A la veille des élections présidentielles françaises, le camp du président français Emmanuel Macron, candidat à sa propre réélection, tente de désamorcer la polémique sur le recours à des consultants, notamment le cabinet de conseil McKinsey, pointé du doigt dans mi-mars par un rapport du Sénat. Pour les opposants au président-candidat, cette question est un symbole de sa collusion avec le monde des affaires.
Pris à moins de deux semaines des élections présidentielles dans la tempête “McKinsey”, l’exécutif français tente de se défendre du mieux qu’il peut. Le recours aux cabinets de conseil est “habituel et utile”, ont insisté deux ministres lors d’une longue conférence de presse mercredi 30 mars. Cela n’a toutefois pas suffi à apaiser la polémique grandissante autour de la firme McKinsey & Company, mise en lumière par un rapport du Sénat dénonçant un “phénomène tentaculaire”.
Le texte, présenté le 16 mars par la commission d’enquête du Sénat, fait état de la “dépendance” du gouvernement actuel vis-à-vis des consultants et de l’optimisation fiscale pratiquée par l’entreprise américaine. Ainsi, les dépenses de conseil des ministères sont passées de 379,1 millions d’euros en 2018 à 893,9 millions en 2021.
“Le fiasco de la mission de McKinsey sur l’avenir du métier d’enseignant”, “la répartition des contrats pendant la crise sanitaire” ou le recours au cabinet McKinsey malgré les doutes sur sa situation fiscale sont quelques exemples d'”opacité” qui renforce le “climat de méfiance”, ont déploré les sénateurs de la commission d’enquête dans un communiqué.
France 24 revient sur cette polémique, que certains appellent déjà “McKinseygate” et qui tombe au plus mal pour Emmanuel Macron.
- Un article de Politico a déclenché l’alarme
Le 4 janvier 2021, le site d’information Politico a publié un article intitulé “Le déploiement lent de la vaccination contre le coronavirus pose des risques pour Macron”. L’article affirme que certains aspects de la stratégie de vaccination mise en place par le gouvernement du Premier ministre Jean Castex ont été confiés à des cabinets de conseil, dont McKinsey. D’autres sociétés comme Accenture, Citwell et JLL ont également été mentionnées. Les journaux Le Canard enchaîné et Mediapart ont également fait des révélations.
- Pourquoi aller chez McKinsey ?
Le cabinet de conseil américain, surnommé “The Firm”, est présent dans une soixantaine de pays. En France, ses bureaux sont situés dans la capitale Paris et dans la ville de Lyon. McKinsey offre des conseils et des recommandations aux agents privés et publics sur divers sujets. Le gouvernement Castex aurait fait un usage excessif de ces conseils, comme l’indique le rapport du Sénat publié le 17 mars. “Le recours à des consultants est désormais devenu quelque chose de naturel”, précise le document, puisque ces entreprises sont, selon les sénateurs, “au centre des politiques publiques”. Au total, pour la seule année 2021, les dépenses de conseil des ministères ont atteint 893,9 millions d’euros.
Allocations sociales, Covid-19… De quelles réformes s’agit-il ? Concrètement, le Gouvernement s’est tourné vers McKinsey pour la réforme du mode de calcul des aides au logement (3,8 millions d’euros), la gestion de la campagne de vaccination contre le Covid-19 (12,3 millions d’euros) ou encore l’organisation d’un séminaire international commandité par le ministère de l’Éducation nationale. L’éducation (496 800 euros), finalement annulée en raison de la pandémie.
La réforme controversée des retraites a également été évoquée. Un rapport avait été préparé pour le préparer pour 950 000 € avant qu’il ne soit finalement reporté.
- Pourquoi McKinsey est-il critiqué ?
Outre la pertinence et l’utilité de ces contrats, fortement contestés par l’opposition depuis la publication du rapport, la fiscalité du groupe est celle qui a été vivement critiquée, les sénateurs la qualifiant d'”exemple caricatural d’optimisation fiscale”.
Bien que McKinsey soit assujetti à l’impôt sur les sociétés en France, “ses versements sont de zéro euro depuis au moins dix ans” (entre 2011 et 2020), indique le rapport. Cependant, “elle emploie environ 600 personnes et son chiffre d’affaires dans le pays européen a atteint 329 millions d’euros en 2020, dont environ 5% correspondront au secteur public”.
Dans un article publié mercredi, le journal Le Canard enchaîné ajoute que les “honoraires extrêmement élevés que McKinsey France verse à la maison mère” auraient dû alerter la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Appelés aussi « prix de transfert » (prix des transactions entre sociétés d’un même groupe, mais résidentes de pays différents), ces tarifs sont, « en principe, strictement contrôlés par la DGFiP ».
“McKinsey utilise un mécanisme d’optimisation fiscale très prisé par de nombreuses multinationales : la déclaration des ‘prix de transfert’ de ses entités en France à la maison mère basée dans le Delaware, un paradis fiscal”, dénonce Oxfam France. Pour l’ONG, “l’entreprise assure que de nombreuses charges, comme celles d’administration générale ou de mise à disposition de personnel, apparaissent comme des charges dans la comptabilité de l’entreprise et lui permettent de réduire à zéro son impôt sur les sociétés.
Selon une étude du journal Le Monde, McKinsey paie une taxe forfaitaire symbolique de seulement 175 dollars par an.
- Comment McKinsey se défend-il ?
Face au scandale, McKinsey a affirmé s’être conformé à “toutes les réglementations fiscales et sociales françaises applicables” et a déclaré avoir acquitté l’impôt sur les sociétés “les années où l’entreprise a réalisé des bénéfices en France”. C’est ce qu’a déclaré le patron d’une filiale française dans une déclaration sous serment en janvier dernier, et qui est mentionné dans le rapport du Sénat.
Le vendredi 25 mars, le Sénat a annoncé qu’il avait renvoyé l’affaire devant les tribunaux pour “présomption de parjure”.
- Quelle relation entretient-il avec Emmanuel Macron ?
Les liens entre l’actuel chef de l’Etat et le cabinet de conseil sont pointés du doigt dans l’enquête du Monde.
Plusieurs conseillers ou anciens conseillers du cabinet qui avaient volontairement participé à la campagne du candidat Macron en 2017 ont par la suite intégré des postes au sein de leurs gouvernements, selon le journal.
- Comment le camp de Macron se défend-il ?
Macron est passé à l’offensive dimanche pour apaiser toute polémique. Le candidat président a réaffirmé que le recours aux consultants existait sous les mandats des anciens présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande, et qu’il s’inscrit dans le cadre strict de la procédure légale des appels d’offres.
“Il n’y a pas de contrat qui soit approuvé en République sans respecter les règles de la commande publique : appel d’offres, transparence, responsabilité de ceux qui signent…”, a-t-il déclaré dimanche 27 mars sur la chaîne de télévision France 3. “C’est l’impression qu’il y a des trucages, ce qui est faux. Il y a des règles de passation des marchés publics. La France est un pays de droit”, a-t-il insisté. Que les ministères, qui “travaillent jour et nuit”, s’appuient sur des “prestataires de services” pour les aider, “ne me choque pas”.
Craignant que les pouvoirs publics ne dépendent de certains consultants, la ministre de la Transformation et de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, a rappelé mercredi lors d’une conférence de presse qu'”aucun consultant n’a décidé d’aucune réforme et la décision correspond toujours à l’Etat”.
“Nous n’avons pas abdiqué nos responsabilités”, a-t-il dit, ajoutant que la pratique est “répandue”, “habituelle” et “utile” dans “la plupart des cas”.
McKinsey représente 5% des dépenses de conseil stratégique de l’Etat, selon le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt. Et le gouvernement, à son tour, représente 5% du chiffre d’affaires de McKinsey, a-t-il ajouté.
“La position fiscale de McKinsey est protégée par le secret fiscal, nos services ont entamé un audit fin 2021”, a-t-il déclaré, refusant de commenter le résultat ou les éventuelles conséquences de cet audit. “Il n’y a rien qui couvre”.
- Faut-il revoir le recours aux sociétés de conseil ?
Rien à cacher, mais des ajustements sont à faire, avoue Amélie de Montchalin. Même si “l’Etat est parfaitement disposé à recourir à des sociétés de conseil dans certaines circonstances”, le ministre a admis que des améliorations sont nécessaires.
Montchalin veut “réarmer l’Etat pour renforcer ses pouvoirs internes” et prévoit de “réduire d’au moins 15% le recours aux services de conseil externes” à partir de 2022.
Cet article a été traduit de son français original