La bataille d'influence se déroule entre les hommes d'affaires qui veulent assouplir les limites environnementales pour favoriser la reprise économique et ceux qui préconisent un plan de relance axé sur la transition écologique.
En attendant une position claire du gouvernement ou d'Emmanuel Macron sur le poids que la transition écologique aura dans le plan de relance économique, les acteurs économiques et les défenseurs de l'environnement tentent de faire pencher la balance en leur faveur.
Le Mouvement des entreprises françaises (Medef) et l'Association française des entreprises privées (Afep) ont récemment appelé à une pause dans certaines des futures réglementations environnementales en raison de la crise des coronavirus, a révélé mercredi 22 avril le journal 'Canard Enchaîné. '.
Le message signé par le syndicat des employeurs le 3 avril, adressé à la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne, et publié dans son intégralité le jeudi 23 avril par le journal 'Journal du Dimanche', demande, entre autres, une «Moratoire» sur les décrets d'application de la loi du 10 février contre les déchets et en faveur de l'économie circulaire.
Cette loi prévoit notamment l'inclusion de nouveaux secteurs dans le principe du pollueur-payeur, l'interdiction pour les grands magasins ou les plateformes en ligne de détruire les produits non alimentaires qui n'ont pas été vendus d'ici 2022 ou l'élimination des emballages plastiques dans restauration rapide d'ici 2023.
Dans une note, l'Afep se concentre également sur la réglementation européenne et exige, par exemple, que la révision de la directive sur les émissions industrielles de CO2 soit «reportée d'un an».
"Un moratoire n'est pas envisagé"
Contacté par France 24, le ministère de la transition écologique a confirmé avoir reçu ces demandes, et se déclare "attentif aux préoccupations de tous les acteurs en cette période difficile". "Des ajustements sont envisagés dans le calendrier selon chaque cas pour tenir compte de la période de détention qui a rendu impossible la réalisation de quelques consultations ou travaux préparatoires avant la mise en place de certaines mesures", a répondu le cabinet d'Élisabeth Borne.
Cependant, «un moratoire n'est pas envisagé, les objectifs et mesures écologiques du gouvernement ne sont pas remis en cause, qu'ils soient prévus pour la loi sur l'énergie et le climat, pour la loi d'orientation de la mobilité ou encore pour la loi sur l'économie circulaire », assure le ministère.
Élisabeth Borne fait partie des dix-sept ministres européens de l'environnement signataires d'un appel à projets de réactivation dans l'Union européenne pour prendre en compte les problèmes liés à l'environnement et au climat. "Nous devons résister à la tentation de recourir à des solutions à court terme pour répondre à la crise actuelle car elles risquent de fermer l'UE dans une économie basée sur les énergies fossiles pendant des décennies", indique le texte publié sur le site climatechangenews. com.
Mais au-delà des grandes déclarations de base, les premières indications concrètes envoyées par le gouvernement ne semblent pas très favorables à un «monde après» très différent du «monde avant» la crise sanitaire.
Dans le cadre de la loi de finances rectificative, les députés ont voté le 18 avril une subvention de 20 milliards d'euros pour recapitaliser un certain nombre d'entreprises jugées stratégiques, dont des géants industriels français des secteurs de la l'aéronautique et l'automobile comme Airbus, Air France ou Renault.
"Un échec de la politique et la parole d'Emmanuel Macron"
Pour Greenpeace France, les Amis de la Terre et Oxfam France, cette aide "ressemble à un chèque en blanc pour les principaux pollueurs des secteurs de l'aviation, de l'automobile et du pétrole".
Ces trois ONG regrettent que l'aide financière offerte par l'Etat n'ait pas fait l'objet d'un plan de transformation compatible avec les objectifs fixés dans l'accord de Paris, qui les oblige notamment à "réduire drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre".
"C'est un échec de la politique, de la démocratie et des propos d'Emmanuel Macron, qui vise à" transformer le capitalisme "et affirme que le lendemain ne sera pas le même que la veille", déplore Clément Sénéchal, de Greenpeace France, dans une déclaration.
Le gouvernement se défend, notant qu'une réforme proposée par Bérangère Abba, député du parti La República En Marcha (LREM), dont l'objectif est "une politique environnementale ambitieuse", a été adoptée, selon les propos du ministre de l'Economie Bruno Le Maire. Ce dernier demande aux entreprises aidées par l'Etat "d'intégrer des objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie, notamment liés à la lutte contre le changement climatique et dans le respect de l'accord de Paris".
Nous ne laisserons pas de grandes entreprises stratégiques se faire racheter par des acteurs étrangers. Plus ce ne sera qu'un chèque en blanc: ces entreprises retrouveront à terme la compétitivité et s'engageront totalement pour une économie décarbonée. # COVID-19[FEMININE pic.twitter.com/HNRjPf7s3R
– Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) 17 avril 2020
«Le problème de cette réforme est qu'elle ne contribue à rien qui n'existe plus. Il n'y a pas d'engagement supplémentaire, pas de limitation supplémentaire et rien n'est demandé en retour », explique le député Matthieu Orphelin, contacté par France 24.
Le Haut Conseil pour le climat appelle à «un renouveau vert, pas gris»
Matthieu Orphelin, ancien membre de la majorité présidentielle et ancien porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot, a proposé une réforme avec des limites. Bien que rejetée, elle a demandé que "tout soutien financier aux grandes entreprises soit conditionné à la mise en place, dans les douze mois suivant son obtention, d'une stratégie interne de réduction de leur empreinte écologique".
"Contrairement à la réforme adoptée, nous avons demandé aux entreprises des résultats concrets à moyen terme, avec un plan d'action et des engagements clairs", explique Matthieu Orphelin. "Et si elles n'appliquent pas ce plan, les entreprises seraient obligées de rembourser l'aide financière. C'est très différent de ce qui a été adopté. Il est impossible de ne pas réaliser la grande différence entre les déclarations de Bruno Le Maire et la réalité du texte. "
Un avis apparemment partagé par le Haut Conseil du Climat (HCC pour son acronyme français) qui a publié le mardi 21 avril un rapport sur la crise de Covid-19 avec 18 recommandations pour "la réactivation soit verte, pas grise" "
Le HCC, organisme indépendant créé en 2018 par Emmanuel Macron pour évaluer les politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique, supervise l'Exécutif afin que la même erreur ne soit pas commise comme en 2008, lorsque le plan de réactivation privilégiait les activités polluantes. En particulier, il recommande, reprenant presque mot pour mot la réforme Matthieu Orphelin, que l'aide budgétaire et les incitations fiscales aux collectivités et aux entreprises soient «clairement soumises à l'adoption explicite de plans d'investissement et de perspectives compatibles avec la stratégie de développement carbone ».
Actuellement, le projet de loi de finances rectificative est en cours d'examen au Sénat. Une réforme qui reprend les mêmes termes proposés par le HCC et par la réforme proposée par Matthieu Orphelin, qui a été rejetée dans la nuit du mercredi 22 avril au jeudi 23 avril.
Cet article a été adapté de son original en français.