Les encombrants avec Lor-K : tas de merde ou œuvre d’art ?

Les élus des Yvelines retroussent les manches de leur costume à Montesson pour ramasser les dépôts sauvages qui dénaturent la plaine maraîchère. Les citadins se crispent à la vue des encombrants laissés à l’abandon sur les trottoirs, dans un contexte de grève des éboueurs. L’artiste Lor-K, elle, raffole de ce type de déchets: des objets dont on veut se débarrasser, trop volumineux pour les containers ménagers, et qui en imposent sur les trottoirs, de par leur taille et leur histoire. Elle utilise les encombrants, ces « tas de merde » (sic), comme support de son œuvre. Son casque de scooter aux pieds, une grosse doudoune sur le dos, elle nous explique sa démarche. Interview.

Capture d’écran 2015-10-13 à 09.23.51Vu sur Twitter le 7 oct. 2015

Pourquoi avoir choisi les encombrants ?

Depuis toute petite, je suis charmée par les encombrants qui s’amoncellent dans les rues. J’ai vite réalisé qu’ils pouvaient intégrer mes créations. L’art de rue est souvent cantonné à l’aspect mural, c’est ce qui m’a donné l’envie d’intervenir par la sculpture. Les encombrants offrent une matière première gratuite, disposée directement sur place, et imposante. Ils reflètent une ville, une société, une époque et ses gens. Une très belle citation de Schmitt illustre cette sociologie des poubelles que je remarque lors de mes vadrouilles parisiennes :

« Lorsque tu veux savoir si tu es dans un endroit riche ou pauvre, tu regardes les poubelles. Si tu vois ni ordures ni poubelles, c’est très riche. Si tu vois des poubelles et pas d’ordures, c’est riche. Si tu vois des ordures à côté des poubelles, c’est ni riche ni pauvre : c’est touristique. Si tu vois les ordures sans les poubelles, c’est pauvre. Et si les gens habitent dans les ordures, c’est très très pauvre»

(Eric-Emmanuel SCHMITT, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, France, Albin Michel, 2011)

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OBJETICIDE ©Lor-K

Qu’est-ce que vous avez pu constater sur les cycles de ramassage ?

Avant ils étaient définis par dates. Depuis l’informatisation du système, les camionnettes tournent tous les jours. Cela facilite mon travail, les dépôts sont devenus quotidiens, surtout dans une ville dense comme Paris. Mais je redoute aussi ces camions, mes grands rivaux, car il faut que j’arrive avant eux sur les tas. C’est aussi eux qui débarrassent mes installations, et ce côté éphémère fait partie de mon travail. Je propose des « créations en expérience ». Le contexte, les passants, les immeubles, créent la composition. C’est aussi pour ça que je ne reproduis pas à la commande pour des événements.

Est-ce que vous revendiquez un message, notamment écologiste ?

Pas du tout ! En réalité, j’interfère plutôt avec le cycle du recyclage. On me colle souvent un message écologique, politique, mais en réalité, c’est plutôt un constat. Je pointe du doigt les nombreux objets que je croise dans ma vie. Ils sont là, abandonnés, et le ramassage, payé par nos impôts, coûte cher. Parqués à la va vite dans des déchèteries, ne feraient-ils pas le bonheur d’autrui ? Donc non, je ne me définis pas comme une artiste engagée, même si dans le fond, une critique sous-jacente est perceptible, notamment celle de la société de consommation.

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CONSOMAS, sélection de photographies des interventions extérieures, ©Lor-K

Comment envisagez-vous l’évolution de votre travail avec ce thème spécifique des encombrants ?

Ce n’est pas un thème qui me bloque, mais au contraire, une source de projets et d’idées inépuisable pour moi. Cette matière soulève constamment de nouveaux questionnements personnels. C’est pourquoi j’ai pensé à une nouvelle création, « Dans ce monde », qui est un tour du monde des encombrants; je me demande quelles caractéristiques revêt ce type de déchet dans d’autres pays, différents de la France. Je souhaite trouver un tas dans chaque capitale et y écrire ironiquement au sommet « bienvenue » dans la langue nationale. Mais ce projet se fait sur le long cours. Je travaille donc sur deux autres idées actuellement. Il y a « Le Grand Pari » : j’explore la périphérie de Paris en quête de ruines. Comme pour toutes mes créations, j’erre parfois des jours entiers sur mon scooter, sans débusquer cette chaise de bureau, ce frigo, ce mur que j’ai en tête!  Enfin, je travaille avec un nouveau type d’encombrants, les jouets. Ils ont une histoire propre, largués sur le bitume, comme le reflet d’une enfance révolue, d’une perte d’innocence assumée… Enfin, j’ai fait une collaboration avec un artiste italien, mais là, ce n’est pas encore sorti donc c’est secret !

Constance Daire

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