« Les hommes semblent plus libres d’être différents » : le syndrome d’Asperger au féminin

Crédits photo : capture d’écran d’une vidéo YouTube.

Alexandra, la trentaine et mère de famille, souffre du syndrome d’Asperger : une forme d’autisme qui rend difficile les relations avec les autres, la compréhension des codes sociaux, sans affecter les capacités intellectuelles. Pourtant, ce syndrome est essentiellement masculin : aux Etats-Unis, on estime que 75% des enfants autistes sont des garçons ; 85% en France. Un déséquilibre et un manque de représentation des femmes qui ont poussé Alexandra à prendre la parole. Sur Internet, elle décrit son quotidien d’« Aspergirl » et tord le cou à quelques clichés sur ce syndrome aux causes méconnues.

Vous êtes très présente sur Internet : blog, vidéos, page Facebook, groupes de soutien pour adultes… Pourquoi une telle activité ?

Pour les personnes atteintes du syndrome d’Asperger, s’exprimer sur Internet est beaucoup plus simple que dans la vraie vie : on peut prendre son temps pour écrire, corriger, interpréter les mots. Il n’y a pas d’expressions du visage à décoder, de bruits parasites autour qui pourraient gêner la compréhension. Je profite donc de cet espace pour faire entendre ma voix particulière, celle d’une femme Aspie [nom donné aux Asperger par eux-mêmes, ndlr], et briser les stéréotypes associés à l’autisme et au syndrome d’Asperger plus précisément.

Pensez-vous que le diagnostic soit plus difficile à établir quand on est une femme, et surtout une femme adulte ? 

Oui, sans aucun doute ! Je n’ai pas vécu cela personnellement, mais beaucoup de témoignages relatent un refus de diagnostic. Une mère de famille s’est vue répondre que, vu qu’elle avait des enfants, elle ne pouvait pas être Aspie… Alors que j’ai moi-même un fils et je n’ai jamais eu de problèmes avec ce que l’on appelle l’instinct maternel. On raconte aussi, mais c’est une rumeur, que les centres de ressources autisme, habilités à poser un diagnostic, demandent à leurs équipes de ne plus diagnostiquer les adultes « insoupçonnables », qui ont une famille, un travail, une vie posée… pour désengorger les centres et ne pas gonfler les chiffres.

Il existe plusieurs théories tentant d’expliquer pourquoi l’autisme est plus courant chez les garçons, notamment celle du « cerveau hyper-masculin ». Qu’en pensez-vous ?

Je n’adhère pas en général aux théories d’une différence sexuée des cerveaux, et cette théorie de Baron-Cohen [qui associe l’autisme à des traits supposés masculins, et à une surcharge de testostérone, ndlr] est très contestée. Alors, même s’il y a forcément une explication biologique au vu de la répartition très inégale du syndrome entre les hommes et les femmes, je pense que l’éducation a un rôle dans ce déséquilibre. Traditionnellement, on attend des femmes qu’elles sachent s’adapter, des fillettes qu’elles soient plus dociles que les garçons, et cela peut atténuer les symptômes.
J’ai vu cela dans un documentaire sur le syndrome d’Asperger : les jeunes hommes qui témoignaient semblaient plus libres d’être différents, alors que les filles paraissaient se retenir de dire tout ce qu’elles avaient sur le cœur. C’est ce qui freine en partie le diagnostic, d’ailleurs : les femmes auront peut-être plus de mal à laisser tomber le masque de la « normalité » qu’elles construisent pour se protéger.

Au quotidien, comment vivez-vous le fait d’être une femme avec le syndrome d’Asperger ? 

Comme j’ai toujours vécu avec le syndrome, je ne peux distinguer, en moi, ce qui relève d’une part « féminine » et d’une part « autiste » : c’est un tout, c’est mon identité. Mais je pense que le rapport au corps, à la séduction, est différent chez les femmes Aspies. Malgré une éducation « féminine », je ne me suis jamais intéressée à la mode, au maquillage – même si je m’en suis beaucoup servi pour camoufler une apparence juvénile. J’intellectualise, je rationnalise tout, et les jeux de séduction m’horripilent. C’est un effort de tous les instants pour me conformer aux normes, et j’aimerais parfois ne plus avoir de corps, n’être qu’un simple esprit… Je travaille sur le sujet, mais cela reste très difficile.
Nous manquons aussi de références culturelles : presque tous les personnages de séries ou de films autistes ou autiste Asperger sont des hommes !

Avez-vous été confrontée au sexisme au sein de la communauté Asperger ?

Oui, j’ai rencontré des problèmes avec certains membres masculins d’un groupe Facebook pour Aspies, que je co-administrais. Sans preuve tangible, ils m’ont accusée d’agressivité, j’ai reçu des insultes, et je pense sincèrement que c’était lié à ma condition féminine plutôt qu’à mes activités d’administratrice ! En fait, certains hommes Asperger ont beaucoup de mal à entretenir des relations avec des femmes, ils sont très maladroits et lourdauds, donc ils profitent de l’anonymat d’Internet pour se défouler sur toutes les femmes et régler leurs comptes. Certaines lectrices m’ont d’ailleurs remerciée d’avoir créé un groupe Facebook, plus surveillé et animé qu’un forum, car elles étaient très mal reçues sur ces derniers. Par contre, je n’ai jamais vu d’agressivité féminine envers les hommes Asperger…

Propos recueillis par Héloïse Fayet
@HFayet

 

 

 

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