Au Nigeria, récit d’une mode très politique

Au Nigeria, récit d’une mode très politique

Bubu Ogisi, créatrice de mode d’origine nigériane, conçoit ses collections sur le terrain, depuis l’Afrique, entre ses ateliers à Lagos, Accra et Nairobi. Adulée par le monde de la mode, elle préfère réserver ses créations au continent africain et s’affranchir de la reconnaissance occidentale.

Bubu Ogisi fait de la mode africaine en Afrique, pour les Africains. Cette créatrice nigériane dirige la marque Iamisigo, qui met à l’honneur les philosophies, les tissus et les techniques d’Afrique. Avec une fidèle équipe d’artisans, elle crée des vêtements qui font voler en éclats les idées reçues sur ce que sont, et devraient être, les marques africaines.

Loin de vouloir toucher le public occidental et maximiser ses ventes, Iamisigo se sert de la mode pour raconter l’histoire complexe et colorée de l’Afrique, son présent et son avenir.

“Dans cent ans, de quoi se souviendront nos descendants ? s’interroge Bubu Ogisi à l’autre bout du fil. Se souviendront-ils des vêtements occidentaux que nous essayons d’africaniser ? Ou bien de cette nouvelle vague de vêtements africains qui rassemble le continent ? C’est ça, mon objectif à long terme.”

Empreintes

Et c’est un objectif auquel elle travaille depuis longtemps. Après avoir quitté le Nigeria pour étudier l’informatique au Ghana, Bubu Ogisi a pris conscience de la complexité de la mode en Afrique de l’Ouest : l’esthétique, les vêtements, la forme des corps ou encore les tissus ne sont pas les mêmes au Ghana et dans son pays d’origine. Et elle s’est dit qu’elle pourrait mettre à profit son goût profond pour la couture pour donner à voir la diversité de l’Afrique.

Pas du genre à se reposer uniquement sur son intuition et sur son talent, Bubu Ogisi est partie poursuivre ses études à l’École supérieure des arts et techniques de la mode (Esmod) à Paris. Et, en 2009, elle a donné naissance à la marque Iamisigo. Un nom formé à partir de “I am”, “je suis”, et du nom de famille de la jeune femme écrit à l’envers – une manière de dire que la marque est l’empreinte de la créatrice sur le monde.

Ascension

Depuis, elle a présenté ses collections aux fashion weeks de Paris et de Londres, le Vogue britannique a parlé d’elle et certaines de ses pièces ont été sélectionnées par le top model Naomi Campbell. Mais sa mission reste la même. Bubu Ogisi sait parfaitement ce qu’elle veut faire de sa marque. L’engouement international qu’elle suscite n’y changera rien.

“J’ai reçu des offres de Chine, d’Italie, des quatre coins du monde. De gens qui veulent acheter mes créations et les produire en masse. Ça ne m’intéresse pas. J’aime passer du temps dans les villages, avec de vieux tisserands qui transmettent leur savoir-faire à leurs petits-enfants – pour que ce savoir-faire ne se perde pas.”

Ce goût pour l’artisanat et les matériaux locaux se voit dans tous les vêtements qu’elle crée. Travaillant dans des ateliers à Lagos, Accra et Nairobi, elle prend régulièrement la route pour aller chercher des matériaux et apprendre de nouvelles compétences. Sa dernière collection, Chasing Evil, “Chasser le mal”, utilise des palmes du Congo – elle a transporté ces feuilles de palmier à travers le continent en les protégeant dans des sacs emplis de sable. Bubu Ogisi raconte que certains de ses vêtements nécessitent des techniques de tissage si complexes qu’il faut parfois une journée entière pour les réaliser.

Panafricanisme

Pour la collection Chasing Evil, Bubu Ogisi a demandé au maître joaillier kényan Brian Kivuti de créer des bijoux uniques pour accompagner ses tenues. Afin de lutter contre le gaspillage, sa collection intègre des tissus et accessoires d’occasion lorsque la fabrication ou l’achat de matériaux neufs n’est pas indispensable. Et elle utilise comme textile principal du coton ougandais non blanchi.

Bubu Ogisi a baptisé cette collection Chasing Evil pour dire le retour de la fierté africaine. “La seule manière pour nous de chasser le mal, c’est de nous unir par-delà les frontières et d’avoir une foi profonde dans le travail de nos mains”, explique-t-elle.

Si sa vision proafricaine n’a rien de nouveau dans le monde de la mode, sa détermination à l’appliquer à tous les aspects de son travail reflète en revanche une tendance récente chez les couturiers africains.

Lettre d’amour

Bubu Ogisi n’entend pas perdre de vue les différents marchés africains parce qu’elle a été acceptée par le monde de la mode occidental.

“Je veux voir mes vêtements sur les femmes de Nairobi, du Cap, de Lagos, d’Accra… je veux que ces femmes sentent qu’il y a quelqu’un qui comprend leur histoire, leur corps, la vie qu’elles mènent. Chaque pièce est une lettre d’amour à ces femmes, à mon continent.”

Iamisigo représente l’espoir d’une réaffirmation, d’une Afrique autosuffisante. Si la mode est souvent considérée comme frivole, comme éloignée des “vrais problèmes”, Bubu Ogisi vient nous rappeler que la politique est partout : dans les produits que nous consommons, dans les personnes avec qui nous choisissons de travailler, dans les vêtements que nous portons.

Binwe Adebayo

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