Les Parisiens divisés sur l’accueil des migrants après les attentats

Un peu plus de dix jours après les attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis, et alors que la plupart des partis politiques ont repris leur campagne pour les élections régionales de décembre, la question de l’accueil des migrants divise les Parisiens.

Manifestation de migrants, Place de la République, le 20 octobre 2015. Crédit photo: Laura Welfringer
Manifestation de migrants, Place de la République, le 20 octobre 2015. Crédit photo: Laura Welfringer

Après la découverte d’un passeport syrien auprès d’un kamikaze du Stade de France, la crainte a émergé de voir les terroristes de Daesh profiter des flux de migrants pour s’infiltrer en France.

S’il s’est avéré que l’identité figurant sur ce passeport ne correspondait pas à celle du terroriste du Stade de France, ce dernier a pourtant bien été enregistré sur l’île grecque de Leros en octobre dernier. La preuve, selon les enquêteurs, que comme l’un de ses complices, le terroriste en question est arrivé en France par la « route des Balkans », principale porte d’entrée en Europe pour des centaines de milliers de migrants.

Dans la crainte, la tentation du repli sur soi

A quelques jours des élections régionales, plusieurs personnalités d’extrême-droite ont vu dans ces révélations l’occasion de lier terrorisme et crise des migrants. Une opportunité, aussi, de surfer sur les peurs d’un électorat rendu frileux par les événements.

Et pour cause, plus d’une semaine après les attaques terroristes, la tentation du repli sur soi est grande pour plusieurs Parisiens interviewés pour Monomania. 

« Avant ces attentats, j’étais pour le secours à toutes les personnes jetées à la rue par la guerre et la faim. Mais là, c’est trop tôt pour que je donne mon opinion, reconnaît Françoise, Parisienne de 68 ans. Je suis contre la fermeture totale des frontières, mais en même temps, je sais que parmi les milliers de migrants qui arrivent en France, certains sont peut-être des terroristes, » se justifie-t-elle.

A ses côtés, Lisa, 50 ans, renchérit: 

« On n’a pas les lois qui nous protègent. La preuve en est, c’est que quelqu’un est entré en France et a tué 130 personnes. […] Il faudrait savoir qui rentre et qui sort. Moi, je veux bien montrer mon passeport, ça ne me dérange pas de laisser une traçabilité de ma personne. »

Si l’on en croit le sondage en ligne réalisé du 18 au 20 novembre par l’Ifop auprès de 1018 personnes, une majorité de Français plébiscitent les mesures de lutte contre le terrorisme prises par François Hollande depuis le 13 novembre. Les données recueillies par l’institut de sondage indiquent que 91% des personnes interrogées approuvent la prolongation de trois mois de l’état d’urgence, 94% soutiennent le rétablissement des contrôles aux frontières, et 95% sont favorables à la « déchéance de la nationalité pour les citoyens français en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou d’acte terroriste ».

Refus des amalgames

Mais pour d’autres Parisiens interviewés pour Monomania, ce tournant sécuritaire est source d’inquiétude. Hakki, 47 ans, d’origine turque, est arrivé en France en 1993.

« La France a toujours ouvert sa porte aux immigrés. Maintenant, fermer les frontières à cause des attentats, ce n’est pas bon, » juge-t-il.

Manifestants rassemblés à la Bastille, au départ de la marche en faveur de l'accueil des réfugiés et contre l'état d'urgence. Crédit photo: Laura Welfringer
Manifestants rassemblés à la Bastille, au départ de la marche en faveur de l’accueil des réfugiés et contre l’état d’urgence. Crédit photo: Laura Welfringer

Dimanche, plusieurs Parisiens ont bravé l’interdiction de manifester imposée depuis la mise en place de l’état d’urgence. De Bastille à République, ils ont défilé pour exprimer leur solidarité aux migrants, dénoncer le contrôle aux frontières et s’opposer à l’état d’urgence.

Parmi eux, nous y avons rencontré Mohamed, qui voulait dénoncer « la logique de peur semée par le pouvoir politique et économique du pays. La peur de l’autre ». Nelly, 70 ans, membre du Nouveau Parti Anticapitaliste, était aussi présente. « Je veux dénoncer les mesures anti-réfugiés et le contrôle aux frontières. Le gouvernement fait presque de la surenchère sur Marine Le Pen, c’est une honte, » s’insurgeait-elle. Dans la foule, il y avait aussi Annick, 77 ans, membre du Parti de Gauche :

« On avait prévu depuis longtemps cette manifestation de soutien aux migrants, mais c’est devenu encore plus important de la faire depuis le 13 novembre. Les réfugiés qui fuient l’Irak et la Syrie fuient la même chose que ce qui nous a frappé à Paris et à Saint-Denis, » explique-t-elle.

Pour d’autres Parisiens, refuser les amalgames, c’est aussi prendre le temps d’écouter les migrants donner leur opinion sur Daesh. Bénévole au sein de l’association Sciences Po Refugee Help, Tina Bouffet a rendu visite aux demandeurs d’asile d’un centre d’hébergement d’urgence à Ivry.

« Ils m’ont dit qu’ils étaient dégoûtés par ce qu’avait fait Daesh, témoigne l’étudiante interviewée par téléphone. […] La première question qu’ils m’ont posée a été : « Où est-ce qu’on peut donner notre sang ? ». Leur deuxième question : « Quand est-ce qu’on va nous renvoyer ? » »

 

"Message à gauche: "Nous sommes simplement des réfugiés. Nous ne sommes pas Daesh ni des terroristes. Si nous avons fui notre pays, c'était pour fuir ce genre d'attaque. A la France: nous partageons votre peine" // Message à droite: "Nous, réfugiés afghans, présentons nos condoléances à tous les Français suite aux événements tragiques du 13 novembre qui nous plongent dans un profond chagrin"."
« Message à gauche: « Nous sommes simplement des réfugiés. Nous ne sommes pas Daesh ni des terroristes. Si nous avons fui notre pays, c’était pour fuir ce genre d’attaque. A la France: nous partageons votre peine » // Message à droite: « Nous, réfugiés afghans, présentons nos condoléances à tous les Français suite aux événements tragiques du 13 novembre qui nous plongent dans un profond chagrin ». » Légende de Sciences Po Refugee Help. Crédit Photo: Sara Bonyadi

 

Sur le sol de la Place de la République, point de ralliement des Parisiens après les attaques de janvier et réceptacle de milliers de fleurs et bougies depuis le 13 novembre, Jackie a dessiné des coeurs à la craie. Interviewé pour Monomania, l’étudiant franco-italien se dit choqué par les appels lancés par certaines personnalités politiques à fermer les frontières. 

« A Rome, c’est encore pire. Mon mur Facebook est saturé d’appels au nationalisme, s’insurge-t-il. Malheureusement, le but de l’action terroriste du 13 novembre était exactement celui-là : essayer de déclencher une guerre civile, tenter de nous faire haïr ceux que les terroristes haïssent : les migrants et les musulmans libéraux. Si on tombe là-dedans, on sera perdu, » prévient l’étudiant.

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Place de la République à Paris, Mohamed rend hommage aux victimes des attentats. Crédit photo: Laura Welfringer

Près de lui, Mohamed, 36 ans, a tracé ces mots en rose sur les dalles noires de deuil : « Le Sénégal compati [sic] ». Arrivé dans l’Hexagone il y a quatre mois, Mohamed étudie le droit en Dordogne. Dimanche 15 novembre, il a fait le voyage jusqu’à Paris pour pleurer les victimes des attentats.

« Pour moi, c’était important de venir parce que  ça m’a fait énormément de mal dans mon cœur. On est tous des êtres humains. Pourquoi on s’entre-tue ?, » demande-t-il l’air perdu.

Laura Welfringer

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