Macron, le Brexit, et la vérité sur l’arrogance des Français

Macron, le Brexit, et la vérité sur l’arrogance des Français

Emmanuel Macron atteint par le Covid-19, c’est l’occasion pour le correspondant en France du Daily Telegraph de disserter sur “la légendaire arrogance” française. Selon cet article publié par le journal conservateur et pro-Brexit, cette fierté mâtinée d’orgueil ne serait que le signe d’une fragilité inavouée.

Il serait tentant de se dire qu’avec le Covid c’est le karma qui a rattrapé Emmanuel Macron. Ce monsieur veut mettre la main sur nos institutions financières – et sur nos poissons, en martelant que nous devrions faire amende honorable. Ça lui apprendra. Ces derniers temps, la seule chose positive qu’ait accomplie le président français, c’est d’être testé positif, justement. Il va peut-être baisser d’un ton ou deux, maintenant. Selon moi, ça risque d’être la réaction de la plupart des Britanniques aux malheurs de Macron.

Beaucoup voient en lui l’incarnation de la légendaire arrogance de la France. Toujours habillé avec élégance, sûr de lui sans effort, il arbore ce demi-sourire crispant et cet air du type convaincu que les intérêts de la France sont primordiaux non seulement pour le pays lui-même, mais pour le bien du monde entier. C’est chez lui que sont nés les droits de l’homme.

Difficile de faire plus français, non ? C’est sûr, et manifestement pas vraiment traumatisé par l’exaspération qu’il suscite chez les Britanniques. Cela dit, je ne suis pas tout à fait sûr que cette arrogance que Macron semble personnifier soit aussi simple ni aussi totale que certains le pensent. Peut-être que le Français moyen ne ressemble pas à sa caricature, que nos voisins ne sont pas aussi hautains qu’on le prétend.

Soyons précis. En général, les Français que rencontrent les étrangers travaillent souvent dans le secteur de l’accueil – serveurs, hôteliers, et autres. Repensez à votre dernier voyage en France et vous vous rappellerez que presque tous ces gens – même dans des villes de provinces éloignées des grands axes routiers – parlaient un peu anglais. Voire beaucoup… sachant que c’est ce qu’attendent absolument les visiteurs. Un ami, me racontant son voyage à Marseille, m’a dit : “Belle ville, mais j’ai été surpris de voir que pas mal de gens ne parlent pas anglais.” Imaginez un Français à Liverpool : “Génial, comme ville, mais j’ai été surpris de voir que pas mal de gens ne parlent pas français.” Vous penseriez qu’il a perdu la boule. Dans ce cas, sur quelle rive de la Manche se situe l’arrogance ?

Leur cuisine, leurs vins, leurs fromages, leur culture, etc.

Du reste, les serveurs brusques ne sont pas nécessairement arrogants. Ce sont simplement d’habiles praticiens d’une profession estimée en France alors qu’elle ne l’est pas forcément en Grande-Bretagne. Les serveurs français sont capables de garder en tête dix commandes, de les apporter aux bons clients et aux bonnes tables, d’insulter les automobilistes qui passent, de fournir des indications sur comment trouver la tour Eiffel à des touristes en balade et malgré tout vous rendre correctement la monnaie. S’ils sont un peu rugueux quand vous êtes là à hésiter (“Avec ou sans paille ?”, “Des glaçons ?”, “Du lait”, “En 33 ou en 50 ?”), ce n’est pas tant la faute de leur arrogance que de vos atermoiements.

Mais si l’on fait abstraction de l’hospitalité, il est incontestable que les Français ont tendance à vous assommer encore et encore à propos des fascinantes qualités de leur cuisine, leurs vins, leurs fromages, leur culture, leur histoire et leur invention des droits de l’homme. Ce qui pousse même des francophiles – en fait, des citoyens naturalisés de frais comme moi – à des extrêmes, au point de se montrer grossiers ou d’aller jusqu’à évoquer l’Islande. (“Ah ouais, vous êtes éclairés ? Et vous avez déjà eu une Première ministre lesbienne ?”)

La manifestation d’un manque de confiance

Alors, c’est vrai, la France est effectivement douée dans toutes les sphères précitées. Nous n’irons pas jusqu’à nous demander “à quel point” – c’est la recette garantie pour provoquer un tollé dans les commentaires –, mais entendons-nous à reconnaître qu’elle est “effectivement douée”. Et que si le pays n’a pas vraiment inventé les droits de l’homme, il les a défendus, généralement et surtout récemment, avec une grande assiduité… en tout cas, par rapport à presque tous les autres pays de la planète, je veux dire. Mais j’ai le sentiment que si la France ne cesse de vanter sa grandeur dans ces domaines et d’autres entreprises humaines, c’est parce qu’elle n’est pas si sûre d’elle que ça. Ses revendications ne seraient-elles pas la manifestation d’un manque de confiance, plutôt que le contraire ? Tout ce bruit sert peut-être à masquer sa fragilité.

Disons-le ainsi : comparée à n’importe quel autre pays – au hasard, le Royaume-Uni –, la France n’est pas un modèle de stabilité. C’est un pays qui a été secoué par d’innombrables révolutions, en est à sa cinquième Constitution (et une bonne partie de la population ne serait pas contre une sixième), et sait parfaitement que lorsque des gens comme le général de Gaulle parlent de la gloire française* ou répètent que la France s’est libérée toute seule en 1944, ils évoquent plus une illusion que la réalité.

Cette illusion est néanmoins nécessaire. La France a besoin de se mettre en scène – que ce soit à travers des discours ou dans son architecture – pour cultiver le mythe de sa grandeur et demeurer une nation opérante et sous contrôle. Ainsi que je le disais plus haut, ce pays a besoin d’une surenchère d’édifices prestigieux – les Invalides, la Grande Arche, le Grand Palais – pour glorifier un peuple imaginaire et faire contrepoids à l’inclination du peuple – lui bien réel – qui le pousse à lancer du pavé sur la moindre silhouette en uniforme. La posture de la magnificence contribue à maintenir le “projet France” sur les rails.

Je ne pense pas que nous ayons un “projet britannique” équivalent. Nous sommes plutôt sûrs de ce que nous sommes et ne ressentons pas le besoin incessant de définir les choses. Nous faisons simplement avec. En France, il faut parler du “projet France” et en faire l’éloge précisément parce qu’il existe des doutes quant à ses mérites. Ce dernier doit donc constamment évoluer pour convaincre la plupart des gens la plupart du temps et les faire avancer globalement dans la même direction.

La certitude de leur excellence en matière gastronomique est essentielle au projet des Français, de même que la culture. Évidemment, il est exaspérant de les entendre chanter les louanges de Marivaux, Racine et Molière quand il est incontestable que le reste du monde n’hésiterait pas à les jeter par-dessus bord pour sauver Shakespeare. Il n’empêche que les préoccupations culturelles sont intimement liées à l’image que les Français se font d’eux-mêmes. Quand ils parlent de Marivaux et de Molière, de Johnny Halliday et de Charles Aznavour ou de l’exception française*, ils ne cherchent pas tant à se faire mousser qu’à survivre. Ou disons, à se faire mousser et à survivre.

Le patriotisme au quotidien

La liste de ces exemples est interminable et va du rugby au football (qui possèdent tous les deux leur french flair) en passant par les pistes de ski, le Louvre et le viaduc de Millau. Toutes ces particularités servent à faire avancer le “projet France”. Dans ces circonstances, le patriotisme au quotidien est monnaie courante et peut s’exprimer par l’affichage d’un drapeau tricolore même quand ce n’est pas la Coupe du monde. Et il faut bien reconnaître que le “projet France” n’est pas si mal, et empêche la nation de basculer dans l’abîme qu’elle frôle régulièrement.

C’est aussi avantageux pour nous Britanniques puisque cela maintient le pays en bon état quand on vient en visite. Certes, les fanfaronnades des Français peuvent devenir exaspérantes et leur obstructionnisme assez crispant. Mais c’est peut-être un prix raisonnable à payer. Après tout, nous pourrions être voisins de la Corée du Nord. Et c’est pourquoi il semble que la décence nous oblige à suivre l’exemple de Boris Johnson et à souhaiter à Emmanuel Macron un prompt rétablissement.

Anthony Peregrine

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