Alors que le monde du tourisme dénonce les pratiques jugées « immorales » d’Airbnb, les hôteliers s’inquiètent de la fragilisation de leur secteur, déjà fortement touché par les attentats de l’année dernière. Si certaines voix se sont élevées au nom des hôtels haut de gamme, ceux-ci ne se sont jamais exprimés directement. Alors Airbnb est-il vraiment une menace pour les hôtels de luxe ?
Beaucoup d’encre a coulé depuis qu’Airbnb a pénétré sur le marché parisien. Déjà en août, Laurent Duc, président du syndicat Umih, principale organisation patronale du secteur de l’hôtellerie-restauration exprimait sa préoccupation : « Cette plateforme de location est une vraie menace pour l’hôtellerie haut de gamme, il faut réglementer et contrôler ces opérateurs ».
Sur le site d’Airbnb, on trouve de nombreuses offres pour de luxueux appartements ou des villas en plein centre de la capitale. Nous avons ainsi comptabilisé 183 appartements dépassant les 600 euros la nuit sur les 29 783 appartements (logements séparés) recensés sur le site. En comparaison, le Meurice affiche pour le week-end du 13 février le meilleur tarif du jour qui s’élève à 695 euros par nuit pour une chambre classique ne dépassant 30 m². Le George V, lui, est à 1 190 euros la nuit. Le bureau d’études observation de l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris communiquait le prix moyen dans les palaces parisiens 682,7 euros par chambre par nuit en 2014.
MKG group, le leader des études marketing sur le marché hôtelier et touristique européen, relativise cependant cette concurrence. Le PDG du groupe Georges Panayotis estime que « les motivations des clients sont très différentes, d’un côté l’autonomie et l’espace qui seront recherchés, et de l’autre ce sont les services hôteliers et d’équipements haut de gamme ». Les principales « victimes » semblent être davantage les résidences hôtelières que les palaces en eux-mêmes. Pour autant, poursuit Georges Panayotis « comme tout concept, Airbnb a dérapé d’abord en élargissant l’offre vers les logements entiers sans réel partage d’expérience avec les propriétaires, et progressivement en touchant des créneaux hors cible initiale – des appartements de standing ».
Que pense la clientèle des palaces ?
Les touristes saoudiens représentent une clientèle prisée des palaces. Nada, une riche cliente de ce pays du Golfe, nous livre ses préférences.
My favorite hotels in Paris for short staying are Four Seasons and Prince de Galles. They are both on my favorite Avenue George V which located in the middle of Paris, near many shops and restaurants. They are luxury hotels with a perfect services. […] On average I would spend around 4000 € per one week per person exclude the accommodation.
À la question de savoir si elle pourrait se montrer intéressée de résider dans un appartement de standing loué via Airbnb plutôt qu’un Palace, Nada répond :
Airbnb is highly recommended. Of course I would spend my next stay renting Airbnb as long as they have attractive prices
« En tant que palace nous offrons un service no limit »
Les palaces parisiens refusent de communiquer au sujet d’Airbnb sans qu’il soit possible de discerner s’il s’agit d’un malaise ou d’une stratégie sciemment réfléchie. Dans cette vague de refus un seul hôtel 5 étoiles a bien voulu témoigner : « Airbnb est un concurrent dangereux, certes, mais pas tant que ça non plus », répond de façon mitigée le responsable des ventes de La Réserve et Spa, Nicolas Zimmerman. « En tant que palace nous offrons un service no limit à nos clients là où Airbnb offre peu de service . » Les palaces investissent désormais dans la technologie, la plupart cherchent à se diversifier par des services numériques haut de gamme. Ainsi des iPad gèrent désormais les différents services en chambre, et offrent un tchat direct avec le service de conciergerie. Du room service au simple réglage de la climatisation de la chambre, tout est désormais numérique et la domotique fait son entrée. Les hôtels Hyatt, par exemple, ont mis en place un système de conciergerie virtuelle sur les réseaux sociaux e-concierge accessible tous les jours 24h/24.
Pour Gérard-Martial Laxenaire l’ancien Directeur Général du Normandy Barrière de Deauville, « la panoplie des services hôteliers comme une restauration de niveau gastronomique, un service de gouvernantes ou encore le room-service ne peut pas du tout être offerte par Airbnb. Et c’est sans compter encore sur les Spa, piscines, conciergeries, voituriers, et autres parkings ». « Qui peut imaginer toutes les délégations étrangères (pas seulement des pays du Golfe) résider dans des appartements ? » poursuit Gérard-Martial Laxenaire.
Les clients des Palaces parisiens ont le besoin d’une vraie reconnaissance
Pour l’ancien directeur du Normandy l’aspect notoriété est primordial. « Les clients des Palaces parisiens ont besoin d’une réelle adresse. C’est beaucoup plus valorisant de dire je loge au Meurice, au Crillon… que de dire, j’habite dans un appartement au 45 avenue de Villiers ! »
Il reconnaît tout de même que certains aspects d’Airbnb peuvent séduire. « Les appartements Airbnb peuvent proposer une certaine discrétion à laquelle une certaine clientèle peut se montrer particulièrement sensible. Mais je doute que nous parlions de la clientèle de base des Palaces. »
Justification du prix
Si le service principal d’un hôtel est d’offrir une chambre où dormir, alors Airbnb exerce une pression économique très forte, puisque pour un prix souvent inférieur il sera possible d’avoir trois fois la surface. Pour les hôtels de luxe « l’accent doit donc se porter sur le maintien d’une expérience unique qui justifie le prix et par voie de conséquence le rapport prix/plaisir », explique Georges Panayotis de MKG Group, « c’est en grande partie pour cette raison que les palaces ont tous engagé des programmes de rénovation et d’agrandissement qui se chiffrent en centaines de millions d’euros ».
« Dans le contexte actuel, une augmentation des prix n’est certainement pas d’actualité, mais une baisse des prix ne peut se concevoir que ponctuellement sous forme de promotions particulières, sans affecter durablement la structure tarifaire de ce segment », conclut ainsi MKG Group relevant que la pression sur les prix qu’exerce Airbnb sur le reste de la profession n’est pas palpable pour les établissements de grand standing.