Comment les étudiants français essaient de s’en sortir ensemble en temps de Covid

Comment les étudiants français essaient de s’en sortir ensemble en temps de Covid

Normalement, faire ses études en France, c’est vivre une forte sociabilité et survivre grâce à des petits boulots. Désormais, les étudiants se sentent délaissés et même sacrifiés par le gouvernement durant la crise sanitaire. Ils se battent pour ne pas rester sur le carreau du Covid, observe ce quotidien américain.

Un mercredi soir à la tombée de la nuit, dans une petite rue, des centaines d’étudiants forment une file d’attente qui s’enroule autour du pâté de maisons. Ils sont venus chercher des paniers alimentaires. Des bénévoles passent parmi eux pour proposer du thé et un groupe de jazz du Conservatoire de Paris joue pour remonter le moral des troupes.

Myriam et Deborah, deux amies originaires de Marseille, attendent dans le froid glacial depuis trente minutes et leur tour ne viendra que trente minutes plus tard. Mais elles précisent que patienter en vaut la peine. “Je suis montée à Paris pour les études, ce qui a entraîné toutes sortes de dépenses, puis je n’ai pas pu trouver de travail à temps partiel à cause de la pandémie. C’est très dur”, explique Myriam, en première année de droit, qui survit grâce à l’indemnisation de son stage.

“J’ai arrêté les cours en ligne en octobre, confie Deborah, en master de philosophie. Je me donne jusqu’à la semaine prochaine pour reprendre la situation en main. Je n’ai vraiment pas envie d’abandonner.”

Depuis le premier confinement en France, il y a près d’un an, les campus d’université n’ont pas rouvert, et les étudiants doivent se contenter de l’enseignement en ligne pour tous leurs cours. Contrairement aux écoliers de la maternelle au lycée, qui sont retournés en classe à la rentrée 2020, les étudiants ont été délaissés.

“On se sent sacrifiés”

Pour eux, l’isolement social et scolaire qui naît de l’enseignement à distance n’est qu’une conséquence parmi d’autres de la pandémie. Beaucoup ont perdu leur emploi à temps partiel et peinent à payer leur loyer, entraînant une nouvelle précarité financière. D’autres sont rentrés chez leurs parents ou ont renoncé à leurs études. Ces derniers temps, une vague de tentatives de suicide a mis en lumière l’urgence de renforcer les aides financières et psychologiques.

“On passe à la trappe, mais on se sent aussi sacrifiés, témoigne Jean Robert, en troisième année d’IEP à Montpellier, et membre du collectif Étudiants Fantômes. On ne comprend pas pourquoi on ne peut pas aller en cours, alors que tous les autres niveaux y vont, comme si l’explosion des cas de Covid-19 était de notre faute, parce que nous sommes irresponsables. Il n’est pas trop tard pour nous laisser retourner en cours, mais, maintenant, nous allons aussi avoir besoin d’aides psychologiques et financières.”

Des étudiants de toutes les régions de France ont exprimé leur détresse. À cause des restrictions liées au Covid-19, beaucoup d’emplois dans la garde d’enfants ou la restauration ont été supprimés, réduisant leurs revenus de plusieurs centaines d’euros par mois – des sommes habituellement affectées à la nourriture, au loyer ou à d’autres dépenses essentielles. Les entreprises françaises, également en difficulté en raison de la pandémie, ont du mal à accueillir des stagiaires, ce qui rend l’avenir des jeunes d’autant plus incertain.

Les premières années sans cercle d’amis

Il est difficile de quantifier le nombre d’étudiants qui ont renoncé à leur cursus, mais les jeunes sont nombreux à noter le manque de motivation à force de suivre leurs cours sur écran. Les étudiants de première année, qui avaient commencé peu avant le premier confinement, ont du mal à se créer un cercle d’amis.

“J’ai des étudiants loin de chez eux, enfermés dans des appartements minuscules, et ils n’ont pas la motivation de travailler ou même de se lever le matin, explique Anne Delaigue, une psychothérapeute qui suit des doctorants à Polytechnique. Ils sont complètement démoralisés, inquiets, isolés, au point qu’ils finissent par douter de leurs capacités. Il est extrêmement difficile de travailler quand on n’a plus aucune stimulation.”

Des professeurs d’université et des associations étudiantes alertent sur la crise qui s’aggrave depuis la rentrée 2020, mais la situation a culminé en janvier quand Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, a laissé entendre que si les universités restaient fermées, c’était en raison de l’irresponsabilité des étudiants. En visite sur un campus, la ministre a déclaré que la propagation du Covid-19 était due au brassage* des étudiants dans les cafés ou à la cantine du Crous.

Consternation sur l’attitude du gouvernement

Ces remarques ont immédiatement fait scandale. Un étudiant de Montpellier, consterné, a écrit une lettre ouverte à Frédérique Vidal, et un autre a créé le hashtag Étudiants Fantômes sur Twitter. En vingt-quatre heures, il a été repris plus de 70 000 fois pour interpeller le gouvernement.

L’Élysée a réagi en proposant plusieurs mesures. Depuis le 25 janvier, les étudiants peuvent acheter deux repas par jour au Crous au prix d’un euro chacun. Ils ont aussi la possibilité de retourner en cours une fois par semaine. Et à compter du 1er février, ils bénéficient d’un “chèque psy”, qui prend en charge trois séances de quarante-cinq minutes.

Mais les associations étudiantes font valoir que les mesures, qualifiées de superficielles et d’insuffisantes, ne résoudront pas les répercussions profondes qu’a eues la pandémie sur les étudiants. Pour le prouver, un jeune de Metz a publié une photo de son misérable repas à un euro sur Twitter, et les psychothérapeutes rappellent, quant à eux, que le “chèque psy” ne compense pas le manque de services en matière de santé mentale. Une étude réalisée récemment par Nightline France, une association qui propose un service d’écoute, a conclu qu’il n’y avait qu’un psychologue pour 30 000 étudiants dans les universités de France.

Déstigmatiser les problèmes de santé mentale

Les associations étudiantes s’emparent du sujet et cherchent à déstigmatiser les problèmes de santé mentale et à montrer l’importance de parler à d’autres pour maintenir du lien. Le collectif des Étudiants Fantômes s’organise pour devenir une association en bonne et due forme, qui se consacrera en partie au soutien psychologique. Et Nightline France a créé un site qui récapitule les recours à la disposition des étudiants, de la prévention du suicide à la gestion des addictions.

Les associations œuvrent aussi pour que les aides financières ne soient plus vécues comme une honte. Les initiatives de lutte contre le gaspillage alimentaire font des distributions près des campus cinq jours par semaine, parfois trois fois par jour, et fournissent ainsi 25 000 repas par semaine à des étudiants dans le besoin.

“Beaucoup d’entre eux n’ont pas l’habitude de demander ce type d’aide, et ils n’ont jamais eu besoin d’accepter de dons, affirme Alexis Carer, attaché de presse pour Linkee. Nous voulons que nos distributions alimentaires se déroulent dans les meilleures conditions possible pour montrer qu’il n’y a aucune honte à se faire aider.”

“Être ensemble et voir leurs professeurs leur manque”

Plusieurs campus du pays y participent désormais. C’est un moyen de faire revenir les étudiants dans les locaux, où les cours reprennent lentement. Les universités n’ont le droit d’accueillir que 20 % de leurs effectifs à la fois, et la majorité des étudiants ne se déplacent que pour un cours par semaine. Mais beaucoup bravent les TER, le réveil à l’aube et même le coronavirus pour retrouver une forme de vie sociale.

“Actuellement, la présence n’est pas obligatoire pour nombre de mes étudiants, mais ils viennent quand même, explique Nancy Nottingham, professeure d’anglais des affaires à la Sorbonne Nouvelle. Être ensemble et voir leurs professeurs leur manque.”

“Je vis seul et je n’ai aucune famille ici ; j’étudie chez moi depuis trois mois quasiment sans voir personne, témoigne Tianyi, étudiant chinois en master de langues étrangères appliquées. Ça m’aide beaucoup de pouvoir retourner en cours. J’apprécie vraiment ce geste. On risque un peu notre vie en y allant, mais, d’après moi, ça en vaut la peine.”

* En français dans le texte.

Colette Davidson

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