Noam est policier et Célia, chirurgienne. Les deux ont vécu les attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis. Dans le cadre de leurs témoignages à France 24, ils ont accepté de nous expliquer en quoi ces attentats ont affecté leur vie et comment ils ont décidé d’aller de l’avant.

Le 13 novembre 2015, Paris a été secoué par des attentats djihadistes qui ont fait 130 morts et 350 blessés devant le Stade de France, sur les terrasses de la capitale et dans la salle de concert du Bataclan, située dans le 11e arrondissement.

Six ans plus tard, à partir de ce 8 septembre et pendant près de neuf mois, la justice va plonger dans l’horreur de ces attentats, les plus meurtriers perpétrés sur le sol français après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Si la nuit du 13 novembre a marqué la vie des nombreux blessés et des familles des victimes, les attentats ont également marqué les Parisiens que nous rencontrons, qui nous racontent comment ils ont évolué dans leur vie.

  • Noam, policier près de Paris : « Ces événements tragiques m’ont fait voir à quel point la vie est précieuse et fragile (…) Je ne veux plus travailler dans la police »
Noam, un ancien officier de renseignement de la police française.
Noam, un ancien officier de renseignement de la police française. © DR / Noam

Noam n’avait pas prévu de travailler la nuit du 13 novembre 2015. Assis sur le canapé de sa maison, ce membre de la brigade de renseignement de la police française de 45 ans regardait le match amical entre la France et l’Allemagne, et regardait de temps en temps quand vos réseaux sociaux, comme vous aimez le faire. Il ne lui a pas fallu longtemps pour se rendre compte que quelque chose se passait lorsqu’il a vérifié son compte Twitter. « La situation commençait à devenir incontrôlable.

Ses inquiétudes ont été rapidement confirmées par un appel téléphonique. « Un collègue m’a appelé pour me dire qu’une bombe avait explosé autour du Stade de France, sans savoir s’il s’agissait ou non d’un acte terroriste, alors qu’il travaillait dans la lutte contre le terrorisme, mes collègues m’ont demandé si je pouvais les aider.  » Sans hésiter, Noam enfourcha sa moto. En chemin, une seconde bombe a explosé. Lorsqu’il est arrivé sur les lieux, il a entendu une troisième explosion devant un McDonald’s.

Accompagné du préfet, il entra dans le café Events et découvrit la scène de crime, abasourdi. « J’étais abasourdi, nous n’avions jamais vu ce genre de scène. » Ce que vous pensiez à première vue être des morceaux de viande sur les tables du restaurant étaient, en réalité, les restes du corps du kamikaze. Etat de choc total.

Toujours accompagné du préfet, resté calme, il décide d’adopter cette même attitude. « Je me suis dit que ce n’était pas le moment de laisser mes émotions prendre le dessus, je les ai bloquées et j’ai fait mon travail. » À côté du restaurant, il a trouvé le passeport syrien du terroriste, qui s’est avéré plus tard être un faux. Il a accompagné le préfet pour assurer sa sécurité et a demandé que les plaques d’immatriculation de tous les véhicules de la zone soient vérifiées. Puis il a commencé à recevoir des appels de personnes qui voulaient des informations sur ses proches au Bataclan. « En les écoutant, je me sentais angoissé, j’étais très triste. » Le policier a cessé de répondre aux appels de numéros inconnus. « Je ne voulais pas assumer une énorme responsabilité et devoir annoncer une terrible nouvelle. »

Quelques semaines après les événements, la frustration et la colère le dominaient. « Il m’a dit que nous l’avions laissé passer, que le drame aurait pu être évité avec les moyens matériels et économiques. Les outils policiers sont inefficaces et obsolètes. »

Sa colère grandit encore lorsqu’il découvrit qu’il avait lui-même dressé le dossier de Samy Amimour, l’un des auteurs des attentats. « Il n’était sous contrôle judiciaire que lorsqu’il aurait dû être incarcéré. A l’époque, il y avait encore « trop ​​de stress pour faire le point », mais depuis, le policier a surmonté les blessures de cette horrible nuit. « Ces événements tragiques m’ont fait voir à quel point la vie est précieuse et fragile. J’ai réalisé que je ne voulais plus travailler dans la police : être fonctionnaire de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), ne sert malheureusement qu’à mettre la cible ».

Le policier a également estimé qu’il y avait eu une fracture entre certains collègues après les attentats. « Certains m’ont dit qu’ils ne me faisaient plus confiance car j’étais musulman. J’ai toujours été loyal, patriote, mais je ne voulais pas avoir à me justifier davantage, alors j’ai préféré quitter la police. »

Depuis, Noam a pris le temps de réfléchir. Maintenant, il veut se consacrer à l’enseignement pour transmettre ce qu’il a appris. Il s’est récemment rapproché du CLSPD (Conseil Local pour la Sécurité et la Prévention de la Délinquance) pour mettre à profit ses connaissances sur le terrorisme. Ses envies le conduisent aussi à écrire ; travaille sur un nouveau livre sur les questions de sécurité. « Maintenant, je veux vivre une vie paisible. »

  • Célia, chirurgienne : « C’est quelque chose qui fera toujours partie de ma vie. Je sais que je peux être utile dans ces cas-là »
Célia, ancienne chef de clinique et chirurgienne vasculaire à l'hôpital Bichat à Paris.
Célia, ancienne chef de clinique et chirurgienne vasculaire à l’hôpital Bichat à Paris. © DR / Célia

Cette nuit-là, Célia, enceinte de quelques mois, était assise en pyjama avec son compagnon en train de regarder un film. Rapidement, la jeune femme a été alertée par les SMS incessants de sa famille et a compris ce qui se passait. A 33 ans, ce chirurgien vasculaire dirigeait alors la clinique de Bichat. Sans réfléchir à deux fois, il a appelé ses collègues pour soigner les blessés. Tout ce qu’il a demandé était d’arriver sain et sauf à l’hôpital, car à l’extérieur le massacre était toujours au Bataclan et les tireurs sur les terrasses s’étaient enfuis. « Une patrouille de police est venue escorter mon taxi, comme cela se fait lorsque des poumons sont transportés pour une greffe. » Ce qui l’attendait à l’hôpital Saint-Louis, où de nombreux blessés ont été transportés cette nuit-là, était inimaginable. « Une vraie scène de guerre, se souvient-il.

Il était déjà au courant des blessures par balle ; son travail consistait à réparer les vaisseaux sanguins, il a donc dû faire face à un traumatisme très grave. Mais ce qui a le plus ému la chirurgienne, c’est le « silence » qui régnait dans le service de réanimation et le « regard absent » de ses patients. « Ils venaient d’être agressés avec une violence sans précédent à un moment où ils ne l’avaient même pas imaginé, un verre à la main et leurs amis sur une terrasse. Je me souviens d’une jeune femme avec de grandes blessures qui semblaient détachées de son corps, comme s’il n’avait plus rien à perdre ou comme s’il avait déjà tout perdu. »

Toute la nuit, Célia a travaillé dur. A l’aube, elle quitte l’hôpital hébétée et se console en regardant le lever du soleil. Six mois plus tard, les images lui reviennent à l’esprit pendant son congé maternité. « J’ai fait beaucoup de cauchemars, dit-il. « Je pense qu’avec le recul, j’ai beaucoup absorbé et je pense que j’avais le SSPT », explique-t-il. Célia écrit pour tout faire sortir.

Parmi les patients vus cette nuit-là, il se souvient d’un athlète d’élite dont la carrière a été détruite par la balle qui lui a transpercé le poumon. « Il a écrit un livre, je l’ai acheté et cela m’a permis de le connaître. »

« C’est quelque chose qui fera toujours partie de ma vie (…) Je sais que je peux être utile dans ces cas-là », répète-t-elle, se remémorant cette nuit interminable, fière d’avoir pu aider « à garder son calme ». Aujourd’hui, il travaille en Savoie, loin de Paris. Avant cette tragédie, il avait l’intention de poursuivre une carrière dans l’humanitaire dans les zones de guerre, mais a changé d’avis après avoir vu « l’horreur » de près. Même s’il n’exclut pas de mettre ses connaissances au service des autres si cela se reproduit. « Si c’était à refaire, je le referais sans hésiter.

Cet article a été adapté de son original en français.

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