Le Marais, quartier en voie de disparition

David Varnier se tient sur le pas de la porte de son restaurant, rue du roi de Sicile, en plein Marais à Paris. Les devantures autour de lui n’ont plus grand chose à voir avec celles du quartier de ses vingt-cinq ans. Il y a dix ans, il n’était encore que serveur dans ce restaurant qui, à l’époque, ne désemplissait jamais. Mais en une décennie, le restaurateur a vu son quartier se dépeupler et s’affadir : “Quand je terminais mon service, à deux heures du matin, il fallait mettre tout le monde dehors, la soirée débordait sur la chaussée mais les voisins ne se plaignaient pas. Aujourd’hui, à 1h50, il suffit de tourner le verrou.”

L’invasion des enseignes commerciales internationales

Dans les rues du quatrième arrondissement, les boutiques de vêtements grignotent peu à peu les pas de portes, les représentants de multinationales de luxe se pressent aux seuils des indépendants et brandissent leurs loyers irrésistibles, faisant fuir les commerces de proximité. “Le pire, dit David, c’est qu’il n’y a personne dans ces magasins de luxe, c’est juste pour l’image, pour dire qu’on a une boutique dans le Marais.” Les bars disparaissent : l’Open Café, un peu plus haut dans la rue, au coin de la rue des Archives, sera remplacé par une boutique Nespresso d’ici l’été. En face, les robes siglées Galliano figureront bientôt dans la vitrine encore blanchie de l’ancien salon de coiffure Mod’s Hair. L’immeuble mitoyen abritait une des dernières discothèques gay du coin : le Spyce. A partir d’avril, on pourra y manger des tapas. Le bas de la rue des Archives est déjà surnommée par les riverains “la rue morte”.

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En avril 2015, David entend dire qu’un des plus vieux bistros du Marais, L’oiseau bariolé, menace de mettre la clé sous la porte. Depuis soixante ans, la devanture noire au coin de la très passante rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie et de l’étroite rue Aubriot, abrite un restaurant, mais une célèbre marque de bougies et cire de luxe propose une offre de reprise alléchante. Les tables sexagénaires auraient disparu, si le restaurateur ne s’était pas mobilisé. Rapidement, il rassemble le capital nécessaire et obtient in extremis les murs dans lequel il décide d’organiser sa résistance. “Je me suis battu pour que cet emplacement reste un restaurant et j’ai décidé de l’appeler Résistance, explique David, pour que le Marais ne devienne pas un nouveau huitième arrondissement et la rue des Archives, une nouvelle avenue Montaigne.”

Le Marais devient un quartier de luxe et de tranquillité

Charles est installé à l’autre bout de la rue, au coin de celle des Blancs Manteaux. Ce fleuriste observe quant à lui une évolution de la population du quartier. “Quand je suis arrivé dans le quartier, j’avais dix-sept ans, personne ne voulait habiter le Marais, on disait que ça sentait mauvais, les immeubles étaient gris et les rues moites et collantes.” Charles décrit le Marais des années 1990, dont il a vu la lente évolution. Il se souvient des soirées qui s’éternisaient, de la communauté gay qui s’installait dans le quartier et de la musique qui résonnait toutes les nuits. “On avait les rues pour nous tout seuls, les gens discutaient et échangeaient dans les bars, les commerçants nous connaissaient. Aujourd’hui, ceux qui vivaient là sont partis ou sont morts.” En réalité, les habitants du Marais d’aujourd’hui cherchent le calme et la discrétion. Des agents de sécurité barrent les entrées des discothèques et sélectionnent les clients. “Les gens qui viennent habiter le Marais aujourd’hui ne veulent pas être emmerdés” résume Charles. Les loyers ont bondi, le moindre 9m2 tout juste habitable se vend ici plus de 120 000 euros.

Restaurants, bars et discothèques glissent vers le Nord-Est

La boutique de Charles ressemble à un îlot survivant. Des habitants du quartier passent lui dire bonjour. “Quelles nouvelles ?”, s’enquiert une jeune femme qui pousse la lourde porte, un cartable d’enfant sur le dos. Charles garde en pension dans sa boutique le perroquet gris d’un ami qui habite lui aussi le quartier. Mais il reconnaît ne plus connaître grand monde dans le quartier et quand il sort, il préfère maintenant les abords du Canal Saint-Martin, Belleville ou Oberkampf.

« Il n’y a rien à faire »  répète Charles. Ce glissement est inéluctable comme à Covent Garden à Londres ou à Soho à New-York. “A l’automne, j’ai emmené un ami à Covent Garden, je lui ai promis de l’emmener commander une pomme de terre farcie, comme celles que je mangeais étudiant, debout devant la vitrine. Quand nous sommes entrés, nous nous sommes retrouvés face à un stand de macarons Ladurée et mon ami a ri. Les quartiers évoluent, on ne peut rien y faire.” Le fleuriste possède un appartement à quelques numéros de sa boutique et rechigne à déménager, “mais si des types, comme il en passe deux fois par semaine depuis deux ans, reviennent et me proposent un million, qu’est-ce que je fais ? Bien sûr que je pars.”

Joséphine Devambez

 

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