Depuis quelques mois, les étudiants et les familles qui logent au centre de Massena, au sud de Paris, doivent vivre avec de nouveaux locataires. D’une nuit à l’autre, des autobus les y emmenèrent par dizaines. Ce sont ces célèbres “réfugiés”, évacués par l’État de leurs camps précaires et relogés dans des Centres comme celui-ci, en attendant leurs papiers.
Passer la vie dans un centre
Rachid, assis sur les escaliers, est l’un d’entre eux. Il est Touareg, venu de Libye, et comme tous, il attend une réponse à la fin de son long voyage. Assit sur les escaliers depuis midi, il ne fait pas grand chose à part penser et bavarder avec ceux qui viennent lui adresser la parole. Il n’est pas amateur de sports, mais dans ce triste immeuble de Massena, il y a peu de chose à faire à part jouer au foot.
Toutes les salles du rez de chaussées sont abandonnées, et les chambres n’ont rien d’extraordinaire non plus. “Ma chambre est bien, dit Rachid avec un sourire, mais je ne peux pas te la montrer. En fait, je ne peux même pas te faire entrer dans l’immeuble”. Il faut respecter les règles de l’administration, pour ne pas avoir de problèmes avec les papiers.
“Je me souviens quand ils nous ont emmené du camp d’Austerlitz jusqu’ici. J’ai cherché Abdoul, pour être sûr que nous prendrions le même bus. Si je n’avais pas fait ça, je ne l’aurais plus jamais revu”.
Les yeux de Rachid brillent quand il parle d’Abdoul. C’est l’un des seuls à avoir pu garder son ami tout le long du voyage. La plupart des immigrés à Massena sont seuls, ayant perdu des compagnons à chaque fois que l’État les évacue des camps. Pour ces jeunes d’une vingtaine d’années, ce doit être la troisième fois qu’ils recommencent leur vie.
La traversée de l’Europe
Né dans une caravane Touareg, quelque part au Niger, Rachid choisit de quitter sa mère et de s’installer dans un village Libyen avec son oncle. Mais il fête à peine ses dix-huit ans quand la guerre vient changer ses projets.
“Après la mort de Kadhafi, les gens sont devenus racistes : chaque peuple voulait tuer l’autre. C’était comme si les gens d’Ivry entraient tous en guerre avec ceux du treizième arrondissement.” Conscient qu’il ne pouvait plus rester en Libye, Rachid quitte le village avec Abdoul, en direction de Tripoli. Puis vient la traversée de la mer. Personne chez lui ne savait où il était parti.
“La barque était tellement fragile et tellement pleine. Tu vois cet arbre devant nous? Les vagues devaient faire sa taille, ou plus. Si elles avaient retourné la barque, nous serions tous noyés”. Rachid baisse la voix en évoquant ces souvenirs. Il essaye de changer de sujet, mais se reprend et continue, en se souvenant de l’arrivée en Sicile. Logés dans un couvent pour quelques jours, ils sont renvoyés sur la route. Leurs voyages les mènent à Milan, Nice, Marseille, Lyon… Malgré la tentation de s’arrêter en route, ils finissent par arriver à Paris.
La vie dans Paris
“Quand nous sommes arrivés, on ne savait pas par où commencer. En fait, il faut pas mal de papiers pour vivre ici. Ça me rend nostalgique de la Libye d’avant la guerre : là bas, on ne pouvait jamais avoir faim ou froid la nuit, car tout le monde te recevait. Mais ici, j’ai peur de parler aux inconnus”. Rachid et Abdoul ont passé des nuits entières à traverser les rues de Paris, jusqu’à découvrir un endroit où d’autres migrants se réunissaient: le camp d’Austerlitz. C’était toujours dormir dans la rue, mais avec de la compagnie et le soutien de volontaires.
“Ce n’était pas facile à Austerlitz, murmure Rachid, nous avons passé trois mois là bas, sans beaucoup de nourriture, dans le froid… et puis soudain les choses se sont accélérées. Beaucoup de journalistes et de français sont venu nous parler et nous photographier. Quelques semaines après, des bus sont venus et nous ont emmené ici.”
Désormais, Rachid a une chambre pour lui, et du temps libre pour penser à ce qu’il a vécu. Mais le temps semble long. Tous les mardis, il va à la préfecture demander où en sont ses papiers. Tous les mardis, on lui demande de revenir la semaine prochaine.
Être Réfugié après le 13 Novembre
Aujourd’hui, l’ambiance est lourde à Massena. Rachid a du mal à reparler à un journaliste et ses amis passent moins de temps dehors, fuyant le froid et le regard des autres. Les attaques survenues à Paris il y a deux semaines se sont fait ressentir dans cette petite communauté.
“La première chose qu’ils m’ont demandé est quand est-ce qu’ils devraient partir” témoigne Tina Bouffet, membre de Sciences Po Refugee Help. La violence des attentats a fait ressurgir des souvenirs de la guerre. Ils ne vont pas abandonner leur demande d’asile mais la peur monte.
Rachid n’a pas quitté son endroit préféré sur les escaliers de Massena. Il n’a pas peur de la solitude, parce qu’il sait qu’il ne perdra pas Abdoul. Mais il sait que s’il ne se fait pas des amis en France, les choses seront de plus en plus difficiles.