Dites-moi ce que vous mangez et je vous dirai qui vous êtes : la viande, un marqueur social
CC/Flickr/Nguyen Dai
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L’abattoir d’Ales puis la controverse sur la viande rouge ont remis sur la table un débat où sensationnalisme et paranoïa ont ranimé des inquiétudes qui mettent en cause nos modes de consommation. « Le pauvre mange de la viande quand il se mord la langue », disait un proverbe brésilien. Marqueur social depuis des siècles, la viande est devenu un produit identitaire.

Une évolution historique remarquable

Si la viande a depuis toujours fait partie de l’alimentation humaine, c’est à partir du néolitique qu’apparaît dans certaines sociétés l’élevage des animaux en tant qu’agriculture. Mais « le mythe de l’homme comme mangeur de viande ne correspond pas à ce que l’on observe dans l’histoire. L’homme est avant tout omnivore, et les sociétés qui ne consommaient pas de viande ont toujours existé», précise Bruno Laurioux, historien médiéviste spécialisé dans l’histoire de l’alimentation.

Les mets à base de viande ont longtemps dénoté une certaine richesse. Dans la Rome antique déjà, le jambon de qualité faisait saliver les bouches des gens de la ville. Pendant longtemps, les paysans étaient représentés comme des consommateurs de légumes, même si la réalité était bien plus complexe. Ainsi, le jambon blanc, viande salée que l’on pouvait conserver longtemps, était une viande consommée régulièrement par les classes populaires et rurales. Geneviève Cazes-Vallette, anthropologue et professeur à la Toulouse Business School, explique que « jusqu’à la fin du 20e siècle, la viande, et en particulier la viande de bœuf, ou encore le jambon cru étaient des mets convoités et rares. Mais depuis qu’elle est devenue plus accessible aux classes populaires, les classes supérieures s’en sont détournées.»

Au cours des dernières décennies, l’élevage en masse et par conséquent la baisse de qualité ont fait de la viande un met plus accessible dans tous les sens du terme. Selon une étude réalisée par FranceAgriMer, les foyers modestes consomment plus de viande que les ménages aisés. Il s’agit toutefois de produits majoritairement bon marché tels que les viandes congelées ou le porc. « Aujourd’hui, les classes plus élevées comme les bobos par exemple, retournent vers des viandes oubliées au goût très différent, rassises, et conservées pendant des semaines pour perdre leur humidité. Il s’agit clairement d’une manifestation sociale et d’une certaine provocation », explique Bruno Laurioux.

Mais la hausse des prix généralisée observée depuis les années 1990, ainsi que l’émergence de préoccupations éthiques, sanitaires et environnementales liées à la consommation de produits carnés, ont contribué à une baisse généralisée de la consommation de viande en France. Entre 2001 et 2013, celle-ci a baissé, selon le type de viande, entre 8 et 23%. Tandis que les classes plus aisées ont la possibilité d’avoir recours à des alternatives (comme le poisson par exemple, bien que sa consommation soit également controversée), la transition devient plus compliquée lorsque l’on manque de moyens.

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Une distinction sociale horizontale et verticale

« La distinction sociale dans la consommation de viande n’est pas forcément hiérarchique », affirme Bruno Laurioux. Il est donc intéressant de se pencher aussi sur la division homme/femme, géographique, générationnelle, religieuse… A titre d’exemple « le jambon blanc ou les non-viandes telles que le jambon de volaille sont les seules à être consommées davantage par les femmes, car elles sont symboliquement moins sanguines. » soutient Geneviève Cazes-Vallette.

De la même manière, la viande rouge symbolise l’énergie et la vitalité ; elle est donc surtout prisée parmi les personnes actives, les personnes âgées estimant qu’elle n’en ont plus besoin. Elle est également très consommée par les ménages des classes moyennes supérieures, notamment lorsqu’il y a des enfants au sein du foyer.

Le plus souvent, cette différence de comportement alimentaire entre catégories sociales se fait de manière inconsciente. Mais c’est quand elle devient délibérée qu’on peut également lui accorder une dimension politique. Ainsi, lors des fêtes saucisson-vin rouge organisées par le Front National, où encore lors des «fêtes de la saucisse» comme celle organisée par le maire d’Hayange en 2014, des polémiques ont vu le jour au vue de l’exclusion de fait de certaines confessions.

 

Le mode de consommation « à la française » en voie de redéfinition

Alors que 42% des français auraient réduit leur consommation cette année, le tournant vers une réduction encore plus importante dans les années à venir semble avoir été pris. Dans une interview pour Les Echos, Rémy Oudghiri se dit convaincu que la part des personnes occasionnellement végétariennes (ou « flexitariens») augmentera.

Les tendances totalement végétariennes quant à elles restent modérées en France. Selon Rémy Oudghiri, prévisionniste, 3% des Français sont végétariens. Des chiffres qui sont en faible augmentation. Il s’agit surtout des jeunes, qui soulèvent diverses préoccupations liées au bien-être de l’animal.

La viande est une partie intégrante de la culture française, et perçue comme un réel pilier de l’identité nationale et du mode de vie français. La France aime manger, beaucoup, souvent, ce qui va mal de pair avec un nombre croissant de restrictions alimentaires qu’on doit s’imposer si on veut être en bonne santé et respecter l’environnement et l’animal.

« De manière générale, le problème est que le consommateur est soumis à diverses injonctions multiples et contradictoires qui créent une certaine angoisse et une culpabilisation permanente », dénote Bruno Laurioux. Face à cela, certains consommateurs ne savent plus vers quels produits se tourner.

Au-delà des aspects sociétaux assimilés à la consommation des produits carnés, le rapport à l’animal reste un élément central pour comprendre notre comportement alimentaire. Une dimension psychologique qui pourrait à l’avenir jouer un rôle explicatif plus important.

 

 Maria Gerth-Niculescu – @MariaG_N

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