Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à développer son vaccin ?

Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à développer son vaccin ?

Les annonces du retard pris par Sanofi et de l’abandon déclaré par l’Institut Pasteur dans leur projet respectif de vaccin anti-covid ont blessé la fierté de la France, analyse le quotidien espagnol La Vanguardia. Pourtant, la dégringolade scientifique s’explique assez facilement.

Le pays de Louis Pasteur, pionnier de la vaccination, est blessé dans son amour-propre. En quelques semaines, deux fiascos humiliants. Le laboratoire Sanofi a annoncé un retard de près d’un an pour son vaccin anti-Covid. Ensuite, c’est l’Institut Pasteur lui-même qui a fait part de l’abandon de son principal essai de vaccin, faute d’efficacité. La France, puissance nucléaire et géopolitique, fière de son héritage culturel et de son excellence dans certains secteurs, est restée à la traîne par rapport à l’Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, à la Russie et à la Chine.

Il n’est pas facile pour les gouvernants français d’accepter un tel déclassement*, cette dégringolade dans le domaine scientifique. Peu de responsables politiques ont donné de la voix et fait leur autocritique. Le président Emmanuel Macron a esquivé la question et préféré ne pas être celui qui allait annoncer de nouvelles restrictions. Il a confié cette tâche ingrate à Jean Castex, le Premier ministre, un poste qui sert souvent de paratonnerre à l’Élysée. Il est difficile de demander des sacrifices à la population quand au problème du vaccin vient s’ajouter celui, peut-être plus grave, de la vaccination, très lente et mal organisée au cours des premières semaines. Là encore, la France a du retard.

Une pluie de critiques

L’un des rares hommes politiques à avoir évoqué le problème sans détour est François Bayrou, maire de Pau, ancien ministre et actuel Haut-Commissaire au plan. Bayrou attribue une partie de l’échec à la fuite des cerveaux. “C’est le signe d’un déclassement du pays, et ce déclassement-là est inacceptable”, a lancé le responsable politique, également président du MoDem, parti centriste qui soutient Macron. Bayrou a cité l’exemple du Français Stéphane Bancel, directeur de Moderna, la société américaine qui a découvert l’un des vaccins les plus efficaces. “Ce n’est pas possible que les plus brillants de nos chercheurs soient aspirés par le système américain”, a-t-il martelé.

L’ancienne ministre socialiste et ex-candidate à la présidence Ségolène Royal a dénoncé “l’idéologie libérale qui conduit à la réduction des soutiens publics à la recherche”. Quant au dirigeant communiste Fabien Roussel, il s’en est pris à Sanofi – qui, non content d’avoir pris du retard sur le vaccin, va supprimer près de 400 emplois dans la recherche –, accusant le laboratoire pharmaceutique d’être “guidé par des exigences de rentabilité”. Pour Roussel, l’incapacité d’un géant comme Sanofi à mettre un vaccin sur le marché, “c’est l’humiliation de la France”. “À quel niveau est tombée la nation ?!” déplorait le député PCF.

Un problème de financement

Le commentaire le plus acerbe est peut-être venu de Katalin Karikó, une biochimiste hongroise, vice-présidente de BioNTech, le laboratoire allemand qui produit le vaccin en collaboration avec la société américaine Pfizer. Pressentie pour le Nobel, Karikó est l’une des plus grandes spécialistes mondiales de l’ARN messager. En 1985, elle a eu a la possibilité d’aller travailler à Montpellier, mais elle a préféré la Pennsylvanie.

Dans son dernier numéro, l’hebdomadaire Le Point lui demande son avis sur “le paysage biotechnologique français”. Karikó répond : “La France est un beau pays pour les vacances d’été, mais pourquoi les Français doivent-ils venir ici, aux États-Unis ? Pourquoi Stéphane Bancel ne dirige-t-il pas une entreprise française en France pour fabriquer des vaccins ? Pourquoi n’y a-t-il pas de sociétés comme BioNTech en France ? Je pense que c’est un problème de financement.”

Il va falloir du temps au pays pour digérer ce coup porté à sa fierté. L’introspection a commencé. [Le 26 janvier,] le Conseil d’analyse économique (CAE), qui conseille Castex, a publié un rapport de 12 pages sous le titre Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? Ce document explique que la France a du mal à s’adapter à la rapide transformation de l’industrie pharmaceutique. Si autrefois tout était fondé sur la chimie, aujourd’hui la recherche passe par la biotechnologie et la génomique.

Un millefeuille administratif responsable d’une grande lenteur

Le CAE constate qu’en France il existe un manque structurel de financements publics et privés de la recherche, avec ce facteur aggravant que l’argent n’arrive pas toujours dans les bonnes mains. Le pays souffre de “la complexité du millefeuille administratif”, qui se traduit par une lenteur dans l’autorisation de mise sur le marché et la commercialisation des médicaments. Résultat, la France ne produit pas suffisamment de brevets dans les secteurs de pointe et les cerveaux s’enfuient parce qu’ils sont mieux payés dans d’autres pays. Un cercle vicieux dont il est difficile de sortir.

La France souffre aussi d’un manque de collaboration entre les universités et les entreprises. Elle ne possède pas non plus de centres [de recherche] du niveau d’Oxford et de Cambridge, au Royaume-Uni, ou de Harvard et du MIT aux États-Unis. Les auteurs du rapport regrettent également l’absence de culture du risque et, dans ce cas, l’insuffisance de capital-risque. Comme l’a rappelé Bancel, Moderna a reçu 3 milliards de dollars d’investissements avant même d’avoir mis sur le marché un seul médicament. En France, et plus généralement en Europe, ce serait impensable.

Vendredi 29 janvier, Alain Fischer, le “M. Vaccin” du gouvernement, a encore plombé l’ambiance. Le coordinateur de la campagne de vaccination n’a pas exclu que la France, au même titre que la Hongrie, ait recours au vaccin russe Spoutnik V pour compenser le manque de doses, ou même qu’elle fasse appel à la Chine. La leçon d’humilité ultime.

* En français dans le texte.

Eusebio Val

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