Pendant que ses complices présumés sont extradés, Ghosn est toujours au Liban

Pendant que ses complices présumés sont extradés, Ghosn est toujours au Liban

Deux citoyens américains, soupçonnés d’avoir permis à l’ancien PDG de Renault-Nissan de fuir le Japon en décembre 2019, ont été arrêtés à Tokyo après avoir été extradés des États-Unis. Mais, comme le regrette la presse japonaise, il n’est pas dit qu’ils livrent des informations utiles et, de toute façon, Ghosn est pour le moment toujours à l’abri de toute extradition.

On s’en souvient, en novembre 2018, Carlos Ghosn, alors patron de Renault-Nissan, avait été arrêté au Japon. Soupçonné de malversations financières et d’avoir minimisé ses revenus dans les rapports annuels de Nissan, il avait été placé en détention, puis libéré sous caution en avril 2019. Quelques mois plus tard, le 29 décembre, il était parvenu à s’évader et avait gagné le Liban, l’un des pays dont il détient la nationalité, échappant ainsi à son procès au Japon.

Alors que Carlos Ghosn, toujours en cavale, ne semblait plus menacé, cette affaire politico-juridique a connu un nouveau rebondissement, comme le relate la presse japonaise. Le 2 mars, le parquet de Tokyo a annoncé l’arrestation de Michael et Peter Taylor, deux citoyens américains accusés d’avoir aidé l’ancien PDG de Nissan dans sa fuite vers Beyrouth. D’après les informations publiées par les procureurs nippons et reprises par le journal Asahi Shimbun, Michael Taylor, 60 ans et ancien Béret vert (forces spéciales américaines) reconverti dans la sécurité privée, et son fils Peter, 28 ans, sont soupçonnés d’avoir caché l’entrepreneur franco-libano-brésilien dans une malle pour matériel audio afin de lui permettre d’échapper à son assignation à résidence.

Selon le journal japonais, l’avion transportant ces deux complices présumés a atterri à l’aéroport de Narita mardi vers 16 h 15, heure locale. Covid-19 oblige, ils ont passé un test PCR et ont été embarqués dans deux autocars lourdement protégés par des véhicules de police pour partir au centre de détention de Kosuge, à Tokyo, où, ironie de l’histoire, Carlos Ghosn a passé cent trente jours après son arrestation en novembre 2018. “Ce sont des personnes qui ont été capables de faire fuir Carlos Ghosn. Il pouvait y avoir des complices venant à leur secours, leur convoi était sous tension jusqu’à la fin”, glisse un cadre du parquet de Tokyo, cité par le journal.

Incertitudes sur le sort de l’enquête

Ces deux citoyens américains avaient déjà été arrêtés aux États-Unis en mai 2020 sur demande des autorités judiciaires japonaises, avec lesquelles Washington a un accord bilatéral d’extradition depuis 1980. Afin d’éviter que ses clients ne soient remis aux procureurs japonais, l’avocat de Michael et Peter Taylor avait tenté d’annuler l’extradition, mais cette demande a été rejetée par la Cour suprême américaine le 13 février 2021, selon un autre article du journal japonais. “Nous tenons à exprimer notre gratitude aux autorités judiciaires américaines pour leur coopération. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour arrêter Carlos Ghosn, actuellement en cavale”, a déclaré Hiroshi Yamamoto, responsable du parquet de Tokyo, lors d’une conférence de presse le 2 mars.

Pendant sa période de liberté sous caution, l’ancien PDG de Nissan n’avait qu’un accès limité à son portable et à Internet. “Comment a-t-il pu organiser une fuite à travers des frontières tout en passant sous la surveillance des services de l’immigration ?” s’interroge le journal Nihon Keizai Shimbun.

L’extradition de Ghosn reste “hors de portée”

Malheureusement, “la question qui se pose désormais est de savoir à quel point les interrogatoires du parquet vont pouvoir nous aider à établir la vérité”, poursuit-il : les accusés pouvant bel et bien exercer leur droit au silence, il n’est pas sûr que l’enquête soit fructueuse. “Aux États-Unis, des aveux sont souvent obtenus à travers une négociation de plaidoyer comme une réduction de peine […], mais le système judiciaire japonais ne fonctionne pas de la même manière. Il est probable que les Taylor aient recours au droit au silence”, explique Oh Yunkai, professeur à l’université Hitotsubashi.

Quant au principal intéressé de l’affaire, le Japon n’ayant pas d’accord d’extradition avec le Liban, son arrestation “reste hors de portée pour le moment”, constate le journal Asahi. L’ancien patron de Renault a beau faire l’objet d’un mandat d’arrêt international, le Liban dispose d’une loi interdisant toute extradition de ses citoyens vers des pays étrangers. Ce qui ne fait que compliquer la situation. “Il nous manque le protagoniste de l’affaire”, admet amèrement un procureur cité par le journal.

Yuta Yagishita

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