La polémique qui oppose Xavier Gorce au journal Le Monde après la publication d’un dessin sur l’inceste est “délicate”, écrit ce correspondant britannique en France. Il observe que le quotidien de référence a justement défendu le droit d’offenser l’islam mais réagit de manière anglo-saxonne dans ce cas précis.
L’épisode a étonné plus d’un observateur étranger. “La liberté de satire du dessinateur satirique a semble-t-il des limites, même en France”, annonce le journaliste britannique John Lichfield sur UnHerd. Mercredi 20 janvier, le dessinateur Xavier Gorce a mis fin à dix-neuf ans de collaboration avec le journal Le Monde [Courrier international fait partie du groupe Le Monde] après que celui-ci a présenté, la veille, des excuses pour avoir publié un de ses dessins. L’œuvre du cartooniste pouvait être interprétée comme “une relativisation de la gravité des faits d’inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres”, a indiqué le journal.
En référence à l’affaire Duhamel, le dessin en question met en scène les manchots des Indégivrables, dont l’un dit : “Si j’ai été abusé par le demi-frère adoptif de la compagne de mon père transgenre devenu ma mère, est-ce un inceste ?”
Un rapprochement scandaleux entre les personnes transgenres et l’inceste, s’indignent les uns ; une critique évidente des justifications bancales de certaines personnalités dans l’affaire Duhamel, selon les autres. Pour le journaliste britannique, cette polémique illustrerait surtout l’arrivée du politiquement correct anglo-saxon en France.
Après le tollé déclenché par le dessin sur les réseaux sociaux, et le contre-tollé déclenché par les excuses de la rédaction, puis le départ du dessinateur, John Lichfield prend des pincettes : “L’affaire est délicate.” Elle constitue aussi une pure question de principes, le quotidien n’ayant ni retiré le dessin ni licencié le dessinateur. Mais quel symbole, dans ce pays qui lutte sous les yeux de la planète entière pour la liberté d’offenser :
La fluidité de genre est une chose. La fluidité dans la défense de la liberté de la presse, de la part d’un grand quotidien comme ‘Le Monde’, en est une autre. Il serait acceptable, au nom de la liberté d’expression, d’offenser les musulmans (même si ce n’était à aucun moment l’intention des caricatures de ‘Charlie’) mais pas d’offenser les personnes transgenres (même si ce n’était en aucun cas l’intention de Gorce) ? L’inceste (resté longtemps un sujet tabou en France, comme dans bien d’autres pays) serait-il zone interdite pour la satire et l’humour ?”
Dans cette affaire opposant “le meilleur quotidien français” à “l’un des dessinateurs les plus doués du pays”, les commentateurs français sont divisés, explique Lichfield, tout comme la rédaction du Monde.
“‘Le Monde’ a commis une erreur”
“Mon point de vue ? L’affaire est délicate. J’ai trouvé le dessin malin, et drôle. Je comprends que d’autres l’aient mal interprété. Mais je pense que Le Monde a commis une erreur.” Et le journaliste d’argumenter en rappelant l’édito du quotidien après l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo.
“Le Monde, et plus généralement la France, ont eu tout à fait raison de défendre les caricatures de Mahomet publiées par Charlie, même si certaines manquaient à la fois d’humour et de talent. Le Monde aurait dû aussi défendre les manchots de Xavier Gorce, qui se distinguent généralement par leur sagesse et leur finesse d’esprit, et de belles lignes épurées. Si la blague est cette fois tombée à plat, le journal aurait dû, à tout le moins, donner à Xavier Gorce une occasion de s’expliquer.” Le journaliste poursuit :
La liberté, en particulier dans le domaine de la satire, c’est aussi la liberté de repousser les frontières du bon goût. Pour reprendre les mots du ‘Monde’ lui-même, dans son éditorial après les attentats de 2015, les manchots de Gorce incarnent ‘cette indépendance d’esprit, cette nécessaire et vitale audace de la liberté’.”