Leçons d’un an de confinement en Europe

Leçons d’un an de confinement en Europe

Il y a un an, suivant les premières mesures adoptées en Italie, c’est toute l’Europe qui, pays après pays, s’est confinée. Du premier moment de choc à la gestion des conséquences psychiques, ce journaliste britannique fait le bilan des restrictions sanitaires des derniers douze mois.

À la même époque l’année dernière, qui aurait imaginé qu’une nation occidentale mettrait en place des restrictions jamais vues depuis la Seconde Guerre mondiale ? “Toute l’Italie est maintenant fermée”, titrait dès le lendemain le Corriere della Sera, sous le choc.

Le 9 mars 2020, les plus de 60 millions d’habitants du pays recevaient l’ordre de rester chez eux. Ils n’étaient autorisés à sortir que pour des motifs très précis : faire des courses, se rendre à un rendez-vous médical ou faire de l’exercice physique seuls et autour de leur domicile. Toute infraction était passible d’une amende de 400 à 3 000 euros.

Les écoles, les universités et toutes les entreprises et commerces non essentiels devaient fermer leurs portes. Seuls les supermarchés, les banques, les pharmacies et les bureaux de poste pouvaient rester ouverts. Tous les déplacements à l’intérieur du pays étaient interdits, sauf pour des raisons de santé ou d’autres situations urgentes.

Des mesures radicales

Quelques jours plus tard, une grande partie du continent européen emboîtait le pas à l’Italie. Le 18 mars, la moitié de la population de l’Europe, soit plus de 250 millions de personnes, était confinée. Dans certains pays, les cas de Covid-19 doublaient tous les trois jours, parfois même en quarante-huit heures.

Douze mois ont passé depuis. Certains pays commencent tout juste à assouplir les règles d’un deuxième confinement, voire d’un troisième, tandis que d’autres envisagent de le prolonger. Mais partout les mesures radicales mises en place pour la première fois en Italie il y a tout juste un an ne semblent plus si choquantes.

Depuis un an, une grande partie de l’Europe continentale est privée de certaines de ses coutumes les plus profondément enracinées : s’installer à la terrasse d’un café, s’attarder à table dans les restaurants, se saluer en s’embrassant sur les joues. D’autres habitudes ont pris leur place : l’hérésie du café à emporter, les achats sur Internet, les saluts du coude. Certaines nouveautés sont bienvenues, notamment dans le sud de l’Europe, où au moins un pan d’une bureaucratie pesante a évolué pour devenir accessible en ligne.

Une fois par génération

Le confinement modifie également les opinions et les priorités des Européens. Dans un sondage réalisé en France après le premier confinement, l’année dernière, près de 70 % des personnes interrogées estimaient que les changements dans le monde du travail étaient inévitables et allaient devenir permanents. Plus de 80 % souhaitaient notamment télétravailler davantage. Six personnes sur dix disaient que leurs habitudes de consommation avaient changé, et 74 % étaient prêtes à payer plus pour des produits fabriqués en France. La moitié accordait davantage de prix aux relations avec leurs amis et leur famille, et presque 40 % voulaient un logement plus grand, un balcon ou un jardin.

“Nous avons constaté un phénomène similaire après d’autres crises majeures, comme le krach financier ou les attaques terroristes de 2015 à Paris, relève Frédéric Dabi, de l’institut de sondage Ifop. Mais l’inertie, le statu quo se sont toujours avérés plus forts que le désir de changement.”

Il pourrait bien en être différemment cette fois. “Le confinement a fortement accéléré des tendances qui existaient déjà, poursuit Dabi. C’est l’un de ces événements qui ne surviennent qu’une fois par génération, qui changent les comportements en matière de consommation, de travail et de logement. Il est encore trop tôt pour dire si ces transformations dureront et si nous sommes à l’aube d’un changement de civilisation, mais il ne fait aucun doute que la mentalité collective a évolué.”

Le contrecoup psychologique

Les inconvénients du confinement ont été tout aussi manifestes, et encore plus depuis la deuxième série de restrictions, parfois plus dures, mises en place après l’été 2020. En Allemagne, le deuxième confinement a été beaucoup plus marqué par les problèmes de santé mentale que le premier. Une étude réalisée par l’université de la Sarre sous la direction de Dorota Reis montre que le degré de satisfaction à l’égard de la vie a “nettement diminué”. “L’inquiétude, le stress et la dépression ont tous augmenté”, précise Reis. Le regard que les gens portent sur la société a également “changé de façon radicale”.

Lors du premier confinement, poursuit-elle, les Allemands ont eu le sentiment qu’ils se rapprochaient les uns des autres, que la société était plus unie. Aujourd’hui, ils trouvent qu’elle est “égoïste et que les gens s’éloignent les uns des autres”. Toujours selon Reis, il est trop tôt pour dire si cette humeur s’améliorera lorsque les restrictions seront levées, comme cela a été le cas l’année dernière.

La fermeture prolongée des écoles et des universités ainsi que la chute à prévoir du nombre d’emplois accessibles aux jeunes diplômés mettent à rude épreuve les enfants et les étudiants, condamnés à porter le poids de mesures destinées principalement à protéger une génération beaucoup plus âgée.

En France, une étude a montré une augmentation de 50 % du nombre d’étudiants présentant des “signes de détresse psychologique”. Les autorités néerlandaises ont fait savoir que certains services de psychiatrie infanto-juvéniles avaient atteint les limites de leur capacité. Et lors de sa deuxième vague de coronavirus, l’Italie a enregistré une augmentation de 30 % du nombre de jeunes ayant tenté de se suicider ou de s’automutiler.

En Espagne, où les mesures mises en place lors du premier confinement ont été de loin les plus strictes d’Europe, les enfants ont terriblement souffert : ils n’étaient pas autorisés à sortir de chez eux pour faire de l’exercice, se promener dans le quartier ou même accompagner leurs parents au supermarché.

Pays après pays, l’Europe se confine

L’Espagne a déclaré l’état d’urgence et confiné ses plus de 46 millions d’habitants après l’Italie, le 14 mars 2020. Les écoles et les commerces non essentiels ont fermé, et il a été décidé que les seuls motifs autres que médicaux pour pouvoir quitter son domicile seraient de faire les courses ou de promener son chien.

La France, confinée depuis le 17 mars, a déclaré l’état d’urgence sanitaire le 24 mars et demandé à ses habitants de rester chez eux et de sortir uniquement pour les besoins de première nécessité, comme faire les courses et de l’exercice pendant une heure par jour. Le 22 mars, l’Allemagne optait pour des mesures radicales de distanciation physique, sans décréter de confinement officiel.

Le 16 mars, le gouvernement néerlandais adoptait un “confinement intelligent” en fermant les bars, les restaurants, les musées, les écoles et les universités et en interdisant les grands rassemblements et événements. La Belgique s’est quant à elle confinée le 18 mars.

Le Portugal a décrété son premier état d’urgence depuis le retour de la démocratie en 1976, et autorisé le gouvernement à déployer l’armée et à fixer les prix des produits de première nécessité. La République tchèque et la Pologne ont précédé tous ces pays et confiné leur population les 12 et 13 mars.

La Suède a fait figure d’exception sur le continent en refusant de mettre en place un confinement général : le pays s’est contenté d’interdire les rassemblements de plus de 50 personnes et d’inviter les habitants à respecter des mesures de distanciation physique et à télétravailler dans lorsque c’était possible, sans leur en donner l’ordre.

Si confinement il faut, confinez vite

Un an plus tard, il est devenu évident que si des mesures de confinement strictes doivent être imposées, mieux vaut le faire tôt que tard. L’Italie s’est confinée cinq semaines seulement après avoir détecté le premier cas, et en ayant 7 300 contaminations confirmées. Un mois plus tard, elle comptait 160 000 cas. Lorsque l’Espagne a décrété son confinement, 4 200 contaminations avaient été recensées. Le 5 avril, le nombre de cas confirmés sur son territoire avait dépassé celui de l’Italie.

Les Polonais se sont enfermés après 29 cas seulement, et la première vague a été beaucoup moins importante qu’ailleurs. Le 14 mars, le Royaume-Uni comptait autant de cas que les Pays-Bas, 800, mais il s’est confiné une semaine plus tard. À la mi-avril, il y avait trois fois plus de Britanniques contaminés que de Néerlandais.

Jon Henley

A lire également