La crise du Covid rend inéluctable la réforme de l’État français

La crise du Covid rend inéluctable la réforme de l’État français

En France, les nombreuses bourdes dans la gestion de la crise due au Covid ont eu raison de l’État central, observe ce quotidien allemand : des hiérarchies vieilles de plusieurs siècles sont désormais remises en question.

Le président Macron s’est trouvé un nouveau mot : piloter*, qui signifie “gouverner”, “prendre le commandement”. À l’entendre, on dirait qu’en cas de situation difficile il suffit que le chef tourne la barre d’une main tranquille pour que l’État et la société suivent le nouveau cap sans difficulté.

Angela Merkel a dû elle aussi avoir récemment des moments où elle a rêvé que tout le monde la suive sans maugréer, même ces entêtés de ministres-présidents des Länder.

Comme elle, Macron traverse à nouveau des temps difficiles. Pendant cette pandémie, la France apparaît régulièrement en mauvaise posture dans l’étrange course internationale au nombre de contaminations, taux d’incidence, tests et vaccinations. Et si leur voisin allemand a pu récemment déplorer son fédéralisme, les Français commencent de plus en plus à désespérer de la centralisation de leur État.

L’année 2020 a apporté les dernières preuves que celui-ci se trouve en pleine crise existentielle. Pendant que Macron parle de pilotage, la société française se demande s’il y a vraiment un pilote dans le cockpit.

L’incompétence spectaculaire de l’État

Le pays est désormais convaincu que l’État s’est révélé d’une incompétence spectaculaire depuis le début de la crise sanitaire. L’élite française à la formation si parfaite, qui est admirée et imitée dans de nombreuses parties du monde, a collectivement échoué à un point qui fait paraître les problèmes de l’Allemagne presque ridicules à côté.

Que cela concerne les masques, les tests, les tenues de protection et maintenant les seringues, le chantier de la pandémie ressemble à un dépotoir chaotique. Le gouvernement a beau chercher à faire croire qu’il gère la crise de façon rationnelle et systématique, ce n’est souvent qu’une affirmation creuse. Dix jours après le début des vaccinations en Europe, 370 000 personnes avaient été vaccinées en Allemagne contre 7 000 en France.

Au lieu de reconnaître ses échecs, l’État affirme gérer les défis avec maîtrise et sérénité, dans l’intérêt du pays. Seulement, le débordement de l’administration saute aux yeux.

On a appris début janvier que la “task force” ministérielle – c’est le nouveau terme employé dans le jargon administratif français – avait sollicité l’aide du secteur privé et fait appel à grands frais au cabinet de conseil en entreprise McKinsey. Cela n’a manifestement pas servi à grand-chose non plus.

La réforme de l’État, le sujet qui défraie la chronique

C’est un vieux sport en France que de vilipender l’immobilisme de l’administration. La crise sanitaire a cependant tellement mis en lumière les faiblesses de celle-ci qu’on a parfois l’impression que les temps commencent à changer. Que penser d’un président qui qualifie de “guerre” la lutte contre une pandémie pour qu’ensuite tout se fasse en suivant scrupuleusement le règlement ?

La réforme de l’État est le sujet qui défraie la chronique actuellement. Si pendant un siècle, quelques individus installés à Paris ont décidé d’un trait de plume du sort du reste du pays, ce jeu touche à sa fin.

Avant la pandémie, la crise des “gilets jaunes” avait rendu visible le mécontentement profond d’une grande partie de la population. Le peuple* – un terme que les Français n’hésitent pas à employer – avait retiré sa confiance à la classe politique, il était en colère et l’exprimait. Pour beaucoup de gens, les technocrates parisiens n’avaient plus la moindre idée de leurs problèmes quotidiens.

Ce vieux leitmotiv de la vie politique française a pris une nouvelle virulence, car désormais l’élite parisienne elle-même participe à la discussion et se montre parfois critique. Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, un poids lourd du gouvernement, vient de publier L’Ange et la Bête. Mémoires provisoires dans lequel il qualifie la Ve République créée par Charles de Gaulle de “monarchie technocratique” : trop complexe, trop lourde, trop fermée.

Quand même les élites déplorent la monarchie trechnocratique

La lenteur du processus législatif est “insupportable” en cas de crise. Quand vous êtes écrasé par un plafond de dorures et que vos bureaux sont compliqués, que pour retrouver un conseiller il faut arpenter quatre couloirs, tourner cinq portes, toutes décorées avec des stucs, je ne pense pas que ça favorise un travail efficace”, a-t-il déclaré récemment lors d’une interview à la radio.

C’est dans une de ces salles de belle inefficacité, avec cheminée et dorures, que reçoit Amélie de Montchalin. Elle doit le savoir : elle s’est occupée de l’Europe pendant trois ans pour Emmanuel Macron, et elle est, à 35 ans, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques. Son ministère se trouve dans un hôtel particulier que Philippe d’Orléans a fait construire en 1703 et qui n’est équipé d’un chauffage fonctionnel que depuis peu.

Les Français connaissent son impressionnante porte de bois grâce à la télévision : quelques “gilets jaunes” bien remontés l’avaient enfoncée avec un chariot élévateur il y a trois ans afin de donner une visibilité à la détresse du pays et d’exprimer leur colère devant l’inaction générale en matière d’inégalité et de pauvreté.

Amélie de Montchalin entend réagir à cette colère par la pédagogie et les faits. Elle a présenté cette semaine un baromètre de l’action publique : c’est un outil hyper facile à utiliser, où toute citoyenne, tout citoyen, peut vérifier ce que Macron a entrepris pour la population depuis son entrée en fonction. Intitulé “Des mesures qui vous changent la vie” [sur le site de LREM], il en énumère vingt-cinq.

La révolution à venir

Amélie de Montchalin en parle comme si elle travaillait pour un service clientèle, mais son produit a belle allure. On peut voir sur le site le nombre de ménages qui ont été reliés à la fibre optique ces dernières années, le nombre de centres médicaux locaux qui ont vu le jour, comment on a pu réduire de moitié le nombre d’enfants dans certaines classes.

Le fait que le gouvernement communique aussi ouvertement et reconnaisse l’existence de lacunes est nouveau pour la France. Le fait que les résultats soient détaillés par régions est tout aussi inhabituel. “Je mène un combat culturel”, déclare Amélie de Montchalin, car cette perspective régionale a été longtemps proscrite.

Il faut que les Français redéfinissent le vieil idéal révolutionnaire de l’égalité, ajoute la ministre. La différenciation, c’est le mot-clé. “La politique doit s’adapter aux conditions régionales. Les mêmes moyens ne donnent pas les mêmes résultats partout.”

Un monde parallèle

Voilà qui ressemble fort à une révolution pour des oreilles françaises, mais elle est manifestement nécessaire. Nicolas Sarkozy, le prédécesseur de Macron, se plaignait en permanence de la force de freinage de l’appareil d’État. “Je savais que sur les 100 % d’énergie […] qui sortaient de mon bureau élyséen, à peine 10 % arriveraient sur le terrain”, écrit-il dans Le Temps des tempêtes.

Macron fulmine lui aussi contre l’inertie de l’appareil et les “excès bureaucratiques”. Il a même plusieurs fois évoqué “l’État profond” [deep state, en anglais] et utilisé ainsi une expression chère aux conspirationnistes américains contre son propre État. Une stratégie dangereuse mais qui illustre bien le désespoir suscité par la pesanteur du monde parallèle qu’est l’administration française.

Macron a convoqué le gouvernement à un séminaire au début du mois de février. Au programme, la “réorganisation de l’État”. Il s’agira, selon Amélie de Montchalin, de “tirer les leçons de la crise”. Et de donner davantage de pouvoir aux élus locaux. Le mot d’ordre est désormais : moins de Paris, plus de terrain.

* En français dans le texte.

Martina Meister

Macron se la joue comme Colbert

Le président Macron a réussi, tant bien que mal, à s’adapter à la crise du Covid-19. Le quotidien espagnol El Mundo, plutôt conservateur, en est même certain : le chef d’État français, réformateur libéral et proeuropéen lors de son arrivée à l’Élysée, s’est mué en véritable gestionnaire de la crise sanitaire et économique liée au coronavirus.

“Il a affronté la pandémie avec des restrictions plus dures et plus étendues que celles des pays voisins, presque toujours de portée nationale, tout en gardant un œil sur l’économie, qu’il a abreuvée d’aides aux entreprises et de baisses d’impôts”, analyse le journal espagnol. Cette manière de gérer la crise – “quoi qu’il en coûte” – rappelle un certain Colbert, “ministre des Finances de Louis XIV qui représente la prépondérance de l’État dans la vie économique”.

Depuis novembre, les bars, restaurants, musées, centres culturels, gymnases, sont fermés pour une durée indéterminée. Mais, malgré la gronde des secteurs concernés, ce tour de vis a permis au pays d’afficher, mi-janvier, un taux de décès moins élevé que ses proches voisins : 103 morts pour 100 000 habitants en France, contre 113 en Espagne, 129 au Royaume-Uni, 134 en Italie et 177 en Belgique.

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