Le retour des œuvres d’art du Bénin, le pardon des harkis d’Algérie, le retrait des troupes françaises du Mali ne sont que quelques-uns des événements récents qui ont marqué les relations de la France avec ses anciennes colonies sous le mandat du président Emmanuel Macron. Désormais, peu avant les élections où il briguera un second mandat, ces décisions pourraient influencer son image de leader et servir de bannières à ses prétendants.

Le passé colonial français refait surface, comme d’habitude, avant les élections présidentielles. Cette fois, il réapparaît comme un point clé de la dernière ligne droite du mandat d’Emmanuel Macron. Une période durant laquelle les relations de la France avec ses anciennes colonies étaient continuellement présentes à l’agenda du président.

Au début de son mandat, Macron a promis un tournant dans la conduite des affaires africaines. Il a assuré un changement de dynamique dans lequel il a fait de la jeunesse africaine une priorité.

« Macron cherchait à dialoguer avec la jeunesse africaine et cherchait justement à insister sur sa jeunesse, sur le fait qu’il n’avait pas connu le temps de la colonisation parce qu’il était né plus tard. Alors il a essayé de projeter une image de nouveauté, de rupture avec le passé », explique Aymeric Durez, spécialiste de la politique étrangère française et de l’interventionnisme militaire en Afrique.

En 2017, il s’est rendu dans la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, comme le rapporte le portail ‘The Conversation’, où il s’est adressé à la jeunesse du pays, cherchant un dialogue plus horizontal qui plairait à la société civile. « Je ne suis pas venu ici pour vous dire quelle est la politique africaine de la France (…) car il n’y a plus de politique africaine de la France », a déclaré le président.


Lors d'une visite à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, Emmanuel Macron a promis un changement dans la dynamique entre la France et les pays africains.
Lors d’une visite à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, Emmanuel Macron a promis un changement dans la dynamique entre la France et les pays africains. © Ahmed Yempabou Ouoba / AP

Depuis, Macron a pris ses propres initiatives contre l’Afrique. Certaines plus symboliques, comme la fin du franc CFA lors de sa visite en Côte d’Ivoire en 2019, ou plus récemment il a restitué au Bénin 26 œuvres d’art qui avaient été pillées par les troupes coloniales françaises en 1892. D’autres, en revanche, ont été plus étroitement liés à des questions de sécurité comme l’annonce du retrait des troupes françaises du Mali au Sahel.

Cependant, poursuivant l’objectif de renverser ces relations, il en vint à adopter des attitudes considérées par certains comme paradoxales.

« Il avait certaines contradictions dans sa façon de parler aux chefs d’État africains, d’exiger d’eux certains efforts, parfois un ton critiquable et associé à un certain paternalisme. Concernant également les changements de gouvernement, les coups d’État, car il a été très dur contre les militaires qui ont pris le pouvoir au Mali, notamment, alors qu’il a finalement accepté la prise du pouvoir par le fils du président Idriss Déby, au Tchad qui s’est faite en de manière non constitutionnelle », assure Durez.

Jean-Claude Félix-Tchicaya, chercheur à l’IPSE, a une lecture similaire, affirmant que Macron « a oscillé entre la condamnation des dictatures, des régimes totalitaires et des despotes, mais en même temps il a eu des rapprochements avec des dictateurs et des despotes identiques ou similaires ». Une incohérence qui, dit-il, a eu « un impact sur le quotidien de centaines de milliers d’Africains ».

Désormais, ses succès et ses échecs, selon les experts, pourraient influencer l’image du président lors des élections. De plus, ceux-ci fonctionneraient comme un outil politique pour leurs adversaires.

La fin de l’opération Barkhane au Mali : un rejet grandissant

En juin dernier, Emmanuel Macron avait annoncé la fin de l’opération Barkhane, présente au Mali depuis 2014 avec l’objectif tacite de combattre le djihadisme.

C’est l’une des décisions qui, selon Viviane Ougou, experte du Sahel et fondatrice de « Gateway to Africa », pourrait nuire à Macron en tant que dirigeant.

« Si on veut parler d’échecs, quelque chose qui a eu un impact sur son score électoral, même si je pense qu’en ce moment après la guerre en Ukraine, ça reste au second plan dans les élections ; c’est Barkhane, le fait qu’ils aient des liens rompus avec un pays où (la France) travaille depuis plus de dix ans », dit-il.

La présence des forces françaises au Sahel a généré un coût pour le pays de près d’un milliard d’euros par an, dans le même temps, des dizaines de soldats sont morts au combat. Une des raisons pour lesquelles le rejet des Français contre une intervention militaire en Afrique s’est accru.

« Tous les gens qui ont perdu la vie dans la Barkhane, on ne peut pas dire qu’ils l’ont fait pour rien. Au final, ils ont essayé de faire le bien. Mais, que cela a eu un effet positif sur le long terme ? nous voyons qu’il s’agit d’une rupture des relations entre les deux pays et du fait qu’il y a tellement plus de violence et d’instabilité dans toute la région qu’il n’y en avait auparavant », déclare Ougou.

Cependant, malgré le fait que le 17 février, le président a confirmé le retrait des troupes françaises et celles de ses alliés du territoire malien, il a assuré qu’elles ne quitteraient pas la zone. En outre, il a annoncé que la tâche de lutte contre le terrorisme se poursuivrait au Niger.

Une détermination qui a suscité le rejet tant en France que dans de nombreux pays africains. « Les interventions militaires françaises au Sahel ont très clairement et profondément compliqué les relations de la France avec de nombreux pays de la région », note Florent Frasson, spécialiste de la sécurité internationale et de l’Afrique.


Le 17 février, le président français Emmanuel Macron a confirmé le retrait des troupes françaises et de celles de ses alliés du territoire malien.
Le 17 février, le président français Emmanuel Macron a confirmé le retrait des troupes françaises et de celles de ses alliés du territoire malien. © Jérôme Delay / AP

En revanche, le retrait des forces militaires françaises a été célébré par les citoyens maliens. Ce qui explique pour les analystes le rejet accru de certains pays africains à l’interventionnisme militaire français. Un désaveu qui s’étend également à une partie de la population française qui réclame le retrait de toute l’opération.

Dans la perspective des élections, la perte d’influence française et l’expansion d’autres pouvoirs pourraient affecter le président. « Je pense que ce qui s’est passé au Mali peut l’affecter. Les forces françaises doivent se retirer du Mali. Alors que le gouvernement du Mali, les militaires qui ont pris le pouvoir en 2021, ont fait appel à des mercenaires russes pour assurer leur protection. C’est donc quelque chose que les autres candidats vont sûrement critiquer. Son insistance à maintenir la force militaire au Mali », conclut Durez.

L’avancée de la relation russe avec l’Afrique est, selon Frasson, un signe de faiblesse française qui, « témoigne en même temps d’un rejet de plus en plus fort des populations de ces Etats envers l’ancien colonisateur et, en ce sens, cette image de colonisateur n’a pas disparu des esprits des pays africains et de leurs populations », indique-t-il.

La demande de pardon à l’Algérie : quels effets a-t-elle sur l’image de Macron en tant que dirigeant ?

«Je veux montrer notre appréciation aux combattants. Nous ne les oublierons pas. Je m’excuse, nous n’oublierons pas », a déclaré Macron en août de l’année dernière. Il est ainsi devenu le premier président à montrer un geste de ce calibre envers les harkis, les Algériens qui ont combattu du côté français pendant la guerre d’Algérie.


Le président français Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de son pays et a présenté ses excuses aux Harkis, les Algériens qui ont combattu aux côtés de la France pendant la guerre d'Algérie.  Photo du 16 octobre 2021.
Le président français Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de son pays et a présenté ses excuses aux Harkis, les Algériens qui ont combattu aux côtés de la France pendant la guerre d’Algérie. Photo du 16 octobre 2021. © Rafael Yaghobzadeh / AP

Près de 200 000 hommes ont été recrutés lors du conflit qui a duré entre 1954 et 1962, abandonnés plus tard par la France et confrontés aux représailles des forces algériennes. Des actes pour lesquels Macron a accepté la responsabilité de son pays.

Peu après les élections, il y a eu la commémoration du 60e anniversaire des accords d’Evian qui ont mis fin au conflit. Un moment qui place l’Algérie comme sujet d’intérêt avant les élections.


©France 24

« C’est une question évidemment pertinente pour les élections dans différentes dimensions. Une électorale directement (…) une bonne partie des électeurs pieds noirs, c’est-à-dire des Français nés en Algérie, et qui ont dû retourner en métropole vont participer aux élections. Ceux-ci constituent une partie non importante mais non négligeable de l’électorat », précise Frasson.

Au-delà de son influence sur l’électorat, le souvenir de la guerre d’Algérie divise les Français.

« La question algérienne est une question de politique étrangère mais aussi une question de politique intérieure par rapport à la mémoire des personnes qui ont été liées en France à la guerre d’Algérie. C’est une mémoire partagée entre différentes catégories de Français et le sujet de l’Algérie, sûrement, va faire l’objet de quelques polémiques de débat dans la campagne électorale », condamne Durez.

Quel rôle jouent les relations avec les anciennes colonies dans les différentes campagnes présidentielles ?

« C’est un problème actuel mais indirect », explique Frasson. Face aux élections, les candidats, de différents bords, prennent comme étendard l’imaginaire hétéroclite des Français face à leurs anciennes colonies. Avec un premier sujet qui touche les fibres d’une partie de l’électorat : la migration.

« Tous les candidats parlent beaucoup de migration, de gestion des flux migratoires, et c’est un secret de polichinelle qu’en matière de migration, la cible de ces discours n’est pas les migrants d’Europe de l’Est ou d’Europe du Nord, mais plutôt les personnes qui viennent du continent africain », ajoute-t-il.

De son côté, Durez considère également que la migration est l’un des enjeux dans lesquels se pose la question des relations du futur président avec les anciennes colonies françaises.

« Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de débats et pas d’affrontements en politique étrangère, en politique africaine, je pense que très clairement pour les candidats de droite et d’extrême droite la question centrale est la question des migrations. Ces candidats insistent pour ne pas recevoir, ne pas accepter de migrants qui viennent du continent africain, donc cet enjeu apparaît clairement comme l’enjeu principal pour ces candidats », indique Durez.

Cependant, il y a d’autres aspects qui commencent à résonner, petit à petit, dans les différentes campagnes politiques. Comme le dit l’internationaliste, les candidats de gauche prônent une rupture avec « la dimension militaire de l’interventionnisme » en France.


Selon les experts, la question de l'Afrique sera indirectement présente lors des élections du 10 avril.  Notamment dans l'utilisation de l'imaginaire des anciennes colonies françaises dans le discours de certains candidats.
Selon les experts, la question de l’Afrique sera indirectement présente lors des élections du 10 avril. Notamment dans l’utilisation de l’imaginaire des anciennes colonies françaises dans le discours de certains candidats. ©Michel Spingler/AP

Malgré le fait qu’il ne s’agisse pas d’un sujet qui ressort clairement des campagnes, Frasson souligne que le candidat de la « France insoumise », Jean-Luc Mélenchon, a donné quelques indices. « Il parle du continent africain, de ses Etats, des relations diplomatiques de la France avec eux et propose un discours qui s’inscrit tout à fait dans l’évolution de ce rapport France-Afrique, le rapport parfois insensé entre la France et ses anciennes colonies ».

En revanche, avec la droite, estime Félix-Tchicaya, « il y a un risque de retour d’une vision anachronique et condescendante de l’Afrique et des Africains. Zemmour a une vision raciste et Marine Le Pen le suit ».

Le prochain président de la France devra faire face au rejet croissant de certains pays africains face à l’interventionnisme français. Aujourd’hui, après la pandémie, le continent est également affaibli, ayant été relégué des campagnes de vaccination.

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