Que sont devenus les migrants du lycée Jean-Quarré?
Le Lycée Jean-Quarré, photographié le 13 octobre 2015. Depuis le mois de juillet, cet établissement désaffecté était devenu le refuge de plusieurs centaines de migrants. Crédit photo: Laura Welfringer
Le Lycée Jean-Quarré, photographié le 13 octobre 2015. Depuis le mois de juillet, cet établissement désaffecté était devenu le refuge de plusieurs centaines de migrants. Crédit photo: Laura Welfringer

Le 23 octobre, plusieurs centaines de migrants ont été évacués du lycée Jean-Quarré dans le 19e arrondissement parisien. Dans ce bâtiment insalubre, les conditions de vie étaient devenues insoutenables, ce qui avait poussé le tribunal administratif à requérir sa fermeture avant le 25 octobre. 

Une opération qui ne s’est pas effectuée sans quelques difficultés logistiques. Aujourd’hui, des voix s’élèvent aussi pour dénoncer une prise en charge partielle des migrants.

 

Vendredi 23 octobre, 6 heures du matin. L’évacuation du lycée Jean-Quarré vient de commencer. Une « urgence humanitaire » selon Jean-François Carenco, préfet d’Île-de-France et de Paris.

L'un des 33 bus réquisitionnés vendredi 23 octobre pour emmener les migrants du lycée Jean-Quarré vers des centres d'hébergement. Crédit photo: Laura Welfringer
L’un des 33 bus réquisitionnés vendredi 23 octobre pour emmener les migrants du lycée Jean-Quarré vers des centres d’hébergement. Crédit photo: Laura Welfringer

1318 migrants pour 46 centres d’hébergement

Dans cette urgence, les autorités se laissent surprendre par le nombre de migrants et doivent trouver des places d’accueil supplémentaires. Au lieu des 800 attendus, ce sont 1318 migrants, dont 40 femmes, qui sont comptés ce jour-là, selon la préfète de Paris Sophie Brocas. Trente-trois cars sont finalement affrétés à destination de 45 centres d’hébergement et lieux réhabilités en région Île-de-France. Un 46e centre accueille des migrants dans le département de l’Allier (région Auvergne).

Destination: repos et tranquillité

Pour l’heure, la liste exhaustive de ces lieux d’hébergement n’a pas été rendue publique. Contacté par téléphone, le service presse de la Préfecture de Paris se justifie :

« Pour les migrants, c’est très perturbant de vivre une évacuation. On a décidé de ne pas communiquer sur les lieux [d’hébergement des migrants] car nous souhaitons qu’ils soient tranquilles et qu’ils ne soient pas sans cesse sollicités par la presse et les associations. »

Pourtant, les différentes municipalités et la presse locale se sont souvent faites l’écho de l’arrivée des migrants dans les divers lieux d’accueils concernés.

  • A Triel-Sur-Seine (Yvelines), 80 migrants ont ainsi été accueillis dans l’ancien Etablissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes des Tilleuls, réquisitionné par la Préfecture d’Île-de-France. Ils y sont pris en charge par la Croix Rouge.
  • A Chevilly-Larue (Val-de-Marne), 50 migrants ont été relogés dans une ancienne gendarmerie où ils seront accompagnés par des bénévoles de la Croix Rouge.
  • A Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), ce sont 50 migrants dont neuf enfants qui ont été pris en charge par l’association Aurore. Restés en famille, ces migrants occupent à présent une vingtaine de chambres dans les locaux d’une ancienne gendarmerie.
  • A Jouy-sur-Morin (Seine-et-Marne), 36 migrants ont pu s’installer au Vieux Moulin, ancienne maison de retraite appartenant à la société catholique Saint-Vincent de Paul. Une arrivée qui a pris au dépourvu Luc Neyrinck, maire de Jouy-sur-Morin. « Ce que je regrette, c’est que la mairie n’a été en aucune manière concertée autour de cette arrivée. Nous aurions pu aider, apporter notre contribution », a déclaré l’édile au journal Le Pays Briard.
  • Parmi les migrants du lycée Jean-Quarré, d’autres ont été relogés dans une ancienne Maison d’Accueil Spécialisé à Champcueil (Essonne). A Paris, 50 migrants ont notamment été pris en charge par Emmaüs Solidarité dans une auberge de jeunesse du 20e arrondissement.

Contactée par téléphone, Emmaüs Solidarité n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais l’association indique que tous les migrants dont elle s’occupe sont logés « dans de très bonnes conditions, dans des chambres prévues pour une à deux personnes, avec un accompagnement et trois repas par jour ».

Une opération qui fait polémique

Des migrants attendent dans la cour du lycée Jean-Quarré le 13 octobre 2015. Crédit photo: Laura Welfringer
Des migrants attendent dans la cour du lycée Jean-Quarré le 13 octobre 2015. Crédit photo: Laura Welfringer

Sur place, la solidarité s’organise, même si l’arrivée de migrants génère parfois des inquiétudes parmi les riverains.

Interrogés sur leurs conditions d’accueil, beaucoup de migrants se disent soulagés d’avoir enfin trouvé un toit. Interviewé par le Parisien à Chevilly-Larue, un migrant s’enthousiasme:

« On a dormi par terre près de la gare de l’Est, alors qu’ici il y a des lits, des machines à laver, des douches… Il n’y a pas de comparaison ».

Pourtant, depuis plusieurs jours, des bénévoles se réclamant de divers collectifs accusent les autorités de ne pas avoir relogé tous les migrants du lycée Jean-Quarré.

Le jour de l’évacuation, « il y avait des gens absents du site car on nous avait dit que l’évacuation pourrait se faire jusqu’au 25 octobre. Donc nous, on pensait qu’ils allaient attendre le 25 octobre », raconte Hanaé, une bénévole proche du collectif La Maison des Réfugiés, qui intervenait au lycée. « Et certains migrants avaient des rendez-vous tôt le matin à la préfecture, ajoute-t-elle. Ils n’ont pas pu monter dans les bus ».

S’exprimant sur le site Médiapart, le collectif La Chapelle en lutte affirmait mardi qu’une centaine de migrants n’avaient pas été relogés suite à l’évacuation du lycée.

Interrogé à ce sujet par téléphone, le service presse de la Préfecture de Paris répond :

« Nous avons publié un communiqué de presse vendredi [23 octobre] qui annonçait le chiffre de 1318 migrants pris en charge par la Mairie, la Préfecture et les différentes associations. […] Notre politique depuis le mois de juin, et même avant, depuis le mois d’avril, c’est de travailler main dans la main avec les associations privées pour que les migrants aient un logement. (…) Après, il est vrai que certaines associations essayent de mettre le feu aux poudres. »

 

Retour dans la rue

Tentes abritant plusieurs dizaines de migrants sur la Place de la République à Paris, le 27 octobre 2015. Crédit Photo: Laura Welfringer
Tentes abritant plusieurs dizaines de migrants sur la Place de la République à Paris, le 27 octobre 2015. Crédit Photo: Laura Welfringer

Aujourd’hui plusieurs dizaines de migrants campent sous des tentes, Place de la République à Paris. Au milieu de ces abris de fortune, accrochée à un arbre, une pancarte en carton indique : « Les réfugiés de La Chapelle à République après l’évacuation du Lycée Jean-Quarré ».

Pourtant, de l’aveu même des bénévoles, il paraît hasardeux d’identifier tous ces migrants à des laissés pour compte de l’évacuation du lycée Jean-Quarré. Car parmi les migrants qui ont été relogés – à Champcueil par exemple – quelques-uns ont choisi de s’en retourner à pied à Paris.

« Les endroits où ils ont été relogés sont hyper loin, explique encore Hanaé. Il y a des migrants qui ont réussi à s’inscrire à l’université donc ils reviennent à Paris car ils tiennent à leur statut d’étudiants », justifie la jeune femme.

Mais selon plusieurs membres du collectif de la Maison Des Réfugiés, le manque de nourriture s’ajouterait parfois à l’éloignement des lieux d’hébergement. Une situation que la bénévole ne prête pas pour autant à tous les migrants évacués.

Dans les différents centres gérés par des associations, les migrants du lycée Jean-Quarré seront logés pour une durée d’un mois. Le temps pour eux de se reposer et éventuellement de déposer une demande d’asile.

Quant au lycée Jean-Quarré, la Mairie de Paris prévoit de le transformer en centre d’hébergement d’urgence géré par Emmaüs. Il devrait rouvrir au terme de deux à trois mois de travaux.

Laura Welfringer

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