L’armée américaine veut investir dans des sociétés minières au Canada, rapporte dimanche la presse canadienne. Le Pentagone espère contrer ce qu’il perçoit comme une tentative chinoise de s’emparer des ressources de métaux rares du Canada, comme le lithium.

« Il n’y aura pas de nouvelle guerre froide », ont promis lundi 14 novembre le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping. Mais alors que les deux chefs d’État se serrent diplomatiquement la main avant l’ouverture du G20 à Bali, l’armée américaine s’apprête à lancer une nouvelle offensive pour contrer la Chine : investir dans les mines canadiennes.


Le président chinois Xi Jinping et le président américain Joe Biden se serrent la main en marge du sommet du G20 à Bali, en Indonésie, le 14 novembre 2022.
Le président chinois Xi Jinping et le président américain Joe Biden se serrent la main en marge du sommet du G20 à Bali, en Indonésie, le 14 novembre 2022. AP – Alex Brandon

Le Pentagone veut mobiliser une partie d’un nouveau fonds de plusieurs centaines de millions de dollars pour favoriser l’exploitation « made in North America » ​​de métaux rares très convoités, selon la chaîne canadienne d’information publique CBC News rapportée dimanche.

L’initiative montre comment le secteur minier canadien « est au centre d’une gigantesque bataille géopolitique » entre les États-Unis et la Chine pour l’accès à ces ressources stratégiques.

Le Canada, futur leader des métaux rares ?

Avant le Pentagone, Pékin s’intéressait beaucoup aux mines canadiennes. « Au cours des dix dernières années, la Chine a participé à l’acquisition et à l’investissement dans 89 entreprises canadiennes liées au secteur minier », a rapporté la chaîne d’information économique américaine Bloomberg dans une enquête publiée vendredi. Le dernier exemple en date est Neo Lithium, un groupe minier canadien, qui a été racheté en février dernier pour un prix estimé à environ 1 milliard de dollars par son rival chinois Zijin Mining.

Cette acquisition était symboliquement importante car elle a été faite à un moment où les tensions commerciales entre Pékin et Washington, le principal allié du Canada, étaient vives. L’achat de Neo Lithium « a pu donner à la Chine l’impression que le Canada était très favorable à ces investissements » malgré le contexte, note ‘The Diplomat’, un site spécialisé dans l’actualité géopolitique en Asie.

Pour Pékin, c’était une très bonne nouvelle : un signe que tous les alliés de Washington n’avaient pas encore fermé leurs portes à la plupart des investissements chinois. D’autant plus lorsque le Canada est appelé à figurer sur la carte mondiale des métaux rares, comme le lithium et le cobalt.

Pour l’instant, le Canada reste un acteur mineur par rapport aux producteurs les plus importants de ces ressources, essentielles pour la fabrication de batteries pour voitures électriques, de certaines solutions de stockage pour les énergies renouvelables et pour une série d’équipements militaires comme des systèmes de guidage de missiles. Ce sont autant de secteurs dans lesquels la Chine veut jouer un rôle de premier plan.

Les poids lourds des mines de métaux rares sont « la Russie, l’Australie et la Chine », explique Zeno Leoni, spécialiste des relations sino-américaines au King’s College de Londres. Même des pays comme l’Argentine, la République démocratique du Congo et les Philippines produisent plus que le Canada.


Cette photo d'archive prise le 16 février 2018 montre un homme regardant un tapis roulant chargé de morceaux de cobalt brut après une première transformation dans une usine de Lubumbashi, avant d'être exporté, principalement vers la Chine, pour y être affiné.
Cette photo d’archive prise le 16 février 2018 montre un homme regardant un tapis roulant chargé de morceaux de cobalt brut après une première transformation dans une usine de Lubumbashi, avant d’être exporté, principalement vers la Chine, pour y être affiné. © SAMIR TOUNSI / AFP

Mais Ottawa affirme que les réserves souterraines du Canada pourraient propulser le pays dans les rangs des principaux fournisseurs mondiaux de lithium, de cobalt, de nickel et autres. Certaines provinces canadiennes, comme l’Ontario, ont même publié des cartes de gisements potentiels qui donnent l’impression d’être un eldorado des terres rares.

La guerre en Ukraine révèle la « menace » chinoise

La stratégie de la Chine a été d’investir en prévision de cette concurrence pour les ressources canadiennes. Le plan de Pékin a été « d’utiliser sa puissance financière pour créer une dépendance économique, afin que le Canada soit obligé de se tourner vers la Chine et non vers les États-Unis lorsque l’exploitation des gisements deviendra une réalité », résume Zeno Leoni.

Et Washington laisse cela se produire depuis longtemps. Même pendant la présidence de Donald Trump, lorsque l’administration américaine a déclaré une « guerre commerciale » à la Chine, Pékin a pu continuer à acheter au Canada.

La guerre en Ukraine a dû venir pour que Washington entende raison. Lorsque les exportations russes et ukrainiennes de composants semi-conducteurs clés – comme le néon – se sont taries à cause du conflit, les États-Unis ont pris conscience de leur dépendance vis-à-vis de certaines ressources contrôlées par des pays parfois hostiles.

Dans le cas des métaux rares, la Chine « produit déjà plus de 70 % des batteries au lithium du monde », précise Jean-François Dufour, expert de l’économie chinoise et co-fondateur de Sinopole, un centre de ressources sur la Chine. Les investissements chinois dans les mines en Australie, en République démocratique du Congo, en Argentine et au Canada « montrent que Pékin veut contrôler la chaîne de bout en bout », estime le spécialiste.


Cette photo prise le 12 mars 2021 montre des travailleurs d'une usine de Xinwangda Electric Vehicle Battery Co. Ltd, qui fabrique des batteries au lithium pour les voitures électriques et d'autres usages, à Nanjing, dans la province du Jiangsu (est de la Chine).
Cette photo prise le 12 mars 2021 montre des travailleurs d’une usine de Xinwangda Electric Vehicle Battery Co. Ltd, qui fabrique des batteries au lithium pour les voitures électriques et d’autres usages, à Nanjing, dans la province du Jiangsu (est de la Chine). ©STR / AFP

De quoi faire froid dans le dos à Washington, car Pékin « a déjà utilisé l’arme de l’embargo sur les terres rares par le passé pour faire pression sur un autre pays », rappelle Jean-François Dufour. C’était en 2010, pour faire plier le Japon face à un différend sur les droits de pêche dans les eaux revendiquées par les deux pays.

Le Canada devient dur

Les investissements chinois dans les mines canadiennes sont ainsi devenus beaucoup plus controversés. Ottawa a été le premier à sévir contre Pékin. En octobre, le gouvernement de Justin Trudeau a modifié la loi pour empêcher les entreprises liées à l’État d’investir dans des groupes miniers canadiens. C’était une façon de cibler la Chine – dont la plupart des entreprises ou des banques qui investissent à l’étranger sont liées à l’État – sans le dire.

Comme si le message n’était pas assez clair, François-Philippe Champagne, ministre canadien de l’Industrie, a ordonné début novembre à trois groupes chinois de quitter le capital minier canadien.

L’intérêt du Pentagone pour les mines canadiennes est, en ce sens, « un investissement préventif destiné à fermer la porte aux ambitions chinoises pour le sous-sol nord-américain », estime Jean-François Dufour.

Pour ce faire, l’Armée de terre peut puiser dans un fonds de 500 millions de dollars établi par le plan d’investissement climatique édicté par Joe Biden en août 2022. Le plan visait à dynamiser une industrie nord-américaine des métaux rares qui est « essentielle aux technologies au centre du développement durable ». développement.

La Maison Blanche a invoqué le Defense Production Act, une loi de 1950 qui permet à l’armée américaine d’investir directement pour augmenter la capacité de production, comme en temps de guerre. Un texte « qui inquiète aussi le Canada car il fait partie de la ‘base militaro-industrielle’ des États-Unis depuis des décennies », rappelle CBC News.

Pour l’instant, il s’agit d’une mesure défensive visant à tenir la Chine à l’écart d’éventuelles futures mines canadiennes. Mais le Pentagone a également demandé au Congrès de lui permettre d’investir directement dans des opérations de métaux rares en Australie et au Royaume-Uni.

L’idée serait alors « de créer une coalition internationale pour casser le quasi-monopole chinois sur ces terres rares », précise Zeno Leoni. Pour cet expert, si Washington réussit, « cela obligera Pékin à revoir toute sa stratégie de développement technologique ».

*Article adapté de son original en français

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