Les technologies de capture et de stockage du CO2 prennent de l’ampleur alors que le monde lutte pour réduire suffisamment les émissions pour éviter une catastrophe climatique. Certains militants du climat sont sceptiques et voient cette technologie comme une excuse. Mais d’autres disent que son utilisation pourrait être nécessaire.

Pendant des années, le captage et le stockage du carbone (CSC) ont été ignorés, entravés par des coûts prohibitifs et un manque de soutien politique. Mais maintenant, l’industrie du CSC est en plein essor.

Dans un rapport de 2021, l’Institut français des relations internationales a recensé un nombre record de 76 projets CCS en cours en Europe.

« Le CSC évolue actuellement sur deux voies en Europe ; il y a beaucoup d’engouement au nord de l’Europe et beaucoup moins au sud, où il y a un manque de volonté politique pour mettre en œuvre ces technologies », explique Thomas Le Guénan, géologue au Office des Recherches Géologiques et Minières de France.

Selon la société de recherche norvégienne « Rystad Energy », le marché des équipements de captage et de stockage du CO2 devrait quadrupler au cours des trois prochaines années et atteindre quelque 50 milliards de dollars d’ici 2025. Grâce à des investissements accrus en Europe et en Amérique du Nord, l’industrie du CSC devrait capter 150 millions de tonnes par an, contre 40 millions aujourd’hui. Pourtant, c’est une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux 38 milliards de tonnes de CO2 émises par l’homme en 2019.

Le projet « Northern Lights », mené par les majors pétrolières Total, Shell et Equinor, vise à faire de la Norvège une centrale de stockage de CO2. Près de l’île de Bergen, un terminal est prêt à capter environ 1,5 million de tonnes de CO2 par an produites par l’industrie européenne. « Le navire va rejeter le CO2 sous forme liquide ; c’est comme de l’eau, inodore et incolore », a expliqué Cristel Lambtone, directrice technique du projet, dans des déclarations à ‘France Info’. Par la suite, le CO2 sera transporté par pipeline pour être stocké à 2 500 mètres de profondeur en mer du Nord, dans des puits en cours de forage.

Comment fonctionne le captage du CO2 ?

Il va sans dire que le CO2 doit être capté avant d’être enfoui. La façon la plus simple de le faire est de brûler des combustibles fossiles ou du bois. Il existe plusieurs procédés, mais celui qui domine le mieux le secteur du CSC est celui dit de la « post-combustion », qui utilise un solvant pour isoler le CO2 des fumées industrielles. Cette technique est particulièrement efficace dans les centres de production les plus polluants, tels que les centrales électriques, les aciéries, les usines chimiques et les cimenteries.

L’étape suivante consiste à transporter le CO2 comprimé vers des lieux de stockage, tels que d’anciens réservoirs de pétrole ou des aquifères salins. « Ce ne sont pas des trous, mais des formations profondes avec des roches poreuses qui permettent d’injecter du CO2 », explique Le Guénan. « Nous recherchons également des formations recouvertes de roches imperméables pour empêcher le CO2 de monter. »

Il est également possible d’aspirer le CO2 directement de l’atmosphère à l’aide d’aspirateurs géants. La plus grande opération utilisant cette technologie est le champ Orca en Islande. Bien qu’elle en soit encore à ses balbutiements, cette technologie a gagné beaucoup d’investissements ces deux dernières années, notamment aux États-Unis. Des titans de la technologie comme Elon Musk et Bill Gates ont jeté l’argent.


Une giga-usine qui capte le CO2 directement de l’atmosphère va démarrer dans l’État américain du Wyoming, grand producteur de charbon. Ce projet « Bison » vise à capter 5 millions de tonnes de CO2 par an d’ici 2030.

Les limites du captage du CO2

Le CSC semble être une aubaine alors que les pays du monde entier luttent pour se sevrer des combustibles fossiles.

Mais bien que les prix aient été considérablement réduits, les coûts élevés de ces technologies énergivores continuent de limiter les possibilités du secteur. « En l’état actuel des choses, le prix du quota de carbone émis dans le cadre du système européen d’échange de quotas d’émission de CO2 est toujours inférieur aux coûts des fabricants de technologie CSC », explique Florence Delprat-Jannaud, responsable du programme CSC à l’Institut français du pétrole. « Des subventions sont nécessaires pour accélérer le déploiement de cette technologie. »

Le coût est encore plus élevé pour le captage direct dans l’air – jusqu’à 335 euros par tonne de CO2 – car le procédé nécessite beaucoup d’énergie, le CO2 étant peu concentré dans l’air.

Cependant, les coûts pourraient tomber en dessous de 100 euros par tonne en 2030 pour les installations qui bénéficient d’importantes ressources d’énergie renouvelable, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Et il faut beaucoup de temps pour que les lieux de stockage deviennent opérationnels. « Il faut collecter beaucoup de données pour avoir suffisamment confiance dans un site ; au total, cela peut prendre une décennie », explique Le Guénan, qui étudie actuellement une éventuelle zone de stockage à Grandpuits, en région parisienne, dans le cadre d’un projet de l’Union européenne.

Essentiel ou pari risqué ?

Dans le même temps, beaucoup de gens n’aiment pas l’idée de sites de stockage de CO2 dans leur localité, craignant les fuites de gaz et la chute des prix de l’immobilier. Une forte opposition des populations locales aux projets proposés a déjà été observée en Allemagne et aux Pays-Bas.

De nombreux écologistes sont également sceptiques. « Les industriels voient dans le CSC un moyen de continuer avec le même modèle de production, alors qu’il vaudrait mieux réduire la consommation d’énergie tout en recyclant les matériaux industriels », explique Léa Mattieu, responsable du programme industrie lourde à l’ONG Climate Action Network.

« C’est un pari risqué », a poursuivi Mattieu. « Les industriels parlent de cette technologie depuis plusieurs décennies et nous n’avons pas vraiment vu les résultats. Le CSC est encore trop cher et peut finir par être une solution de dernier recours, uniquement pour l’industrie lourde. »

En effet, le CSC joue actuellement un rôle marginal dans la réduction des émissions de CO2 et son potentiel de développement reste à démontrer. Actuellement, seules une trentaine d’installations à grande échelle sont en service dans le monde, capables de capturer et de stocker environ 40 millions de tonnes par an. Pour atteindre la neutralité carbone, selon l’AIE, il faut capter et stocker 50 voire 100 fois plus d’ici 2035.

Cela dit, alors que les pays luttent pour obtenir suffisamment d’énergie renouvelable et nucléaire en ligne, les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU affirment que le CSC est essentiel pour éviter une catastrophe climatique, tout en soulignant que rien ne doit détourner l’attention de l’impératif de réduire drastiquement les émissions.

*Cet article est une adaptation de son original en français

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