Comment les cabinets de conseil grignotent les missions de l’administration française

Comment les cabinets de conseil grignotent les missions de l’administration française

Le site Politico a épluché les factures de missions confiées aux cabinets de conseil. Résultat : avec la crise sanitaire, l’État français a de plus en plus recours aux services de McKinsey & Co, au point de faire grincer des dents dans l’Hexagone. Contrôle démocratique, transparence, éthique… les questions soulevées sont nombreuses.

Au pays où l’administration est roi, ces chiffres ont de quoi surprendre, estime Politico : depuis mars 2020, la France a dépensé 11,2 millions d’euros en contrats conclus avec des cabinets de conseil privés. Tous ont été chargés de missions en lien avec la crise sanitaire. Sur six cabinets sous contrat, la plus grande part du gâteau revient à McKinsey, pour un total de 4 millions d’euros, suivi par Citwell (3,8 millions d’euros) et Accenture (1,2 million d’euros).

En échange de ces montants, les cabinets fournissent des conseils dans le cadre de différentes missions, surtout en lien avec la campagne de vaccination visant à combattre la propagation du Covid-19. Selon le site – qui avait déjà révélé le recours à McKinsey en novembre 2020 –, le poids du privé dans l’administration française est devenu si important qu’il titre : “Comment des cabinets de conseil comme McKinsey ont pris le contrôle de la France”.

L’érosion de l’État français

En effet, ces entreprises privées sont désormais impliquées dans “tout, de la campagne de vaccination au changement climatique”, affirme Politico. Une évolution qui inquiète la députée Les Républicains Véronique Louwagie, non en raison de l’existence mais de “la fréquence” des marchés attribués aux cabinets de conseil privés.

Si la France n’a sollicité que tardivement (dans les années 1980) les cabinets de conseil, rapporte le site, qui a épluché les données publiques sur la question, ce phénomène s’est nettement amplifié sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à partir de 2007, puis celle d’Emmanuel Macron. Depuis 2018, l’administration française a conclu 575 contrats “pour des services allant de l’élaboration de plans de relance économique à l’aide à la lutte contre le coronavirus, en passant par la définition d’une voie vers la neutralité carbone”.

Ainsi, rapporte Politico, McKinsey a travaillé sur le plan de relance français et sur des événements organisés pour attirer l’investissement tech en France (87 millions d’euros avec d’autres agences). Capgemini, qui s’est penché sur le développement de nouvelles règles aux frontières avec le Royaume-Uni avant le Brexit, apporte son expérience sur l’intelligence artificielle et a contribué à l’appli TousAntiCovid. L’entreprise Accenture, elle, a évalué pour le compte du ministère de l’Économie les dépenses publiques. Coût : 32 millions d’euros. Ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres…

Tous contrats confondus, la France se place devant l’Italie et l’Espagne, qui collaborent pourtant depuis plus longtemps avec des cabinets, mais encore loin derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. Et pour l’État français ce développement n’a rien d’anodin :

Qu’on considère ce phénomène comme le signe de la modernisation d’une bureaucratie ossifiée – ce qui est le cas d’une grande partie de l’entourage du président Emmanuel Macron – ou comme une pratique étrangère qui soulève d’importantes questions en matière de transparence, de responsabilité et d’érosion de l’État français, il est clair que les cabinets de conseil privés jouent un rôle de plus en plus important dans la fourniture de services publics de base, sans que cela ne suscite de grands débats publics.”

Le James Bond de la Sécu

Le site décrit ce qui constitue une révolution dans l’Hexagone, qui a instauré une relation unique entre administrateur et administré, en ces termes :

Le haut fonctionnaire occupe une place à part dans l’imaginaire français. Courtois, élégant, imperturbable, tenant la barre de l’État d’une main ferme, il incarne pour l’idéal français de gouvernance administrative ce que James Bond représente pour le service d’espionnage britannique.

Sauf qu’aujourd’hui, dans les couloirs du pouvoir, les entreprises privées et leurs experts formés hors des traditionnelles écoles de l’élite de la République prennent de plus en plus de place. Le sujet est à suivre. La députée Véronique Louwagie, pour sa part, présentera ses conclusions sur le sujet le 17 février.

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