévision ces dernières semaines, pour savoir. « L’info en direct ça fait une énorme différence, confie t-elle. S’il y avait eu internet, la télé, on aurait su les choses, su ce qu’il se passait en Allemagne et on ne se serait pas laissés arrêter comme ça. »

Dans un environnement aussi clos que celui de la maison de retraite, les mots « djihad, Daesh, terrorisme, kamikaze » ne sont pas toujours bien compris. « Même si on les entend depuis déjà longtemps dans les médias, il faut expliquer de manière simple les images et les mots entendus à la télé. », indique Gwenaël. Anciens professeurs d’histoire, voyageurs… beaucoup des pensionnaires restent alertes des dessous géopolitiques de la situation mais l’incompréhension prend parfois le pas sur l’analyse. « Pour eux, c’est une guerre de civilisation, de religions et certains sont très durs par rapport à ça. », reconnait l’animateur.

Beaucoup accusent les nouvelles technologies qui auraient dégradé la qualité des liens affectifs et de la communication. Une pensionnaire raconte : «  Mon arrière petit fils reste scotché à son portable quand il vient me voir. J’ai l’impression d’être avec un martien, c’est pas normal. » se désole t-elle. « Pour eux, communiquer c’est le toucher, le débat, voir les gens. », concède Gwenaël.

La plupart des pensionnaires se sentent en sécurité dans l’établissement mais la peur pour les générations futures est manifeste. « Eux ne se projettent pas dans l’avenir mais ils s’inquiètent pour leurs proches, pour leurs petits enfants, admet le responsable de l’animation. Le mot qui revient, c’est la sécurité. »

Chloé Rochereuil
@RochereuilChlo

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