Samu social: une nuit de maraude

Selon la Fondation Abbé-Pierre, le nombre de sans-abris a augmenté de 50% au cours  des dix dernières années. Face à l’ampleur du phénomène, le Samu social ne cesse d’arpenter les rues de la capitale, pour apporter du réconfort à ces hommes et femmes qui « squattent » les trottoirs parisiens. Reportage.

Il est 20h quand la salle de réunion du 115 à Ivry-sur-Seine se remplit d’une vingtaine d’acteurs du champ social et médical. Infirmiers, chauffeurs et travailleurs sociaux discutent des maraudes précédentes, effectuent un suivi des personnes rencontrées. Pendant ce temps, une feuille tourne dans la salle aux murs blancs. Des photographies d’hommes et femmes y figurent. « Regardez bien ces visages, ils sont portés disparus. Si vous les retrouvez, signalez-les nous », est-il inscrit.

La réunion finie, Stéphanie, infirmière pour le Samu social, José, chauffeur privé et Régis, travailleur social, se dirigent vers leur camion. Ce soir, ils vont arpenter les rues du 8e arrondissement. Dans leur coffre : duvets, thermos, lait, gâteaux, gants, chaussettes, bonnets et polaires. Au volant, José, vacataire au 115 depuis deux semaines : « On est nombreux à venir aider pendant l’hiver et à repartir en mars, à la fin de la trêve hivernale. » Tous les soirs, l’homme de 27 ans part à la rencontre de sans-abris. « Ça fait du bien de voir qu’on ne délaisse pas ces gens, ça me redonne confiance en la société. Mais, c’est frustrant car certains ont besoin d’une aide pérenne, parfois psychologique, et on leur apporte un soutien qui n’est que temporaire. » Par la fenêtre, l’on voit les terrasses des bars et des restaurants se remplir. Les rires résonnent.

Aux Tuileries, Régis aperçoit un homme et sa fille, assis sur un matelas jaunâtre. Nos trois « complices » les rejoignent. Un à un, ils se présentent en serrant leurs mains. « Ca va ? Vous voulez quelque chose ? » La conversation s’entame, toujours de la même manière. Froride et Radina viennent de Roumanie et changent d’hôtel toutes les semaines. « Et tu vas à l’école ? », questionne Stéphanie. Emmitouflée dans son manteau, l’enfant de neuf ans fait non de la tête. Un café et un chocolat chaud plus tard, le camion repart, laissant derrière lui cette gamine souriante aux cheveux noirs, attachés à la va-vite par un chouchou rose.

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Une femme dort à même le trottoir, les maraudeurs du Samu social préfèreront la laisser dormir. (Laurine Benjebria)

Le camion s’arrête rue Aguesseau. Sylvain et sa chienne Titoune se réchauffent sous des couvertures salies par la pluie. « Je veux bien un café et des brownies pour Titoune. Par contre, je n’ai rien à vous proposer, il me reste juste un peu de bière. Ah si, des BD. Prenez-les et distribuez les à quelqu’un. Si ça peut faire rire un autre. » Sylvain n’a ni compte en banque ni assistante sociale, mais il n’a pas perdu son sens de l’humour. « Ce qui me manque le plus, c’est de ne pas regarder Cyril Hanouna tous les soirs, alors je l’écoute à la radio », lâche-t-il.

Le téléphone sonne, le coordinateur du 115 transmet un signalement rue Presbourg. Là-bas, trois hommes d’une trentaine d’années accueillent le camion du 115. « On s’inquiète pour Abdellah. S’il-vous-plaît, trouvez-lui un hébergement pour ce soir. » A cinquante ans, Abdellah n’en est pas à sa première nuit en hébergement d’urgence. Stéphanie lui trouve un lit dans un centre d’accueil. Abdellah refuse. « C’est comme la prison. Je n’y mange pas, je ne m’y lave pas. » Ses trois amis insistent. « Il s’est fait tabassé à la Boulange [le nom du centre d’accueil, NDLR]. Si vous n’avez rien, d’autre prenez-le. Il en a besoin. » Finalement, Abdellah accepte d’être emmené dans le 18e arrondissement.

 

 

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Un homme, schizophrène s’approche du camion du 115 et demande un café (Laurine Benjebria)

Une heure plus tard, le téléphone sonne à nouveau : il faut se rendre au commissariat du 13e arrondissement, pour chercher une femme qui refuse de retourner dans son centre d’accueil. Après une semaine à l’hôpital des Lilas, elle ne veut plus dormir là où elle est hébergée depuis 500 jours. « Les femmes là-bas ne sont jamais contentes, elles font des choses bizarres. Vous ne pouvez pas me trouver autre chose ? » « Votre place est réservée, vous risquez de la perdre si vous n’y allez pas ce soir. Vous ne voulez pas y aller ce week-end et appeler votre assistante sociale lundi ? », s’inquiète José. Dans sa doudoune blanche, un sac en plastique à la main, elle semble ne pas vouloir revenir sur sa décision. Alors, Stéphanie, José et Régis repartent la tête baissée avec un certain sentiment d’impuissance. Cette nuit, la femme âgée d’une cinquantaine d’années dormira dehors. « Je déteste quand c’est comme ça », laisse échapper Régis, reprenant sa place sur son siège. La maraude prend fin à 5h, Paris s’éveille.

 

Laurine Benjebria

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