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Le Val Girard, un bar de quartier rue de Vaugirard. Trois jeunes hommes sont là, attablés, une bière ou une vodka à la main. Devant eux, un journal : le Raskar Kapac. Huit pages de critique littéraire. Les dernières arrivées sur un marché qui a plutôt tendance à les voir disparaître. Un pari économique ? Sûrement. Un véritable business model ? Absolument pas.

Raskar, ce sont eux. Trois amis, aux sensibilités différentes, qui forment le comité de rédaction de la revue bimestrielle. Maxime Dalle, Archibald Ney et Yves Delafoy. Un journaliste, un juriste et un écrivain. Leur but : relancer le genre de la critique littéraire. « Dans une période de morosité intellectuelle, de mollesse spirituelle, nous croyons en une résurrection par le feu de l’écriture. » Ce sont les premiers mots de l’édito d’annonce de la parution prochaine de la revue. Finie la NRF, place aux « petits moments qui font l’Histoire, des petits moments inavouables, des étoiles en combustion ». Pour eux, la littérature, c’est autant « Borges et Drieu la Rochelle qui écoutent un guitariste dans les Faubourgs de Buenos Aires » que « Dostoïevski qui joue sa vie à la roulette ». En somme, la littérature, c’est le vitalisme.

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Le premier numéro de Raskar Kapac disponible depuis fin janvier. (crédit: Rémi Soulié)

 

Mais enfin… comment ont-ils fait ? Une bonne dose d’investissement. Voilà la recette qui n’est pour autant pas miracle. Un investissement, humain d’abord. Ils donnent de leur temps, de leur énergie, pour faire vivre une culture littéraire qu’ils voient disparaître. Mais surtout, un investissement économique. Un apport personnel, des économies chèrement mises de coté. Un peu plus de 1000 € : quand on aime on ne compte pas.

Le premier numéro, un véritable défi

Leur volonté est, évidemment, d’être lu et pour en arriver là, il faut relever un véritable défi : le premier numéro.

Il a été tiré à 1000 exemplaires : « on est rêveur et ambitieux ». Pour cela, il a fallu contacter un imprimeur. La chose ne fut pas aisée : « de nombreux imprimeurs demandaient des prix incroyablement élevés ». Le but ensuite était de réussir à distribuer un grand nombre de journaux sans passer par les intermédiaires. « Il était hors de question de passer par Presstalis », le grand distributeur de journaux en France. Le journal est donc distribué dans un certain nombre de librairies et de kiosques mais qui ont été démarchées par les trois rédacteurs. Toutes les économies sont recherchées. Pour le logo, la belle-sœur de Maxime Dalle, graphiste, a mis la main à la pâte. Mais tous ces efforts finissent par payer. Ils n’ont pas encore de véritable retour sur le nombre de vente, mais en deux semaines, ils comptaient plus de 70 abonnés pour l’année à venir. « Le système de l’abonnement, c’est une manière de pouvoir toucher partout en France ». La distribution se développe au jour le jour : trois librairies bretonnes diffusent Raskar Kapac depuis une semaine.

Tous ces efforts, pour quoi ? Que trouve-t-on dans Raskar Kapac ?

Le menu est pensé de manière stratégique. Pas trop long pour pouvoir être concocté à trois, mais apportant de la plus value. En termes de contenu : un édito, un entretien, des critiques artistiques… ça peut sembler classique. Mais ces articles sont vraiment fouillés. Pour leur premier numéro sur Jean-René Huguenin, les trois amis sont allés rencontrer la soeur encore vivante de l’auteur. Elle leur a donné trois textes inédits de l’écrivain, ainsi que quelques photos inédites. Maxime Dalle a aussi réalisé un entretien avec Christian Dedet qui connaissait Huguenin. Il raconte leurs souvenirs communs. Raskar Kapac est donc un vrai journal au contenu, non pas seulement critique, mais aussi journalistique et éditorial.

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Le comité de rédaction de Raskar Kapac en compagnie de Christian Dedet. (crédit: Maxime Dalle)

Survivre, c’est aussi exister dans la durée

Pas de buisness plan pour le Raskar mais les trois rédacteurs ont de la suite dans les idées. La survie à long terme de la revue. Voilà ce qui les préoccupe. Pour ça, ils ont mis en système un système de pot commun. Le second numéro sera donc essentiellement financé par le don. La communication, aussi, est fondamentale. Pour des jeunes que l’on pourrait qualifier de vieux jeu, il maîtrisent sacrément bien la communication numérique. Une page Facebook, un twitter, un site de financement participatif. « C’est essentiel » d’après Maxime qui s’occupe particulièrement de la communication. Une communication qui commence à avoir des échos. Le magazine Causeur a fait un article sur Raskar Kapac.

Pourtant, pas de version numérique de la revue en perspective. « Ce n’est pas l’esprit pour le moment ». La tradition se lit aussi dans le rapport au papier.

 Pour exister, un talent et surtout du soutien

Le journal se veut anticonformiste. « De gauche au milieu des droites et de droite au milieu des gauches » comme disait Paul Valéry. De ce fait, il est déjà récupéré par l’extrême droite  (qui s’en sert comme d’un journal identitaire). Mais, pour Maxime Dalle, la revue ne fait pas de politique, mais de l’art. Ainsi, de nombreuses personnalités soutiennent le journal en dehors du champ politique. Michel Onfray, Pierre Arditi et Rémi Soulié, sont les « premiers lecteurs » de Raskar Kapac. Pour gagner encore plus de soutiens, une association a été constituée. « Les Amis de Raskar Kapac », association reconnue au journal officiel porte le projet. Mais les trois amis sont lucides, « on restera a trois et on lèguera le journal quand on aura 97 ans. Et puis, si on voulait faire du fric… il aurait fallu faire autre chose ».

Julien Tranié

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