Monaco, un rocher de désinvolture face au Covid-19

Monaco, un rocher de désinvolture face au Covid-19

Depuis le 9 janvier, la principauté a dû prendre des mesures de restriction supplémentaires, comme l’avancement du couvre-feu à 19 heures. Mais jusque-là elle a joui presque sans entraves de ses “privilèges monarchiques”, nous explique le correspondant en France du quotidien russe Kommersant.

Pendant que la France mettait en place une série de nouvelles mesures sanitaires, son plus proche voisin, la principauté de Monaco, maintenait son train de vie quasi habituel. De l’avis de certains politiques français, cela aurait eu des conséquences sur le rebond de l’épidémie dans l’Hexagone. Les ministres du prince Albert II réfutent tout lien direct, mais ils ont accepté de faire quelques concessions à leur puissant voisin.

L’herbe paraît toujours plus verte chez le voisin. J’ai pensé à ce proverbe lorsque quelques personnalités du parti français de droite Les Républicains ont pointé Monaco du doigt, arguant que “le Rocher”, comme on appelle ici la principauté, n’appliquait pas les mesures sanitaires. En France, théâtres et restaurants ont baissé le rideau dès le mois d’octobre de l’année dernière, et nul ne sait s’ils pourront rouvrir ne serait-ce qu’en février. Or, à Monaco, ils sont restés ouverts tout ce temps. La roulette tournait, les machines à sous fonctionnaient, les théâtres jouaient des pièces, les hôtels recevaient des voyageurs pour les fêtes de Noël et du nouvel an. Il y a bien eu quelques restrictions, mais en comparaison avec la France, c’était la liberté.

Bien entendu, 80 % des occupants des hôtels monégasques pour les fêtes de fin d’année étaient français. C’est en tout cas le chiffre communiqué par le directeur général de la Société des bains de mer (SBM), propriétaire des principaux casinos et hôtels de la principauté.

“Pendant le confinement, à Monaco, tu as l’impression d’être à Disneyland”, nous raconte la journaliste Olga Suchko. “Tout ce qui est interdit ailleurs est ouvert : restaurants, casinos, musées, boutiques, centres commerciaux. Certes, le port du masque est strictement obligatoire. En arrivant depuis la France ou l’Italie voisines, pas besoin de test, mais une réservation dans un hôtel monégasque est obligatoire pour se rendre au restaurant. Les hôtels délivrent une attestation nominative pour le temps du séjour, qui permet de se rendre au casino ou au restaurant. L’établissement délivre à son tour un document signé de la direction attestant que vous y avez effectivement dîné et que vous êtes parti avant 22 heures, heure du début du couvre-feu. Ce document est indispensable pour retourner à l’hôtel.”

La désinvolture règne chez le voisin monégasque

Aujourd’hui, alors que le département des Alpes-Maritimes, frontalier de Monaco, est contraint, face à la flambée des contaminations, de durcir ses règles sanitaires et de mettre en place un couvre-feu à 18 heures, la désinvolture qui règne à une demi-heure de là suscite convoitise et mécontentement. Le maire de Nice, Christian Estrosi, et la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, ont sans détour pointé du doigt le voisin monégasque qu’ils tiennent pour responsable de l’aggravation de la situation sanitaire.

Monaco entretient des relations particulièrement étroites avec la France, en particulier dans les domaines de la diplomatie et de la fiscalité. Cependant, ne faisant pas partie de l’Union européenne, le pays dirigé par le prince Albert II reste souverain sur un grand nombre de questions. Ainsi, Paris ne peut contester les mesures sécuritaires et sanitaires prises par Monaco, alors même qu’ils ne sont pas vraiment séparés par une frontière.

Cet automne, les contrôles dans les trains, les gares routières et sur les routes avaient été renforcés entre l’Italie et la France, tandis que le port maritime et l’aérodrome de Monaco sont restés ouverts. Certes, uniquement pour les yachts et les hélicoptères privés. La principauté a tenté jusqu’au dernier moment de maintenir son mode de vie et son standing habituels, apparaissant comme un havre de paix à côté de ses voisins pris de panique.

Dégradation de la situation sanitaire

Pratiquement tous les maires des villes françaises qui ont reçu l’ordre d’instaurer un couvre-feu ont déjà exprimé au gouvernement leur indignation, mais ils ne jouissent pas de la même liberté princière. Tandis que la France reproche à ce minuscule pays d’avoir attiré trop de visiteurs, Albert II soutient pour sa part que ce sont les voisins français qui ont apporté le virus à Monaco.

Naturellement, contrairement à ce qu’il se passe en France, le nombre de contaminations ne se mesure pas en milliers à Monaco, mais en dizaines (le dernier comptage [du 12 janvier] faisait état de 22 cas de contamination en vingt-quatre heures), car le pays est incomparablement moins peuplé avec ses 39 000 habitants. Comme l’a déclaré le ministre d’État monégasque (équivalent du Premier ministre) Pierre Dartout, “jusqu’au 15 décembre, nous étions dans une situation plutôt favorable. À partir de là, les choses se sont dégradées.”

Depuis le 9 janvier, la principauté a été contrainte de mettre en place ses propres restrictions face à la montée des contaminations mais aussi en réaction au mécontentement de ses voisins. Du 11 au 27 janvier, le couvre-feu est avancé à 19 heures, les restaurants ne seront ouverts qu’en journée et réservés aux résidents monégasques. Afin de contenir l’afflux des voisins, la police effectuera des contrôles en gare de Monaco – Monte-Carlo, où s’arrêtent les trains en provenance de France. Les restaurants, théâtres et casinos resteront cependant ouverts, en tenant compte des nouveaux horaires. Un argument en faveur des privilèges de la monarchie.

Alexeï Tarkhanov

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